Thierry Fiorilli

Patrons publics : un peu de justice salariale et pas mal de bonneteau

Thierry Fiorilli Journaliste

Le gouvernement a désigné les top- managers des entreprises publiques où le patron arrivait au terme de son mandat. Et confirmé qu’ils ne gagneront pas plus de 290 000 euros par an. Bien joué. Mais pas assez pour dissiper tous les sentiments de malaise.

La définition proposée par Wikipedia est un modèle du genre : « Le bonneteau est un jeu d’argent, de l’ordre de l’escroquerie, proposé à la sauvette sur les marchés et dans les lieux publics. Sur le même principe, mais avec des techniques de manipulation un peu différentes, on rencontre parfois des  »jeux » consistant à trouver une balle sous trois gobelets ou une fève sous trois coquilles. Cette forme, qui apparaît déjà dans le tableau de Jérôme Bosch, L’Escamoteur, a été reprise par la prestidigitation. Les escamoteurs du Moyen Âge employaient pour cela une petite boule de liège appelée muscade, d’où l’expression  »passez muscade ». »
On pourrait presque l’utiliser pour qualifier l’accord intervenu ce week-end sur les nominations des top-managers des cinq entreprises publiques dont les patrons actuels arrivent au terme de leur mandat : SNCB, Infrabel, Loterie nationale, Société fédérale de participation et d’investissement (SFPI) et Belgocontrol. Sans évoquer l’escroquerie (ce serait faux et calomnieux), on mentirait en ne reconnaissant pas le malaise inspiré par le vaste donnant-donnant qui a une fois de plus présidé à ces nominations, ajouté au fait qu’on y retrouve encore et toujours ce ballet des mêmes noms qui passent d’un gobelet à l’autre. En escamotant le Selor, le pourtant principal bureau de sélection de l’administration, le gouvernement a placé ses hommes à la tête des différentes entreprises publiques : le SP.A Frank Van Massenhove passe du SPF Affaires sociales à la tête de la SNCB ; le SP.A Jannie Haek est écarté du groupe SNCB mais devient patron de la Loterie nationale ; le PS Luc Lallemand reste aux commandes d’Infrabel ; l’Open-VLD Koen Van Loo garde les rênes du SFPI et le CD&V Johan Decuyper, chef de cabinet du secrétaire d’Etat à la Fonction publique (Hendrik Bogaert) dirigera Belgocontrol. Parallèlement, comme Marc Descheenmaecket (Open-VLD) est évincé de la SNCB, lui aussi, il est recasé à la tête de l’aéroport de Zaventem. Jean-Paul Servais (MR) reste, lui, patron de l’autorité de surveillance des banques (FSMA).

Crûment dit : on prend les mêmes, on les mélange et on les fait resurgir à un endroit de la table, jamais le même. Le badaud/contribuable/électeur regarde les cartes qu’on bat et rebat et assiste, au grand ballet, au grand défilé, au grand chassé-croisé. Il n’y perd pas forcément sa mise (on ne lui a pas demandé de jouer) mais il a tout de même comme une impression d’être floué, dupé. Parce que, finalement, quel que soit le bilan présenté par ces « top-managers », ils sont toujours là, mais passent d’entreprise en entreprise, pour occuper pratiquement chaque fois le même fauteuil. Comme dans le secteur bancaire, où les dirigeants traversent les époques et les crises, quelle que soit leurs responsabilités.

Pareil pour l’aspect « justice salariale », comme le proclame Jean-Pascal Labille, le ministre PS des Entreprises publiques (et ex-champion du cumul des mandats d’intercommunales) : les patrons ne gagneront désormais pas plus de 290 000 euros par an. Sauf que, dans les faits, des exceptions (taille de l’entreprise, nombre de salariés, intensité de la concurrence…) leur permettront d’aller jusque 319 000 euros. Sauf aussi que Didier Bellens reste (en principe jusque mars 2015) big boss de Belgacom avec une rémunération de… 2,48 millions par an. Parce que, comme pour bpost, où Johnny Thijs empoche 1,1 million annuel, le gouvernement n’a pas voulu appliquer là la règle du salaire plafonné.

Entre les postes attribués sans passer par le Selor, la répartition satisfaisant les partis, la plus grosse part du gâteau accordée à la Flandre, la distribution des mandats aux mêmes têtes et les salaires réduits pour certains seulement et avec des dérogations en prime, il y a de quoi s’estimer spectateur d’un gigantesque jeu d’escamotage, avec les fèves pour les acteurs et les hameçons pour le public. Passez muscade, donc.

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