Stavros Kelepouris

« Pas de nationalité belge ? Bienvenue chez les citoyens de seconde zone »

Stavros Kelepouris Journaliste pour Knack.be

Si tout se passe comme prévu, nous vivrons tout à l’heure dans un pays qui prend ses aises avec une de libertés fondamentales: celui de la présomption d’innocence. Enterrée. Dû moins pour ceux qui sont d’origine étrangère.

Aujourd’hui, le parlement devrait normalement voter une loi qui va lui permettre d’éjecter des gens d’origine étrangère – même s’ils sont nés ici ou qu’ils vivent depuis des années légalement en Belgique – sur le simple fait qu’il existe des présomptions qu’ils représentent une menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale. Pour que les choses soient claires : présomption ne veut pas dire condamnation. S’il y a des soupçons raisonnables – avec tout ce que ça peut bien vouloir dire – concernant une personne, celle-ci peut commencer à faire ses valises. La présomption d’innocence passera la frontière avec lui.

Cette proposition de loi a des conséquences pour ceux qui résident légalement en Belgique, mais qui n’ont pas la nationalité belge. Si par exemple vous êtes né en Belgique, mais que vos deux parents ne sont pas Belges, eh bien !,vous ne recevez pas automatiquement la nationalité belge.

Une partie de la population, par ailleurs bien intégrée, risque donc de se retrouver dans la position peu enviable de Belge de seconde zone. Voilà ce à quoi revient cette loi. Les Belges qui sont un danger pour l’ordre public auront eux encore droit à un procès. C’est tout simplement scandaleux. Celui qui demande à sa population de s’intégrer dans la société est dans l’obligation de traiter ces personnes sur un pied d’égalité. On ne peut demander à des personnes de signer une déclaration de citoyenneté si l’on supprime, à l’aide d’une loi, l’un de leurs droits fondamentaux.

Hier, cette loi devait encore passer devant une commission. Et comment a-t-on voté ? La majorité a voté pour et l’opposition a choisi l’abstention. Et personne, nada, schnol, que dalle n’a voté contre. La musique tant entendue des freins et contrepoids a encore figé l’assemblée. La parlementaire CD&V Nahima Lanjri a défendu la position de son parti en arguant que ce dernier avait obtenu de « sérieuses garanties ». Theo Francken (N-VA) a fait savoir dans les colonnes Du Morgen que « dans la pratique il y aura presque toujours un jugement, ou tout du moins des faits ne prêtant pas à confusion . »

La limite, le minimum minimorum, est donc des « faits qui ne prêtent pas à confusion ». La définition exacte de ce genre de faits étant laissée à l’interprétation, le gouvernement se drape dans le rôle de bourreau. Pas vraiment une garantie solide. On nous pardonnera donc de ne pas être rassurés. La question de savoir si quelqu’un doit être expulsé d’un pays doit, dans une saine démocratie, être décidée par un pouvoir indépendant. Pas par des navires gouvernementaux ballottés par les enjeux politiques.

Ron en Erik

En ce moment je lis « Je hebt wél iets te verbergen » (on a bien tous quelque chose à cacher) de Maurits Martijn & Dimitri Tokmetzis. Ces deux reporters hollandais tentent de déterminer tout ce qui est fait avec les données que l’on lâche de notre propre gré sur internet. Basé sur des histoires vraies, l’ouvrage nous ouvre les yeux. Par exemple l’histoire de Ron Kowsoleea, un Amstellodamois qui était régulièrement arrêté et interrogé alors qu’il n’avait rien fait de mal. Kowsoleaa avait un ami d’école qui frayait dans le milieu de la drogue et donnait son nom chaque fois qu’il était arrêté. Pour cette raison, il était fiché comme un dangereux criminel. Un jour, lassé, il demande à la police de mettre à jour son fichier. La police d’Amsterdam fait son mea culpa et s’exécute. Sauf que la modification n’est pas faite dans tous les fichiers du pays et la nuit une mise à jour globale refait de lui un homme classé comme dangereux.

Autre fait-divers: Erik Pas se rend en Amérique. À son arrivée il subit un lourd interrogatoire. Les Américains pensent qu’il s’est rendu en Jordanie. Ce qu’il nie. Le fait qu’il nie le rend de facto suspect. Pourquoi cacher que l’on se soit rendu dans ce pays, si nos intentions sont bonnes. Sauf que Pas ne s’est effectivement jamais rendu dans ce pays. Son provider d’internet avait acheté des adresses IP en Jordanie et avait fournie l’une de celles-ci à Pas. Du coup les Américains pensaient que Pas avait réservé son voyage depuis la Jordanie.

Vous comprenez sûrement où je veux en venir. Ron et Erik n’avaient rien fait de mal, mais il y avait pourtant des preuves bien réelles qu’ils pouvaient représenter un danger pour la sécurité nationale. La manière dont les Hollandais et les Américains traitent les données ne doit pas être très éloignée des rêves les plus fous des services belges. Si Ron et Erik vivaient en Belgique et que leurs noms étaient Mohamed et Abdullah, ils sentiraient à coup sûr le vent du boulet.

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