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Ores : la pression politique monte

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Après l’ouverture d’une information judiciaire, le gouvernement wallon mène l’enquête, les députés ouvrent le débat et des communes pourraient ne pas voter les comptes 2016 de l’intercommunale.

La pression monte sur le terrain politique dans le dossier Ores/Electrabel. L’annonce de l’ouverture d’une information judiciaire au parquet de Nivelles sur la base des révélations faites par le conseiller communal PS de Genappe, Jean-François Mitsch, relayées début mars dernier par Le Vif/L’Express, délie les langues. Il ne s’agit à ce stade que d’une information  » ultrapréliminaire  » et de  » vérifications de routine « , selon le procureur du Roi Jean-Claude Elslander, mais cela place les autorités wallonnes devant leurs responsabilités, elles qui ont fait de la bonne gouvernance une priorité après Publifin.

Et cela bouge. Le ministre wallon des Pouvoirs locaux, Pierre-Yves Dermagne (PS), a demandé un rapport à son administration. Le cabinet de son collègue de l’Energie, Christophe Lacroix (PS), a reçu Jean-François Mitsch afin qu’il développe ses interpellations.  » Cette affaire a été confiée à la justice, je serai donc prudent, a précisé le ministre. Mais l’affaire peut être grave si elle est bien réelle.  »

Fernand Grifnée, patron d'Ores, devrait être entendu au parlement wallon.
Fernand Grifnée, patron d’Ores, devrait être entendu au parlement wallon.© Thierry du Bois/Reporters

La vigilance des députés

Au parlement wallon, on est soucieux de faire toute la clarté sur les différentes dimensions de cette affaire tentaculaire. Le principal lièvre levé par le conseiller communal de Genappe concerne le rachat, finalisé fin 2016, des parts d’Electrabel détenues dans Ores par les communes, via sept intercommunales pures de financement : le coût de l’opération, 409 millions, aurait été largement surévalué au regard du rapport d’un réviseur mandaté par les communes. Un autre marché concerne le retrait des communes d’Electrabel Customer Solutions (ECS) à un coût bradé en raison, là, des pertes engrangées par ECS durant les trois années précédant l’opération (2013, 2014 et 2015). Les responsables d’Ores et d’Electrabel, qui réservent désormais leur argumentation complète à la justice, estiment que ces opérations se sont, au contraire, faites dans les règles et selon la valeur économique du réseau.

L’affaire Ores est devenue un sujet d’actualité au parlement wallon.  » Cela mérite investigation, reconnaît Christophe Collignon, chef de groupe PS. Soit on a payé le juste prix, soit on s’est fait rouler, soit c’est… plus grave. Il n’y a pas de raison que l’on traite Ores différemment que Publifin. Nous devons obtenir des réponses claires, avec une investigation neutre.  » Pierre-Yves Jeholet, chef de groupe MR, souhaite la tenue d’une commission à ce sujet.  » Oh, pas une commission d’enquête comme pour Publifin. Mais auditionnons la personne qui est à l’initiative de l’information judiciaire. Invitons les personnes qui ont négocié à venir dire pourquoi le réseau a été racheté à 409 millions d’euros alors qu’il a été évalué par un expert indépendant entre 275 et 300 millions d’euros. Nous aurons la clarté… J’ai interrogé le ministre de l’Energie pour savoir si l’accord a été validé par le gouvernement. Il a un peu botté en touche en disant qu’il n’avait rien à voir avec cela. Mais c’est le rôle de la tutelle, quand même. On se demande une nouvelle fois s’il y a un pilote dans l’avion.  » Jean-François Mitsch et Fernand Grifnée, patron d’Ores, devraient donc être entendus au parlement ainsi que les négociateurs de l’accord Ores/Electrabel de 2008. Un sondage informel organisé par la RTBF, dimanche 21 mai, indiquait en outre que 80 % des internautes souhaitent une commission d’enquête parlementaire, comme pour Publifin.  » Nous n’en sommes pas encore là « , temporise Christophe Collignon.

Tous les acteurs du secteur attendent enfin une vision claire pour s’engager dans la transition énergétique »

 » La question concernant l’évaluation de ce marché est incontestablement celle qui pose les plus lourdes questions, affirme au Vif/L’Express Stéphane Hazée, chef de groupe Ecolo. Le gouvernement wallon s’est emparé du dossier, mais nous serons extrêmement vigilants.  » Le député écologiste annonce d’ores et déjà une interpellation en commission budget du parlement, ce lundi 29 mai. Il dénonce aussi l’opacité de la rémunération des dirigeants d’Ores scrl, filiale d’Ores Assets. Fin mars, L’Echo révélait que son patron, Fernand Grifnée, disposait d’un paquet salarial de 470 000 euros par an.  » Je rappelle que dans notre rapport intermédiaire relatif à Publifin, nous fixons le plafond à 250 000 euros pour la rémunération de tous les dirigeants d’une structure publique « , ajoute Stéphane Hazée. Toute l’ambiguïté, tant dans le cas d’Ores que de Publifin, réside dans la structure des intercommunales, pour lesquelles une société privée a été chargée de gérer l’exploitation – Ores scrl dans ce cas-ci.

La rébellion des communes

L’autre point d’attention sur le plan politique est la prochaine assemblée générale d’Ores organisée le 22 juin au palais des expositions de Namur, ouverte au grand public et précédée par une série d’assemblées dans les intercommunales de financement. Lors de conseils communaux préalables, les mandataires des 197 communes membres d’Ores devraient entériner les comptes 2016 de l’intercommunale et se prononcer sur des changements de structures importants, tant dans le cas d’Ores Assets (structure publique) que d’Ores scrl (structure privée).  » Il est important que chacun des élus puisse se prononcer en disposant de toutes les informations nécessaires, dans le respect de l’autonomie communale et du Code des sociétés « , insiste Jean-François Mitsch. Qui dénonce déjà une série de manquements par rapports aux réformes de gouvernance wallonne.

Jean-François Mitsch (PS) est à l'origine des révélations dans le dossier Ores/Electrabel.
Jean-François Mitsch (PS) est à l’origine des révélations dans le dossier Ores/Electrabel.© Debby Termonia

Le  » lanceur d’alerte  » de l’affaire Ores évoque deux scénarios complémentaires pour les 197 communes membres d’Ores. D’une part, elles pourraient songer à ne pas approuver les comptes 2016 et ne pas voter la décharge des administrateurs, ni dans les intercommunales de financement, ni dans Ores. Cela imposerait aux structures concernées de justifier les opérations figurant au bilan pour obtenir une décharge, faute de quoi la responsabilité des administrateurs serait engagée. D’autre part, les communes qui s’estiment lésées pourraient se porter partie civile dans le cadre de l’information judiciaire ouverte à Nivelles. Philippe Mettens, bourgmestre PS de Flobecq, a déjà appelé les communes à être solidaires (Le Vif/ L’Express du 19 mai).  » Car les informations révélées sont très préoccupantes « , nous disait-il. D’autres communes, y compris celles avec à leur tête un bourgmestre libéral, envisagent de se joindre à l’une des deux demandes.

A Genappe et au PS, ce vent de fronde provoque des résistances. Il a été demandé à Jean-François Mitsch de cesser ses  » actions individuelles  » pour céder la place à une stratégie collective. Une position sera décidée au niveau des fédérations pour l’orientation du vote en assemblée générale.  » Il est normal et souhaitable que tous les partis définissent une position, rétorque l’intéressé. Mais cela n’empêche en rien les élus et les communes de se prononcer en âme et conscience, notamment s’ils estiment ne pas avoir suffisamment d’informations.  » Traduisez : en attendant le résultat des procédures en cours au niveau du gouvernement, voire de l’enquête judiciaire.

 » Le pire dans cette affaire, conclut Jean-François Mitsch, c’est que les citoyens paient un prix anormalement élevé par rapport aux autres pays européens. Et qu’il n’y a pas de projet pour la politique énergétique belge et régionale. Tous les acteurs du secteur attendent enfin une vision claire pour s’engager dans la transition énergétique.  »

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