Thierry Denoël

Parachutes dorés : l’audace suisse

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les citoyens suisses ont taclé les grands patrons en décidant d’interdire les parachutes dorés. L’initiative helvétique fait grand bruit et secoue le monde des entreprises cotées en bourse. Elle pourrait surtout faire des émules dans d’autres pays, dont la Belgique.

Boum ! C’est une bombe que viennent de faire exploser les Suisses en disant largement « oui » à l’interdiction des rémunérations abusives des patrons des sociétés suisses cotées en bourse. Près de 68 % des votants ont donc soutenu l’initiative Minder, du nom de l’homme d’affaires et sénateur UDC (droite populiste), à l’origine du projet de loi.

Fait exceptionnel : le « oui » l’a emporté dans tous les cantons pour mettre les patrons au régime sec, au grand dam des milieux patronaux. A coups de millions de francs suisses, ceux-ci ont incité à voter « non », stigmatisant un débat émotionnel notamment autour de la prime de départ de 58,8 millions d’euros que vient de s’octroyer Daniel Vasella, le président sortant du géant pharmaceutique suisse Novartis.

Il n’empêche : le signal a été donné par la population d’un pays plutôt généreux vis-à-vis des grosses fortunes et des banquiers. Un pays où le taux de chômage plafonne à 3 % (un rêve pour tous les gouvernants européens !) et où le taux de pauvreté (8 %) est l’un des plus bas du monde avec les pays scandinaves. Malgré cela, les Suisses ont marqué leur ras-le-bol face aux excès de certains patrons qui, en continuant de s’octroyer des rémunérations exorbitantes, n’ont pas retenu les leçons morales de la crise économique. Le projet suisse n’est cependant pas près d’aboutir. Il doit encore rencontrer une majorité au parlement qui, comme le gouvernement de Berne, s’est montré très critique vis-à-vis de la votation. Même si le texte est adopté, il faudra attendre au moins un an avant sa mise en oeuvre…
Quoi qu’il en soit, le vote populaire suisse est explosif. D’autant qu’il intervient dans le contexte du compromis européen du 27 février sur la nouvelle règlementation du secteur bancaire, laquelle prévoit de limiter les bonus à la part fixe du salaire. Dimanche, les Suisses ont fait sauter un verrou de manière spectaculaire. Ils ont dit « non » à l’indécence. Leur audace résonnera dans bien des pays européens, surtout à l’heure où les inégalités de revenus se creusent (1). Sur les forums Internet, les internautes se déchaînent depuis hier pour saluer le vote suisse. En Belgique, Ecolo a déjà annoncé son intention de réactiver une proposition de loi déposée en 2011, prévoyant de taxer à 75 % les bonus de sortie de plus d’un million d’euros.

Les représentants patronaux qui jugent tout cela populiste auront fort à faire pour imposer leur argument selon lequel les salaires très élevés des grands patrons sont une garantie de bonne gestion. Surtout, lorsque ceux-ci, quittent le navire en le laissant prendre l’eau voire couler. En 2001, le dernier président de Swissair avec touché 12 millions de francs suisses alors qu’il avait conduit la compagnie aérienne à la faillite. En 2006, l’ancien patron d’UBS avait reçu près de 22 millions d’euros alors que le groupe financier zurichois affichait une perte de 3,6 milliards d’euros. En 2010, les deux dirigeants de Swiss Re ont reçu chacun 2,4 millions d’euros de bonus, alors que la compagnie de réassurance accusait un déficit de plus de 700 millions d’euros.

Thierry Denoël

(1) C’est vrai aussi en Belgique, surtout à Bruxelles (voir le coefficient de Gini : http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/fisc/inegalite_de_revenu/).




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