Drieu Godefridi

Pas de cordon sanitaire pour l’extrême gauche ?

Drieu Godefridi PhD (Sorbonne), juriste et auteur

Je fais partie de cette génération qui s’est éveillée à la politique avec la notion de « cordon sanitaire » : il est impensable de faire alliance avec un parti d’extrême droite, dit-on depuis trente ans, car ce serait moralement odieux et cela conduirait à la mort de la démocratie.

Depuis trente ans, la gauche démocratique nous explique que le FN, le Vlaams Belang et leurs avatars, sont des partis qu’il serait criminel de faire entrer dans une coalition de gouvernement, fût-elle locale. Car, une telle coalition serait comme laisser le loup entrer dans la bergerie. Elle donnerait à l’extrême droite une respectabilité, elle la doterait d’une « normalité » qui serait aussitôt mise à profit pour obtenir de nouvelles concessions. Jusqu’à mettre en péril nos institutions démocratiques.

Pourquoi pas ? L’idée qu’il est préférable de ne pas gouverner, en démocratie, avec des partis dont la respiration idéologique est anti-démocratique, se défend. Toutefois, cette posture était d’autant plus aisée, pour la gauche, que depuis trente ans l’extrême gauche est culturellement puissante, mais électoralement inexistante. Autrement dit, le « cordon sanitaire » s’appliquait de facto à droite sans exiger aucune concession à gauche.

Or, tel n’est plus le cas. Le parti du travail de Belgique (PTB) obtient aujourd’hui d’excellents résultats électoraux, et les sondages lui promettent, sinon le grand soir, du moins d’excellentes soirées électorales. À la différence des formations d’extrême droite, qui ne rejettent pas la démocratie dans leurs statuts, le PTB se réclame du marxisme, doctrine anti-démocratique s’il en est, dont la réalisation ne se conçoit pas sans l’abrogation de la démocratie, que ce soit dans la première phase (dictature du prolétariat), ou la fantasmatique seconde phase — jamais réalisée dans aucune expérience communiste — c’est-à-dire la société sans Etat.

Car, il faut le souligner, idéologiquement le PTB est un parti sérieux. Dans la version 2008 de ses statuts, le PTB s’affirme comme « parti communiste », se réclame du « marxisme comme fondement théorique », exige un « retournement social fondamental, sur les plans tant économique, étatique et politique qu’éthique ». Au plan économique, le PTB exige « la possession sociale des grands moyens de production. Cela signifie que les grandes entreprises, les grandes propriétés foncières, l’agrobusiness, les grands moyens de communication et de transport deviennent propriété collective ». En somme, « le PTB préconise une économie planifiée », gouvernée par « un appareil d’État socialiste ». Grande, quasiment parfaite, est la pureté idéologique communiste du Parti du travail de Belgique.

Rappelons que, concrètement, le marxisme est une idéologie totalitaire qui a causé, au XXe siècle, la mort de cent millions d’hommes, de femmes et d’enfants (Livre noir du communisme, sous la direction de S. Courtois, l’estimation est peu discutée). Jamais, dans l’histoire, une idéologie n’avait été à l’origine du massacre de tant d’êtres humains; on serait fondés, de ce point de vue, à qualifier le marxisme d’idéologie anthropophage.

Face à cette pureté anti-démocratique, et cette revendication sans fard d’une idéologie mortifère, on s’attendait à ce que la gauche démocratique se pince le nez et se dépêche de tresser un nouveau cordon sanitaire. Comment imaginer gouverner avec un parti dont les statuts (version 2008) renvoient à l’ouvrage « Le Parti de la révolution », par Ludo Martens, qui préconise la guerre civile comme méthode de gouvernement ?

Qui l’eût cru ? C’est le contraire qui s’est produit. Avec une touchante unanimité, la gauche démocratique s’est empressée de professer sa volonté de gouverner avec le PTB, dont elle affirme embrasser une large part du programme et des principes. Pour le socialiste Magnette, « le PTB propose les mêmes réformes que le PS, mais l’exprime de manière différente. Le ministre-président wallon n’exclut pas de collaborer avec le parti de Raoul Hedebouw, ajoutant que cela dépendra de l’attitude du PTB. » (Le Soir, 23 mai 2016). « Pour Ecolo, il n’y a aucune interdiction de principe vis ­à­ vis du PTB. On peut s’allier à tous les partis démocratiques sur la base de projets. Jusqu’à preuve du contraire, le PTB est un parti démocratique » déclare dans un entretien à La Libre du 5 novembre 2016 la coprésidente d’Ecolo Khattabi, qui gagnerait à se renseigner sur la définition du marxisme.

Il ne s’agit pas d’amalgamer les positions socialiste et écologiste. Dans le cas d’Ecolo, les convergences idéologiques et programmatiques avec le PTB sont réelles. Dans le cas du Parti socialiste, idéologiquement orphelin depuis de longues années, il s’agit davantage d’opportunisme. Mais dans les deux cas ces génuflexions face à l’extrême gauche privent la gauche du droit de donner des leçons de morale démocratique à la droite parlementaire.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire