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Paradis fiscaux : un arrêté disparu, des millions d’euros avec ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Un arrêté-royal sur la double imposition des dividendes a disparu, depuis plus de trois ans, dans les méandres du conseil des ministres. Avis de recherche.

Il se passe parfois de drôles de choses au gouvernement. Voici l’incroyable histoire de l’arrêté-royal fantôme. Et il ne s’agit pas d’un arrêté anodin, puisque celui-ci doit actualiser la liste, établie il y a dix ans, des paradis fiscaux qui ne permettent pas de bénéficier, en Belgique, de la déduction au titre des RDT (revenus définitivement taxés). RDT ? En gros, pour éviter une double imposition, une société qui détient des parts dans une autre société peut déduire substantiellement le montant des dividendes, sauf si cette autre société est établie dans un pays où le régime fiscal est nettement plus avantageux qu’en Belgique.

Ce mécanisme RDT est bien connu des particuliers fortunés et des sociétés. Tout comme les intérêts notionnels ou l’exonération des plus-values sur action, il fait partie des ficelles fiscales utilisées pour réduire l’assiette imposable. Un exemple : pour les années 2010 et 2011, le holding belge Pilinvest de Bernard Arnault a payé zéro euro d’impôts, alors que les bénéfices cumulés de la société pour ces deux exercices étaient de 85 millions d’euros. Tout cela légalement, grâce aux régimes des RDT et des notionnels.

Récemment, le désormais ancien ministre des Finances Steven Vanackere (CD&V) répondait à une question parlementaire de la députée Groen! Veerle Wouters qui se demandait pourquoi l’arrêté-royal en question, qui devait avoir été approuvé par le conseil des ministres en 2010, n’avait jamais été publié. Vanackere n’avait pas connaissance de cet arrêté. Pour lui, le texte n’avait pas été adopté, sans doute parce qu’on avait jugé, à l’époque, qu’une mise à jour de la liste des pays RDT n’était pas nécessaire.

Mais voilà que, dans son dernier numéro, la lettre hebdomadaire Le Fiscologue, très prisée des fiscalistes de tous poils (avocats, magistrats…), a retrouvé, et publie donc, le communiqué de presse du conseil des ministres du 27 janvier 2010 à propos de l’actualisation de la liste des pays RDT. L’arrêté-royal a bien été adopté ! Le communiqué énumère d’emblée les pays en question : il en ressort que 40 pays devaient être retirés de la liste initiale et surtout 15 nouveaux pays devaient y figurer. Ce n’est pas un mince changement… Pas surprenant : ces dernières années, sous la pression de l’OCDE, la situation des places fiscalement attrayantes a fort évolué.

Bref, le mystère de l’arrêté fantôme reste entier. Qu’est devenu ce texte ? Pourquoi la liste n’a-t-elle toujours pas été mise à jour dans le Code des impôts ? D’après nos contacts à l’administration des Finances, l’arrêté-royal n’a pas été transmis à celle-ci. Il serait donc toujours au ministère des Finances, depuis 2010 ? Mais alors pourquoi Vanackere n’en avait-il pas connaissance ? A moins que, lors d’un prochain conseil des ministres, on ne retrouve sous un tapis du 16 rue de la Loi un vieux morceau de papier jauni… Il y a décidément des esprits malins autour du « cercueil » (nom donné à la table du conseil en raison de sa forme).

Où est le modèle belge ?

En matière de double imposition, l’OCDE a établi, depuis cinq ans, un modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune. Ainsi, lorsqu’un pays membre de l’organisation conclut ou révise une convention fiscale bilatérale (notamment sur les dispositions RDT), il doit se conformer à ce modèle. La jouant perso, la Belgique a adopté, en 2007, un modèle standard qui déroge quelque peu au modèle OCDE. Mais ce modèle n’a jamais été débattu à la chambre et n’a pas davantage été adopté par le conseil des ministres. A ce jour, aucune convention n’a donc été négociée en référence à ce modèle. Ni à celui de l’OCDE.

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