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Ont-ils tué Kitty ?

Trois hommes au lourd passé répondent du meurtre brutal d’une toute jeune policière, fin 2007 à Lot. Mais ils nient. Et l’administration de la preuve est déjà discutée. Le procès s’annonce très chaud.

Des procès d’assises, il s’en déroule chaque semaine. Mais certains sortent du lot et il n’est pas douteux que ce sera le cas de celui dont les débats s’ouvent ce lundi à Bruxelles (après que le jury eut été constitué le 23 février et avec un agenda courant si besoin jusqu’au 25 mars). Plusieurs éléments concourent à cette évidence. La brutalité des faits, d’abord. Dans la nuit du 3 au 4 décembre 2007, trois truands cagoulés, vêtus de noir et lourdement armés s’en prennent au domicile des Sacoor, une famille sans histoire qui réside à Lot, rue de Beersel. Objectif, semble-t-il : la clé du break familial, un Peugeot 407. Le bruit alerte le père, Ismaïl. A 52 ans et assez sûr de lui (il est ceinture noire de karaté), il rejoint les intrus au premier étage, en blesse un à sang mais est rapidement neutralisé : trois balles le frappent au ventre et à la jambe. Il tombe dans l’escalier, devant sa femme ainsi que ses enfants de 8 et 11 ans.

Sans rien savoir de cela, les inspecteurs Kitty Van Nieuwenhuysen et Peter Van Stalle, en ronde de routine dans leur Combi, remarquent à leur approche, en arrivant par hasard sur les lieux, un mouvement de fuite. Ils appellent des renforts mais, à 2 h 48, Peter Van Stalle, qui conduit, actionne le signal d’urgence de la radio de bord en chutant de son siège. Il vient d’être touché par deux balles, à la main et au flanc. Un déluge de plomb, à vrai dire, tiré sans sommation au fusil d’assaut (un kalachnikov AK47) à cinq mètres du véhicule. Avec dix impacts sur la portière de Kitty Van Nieuwenhuysen (16 au total sur le côté droit du Combi et vingt douilles trouvées au sol), c’est une boucherie. Lorsque les renforts arrivent, Ismaïl Sacoor et Peter Van Stalle (27 ans) sont encore en vie. Mais Kitty Van Nieuwenhuysen, elle, a été tuée net, le crâne ouvert, le cou vrillé et une cuisse transpercée.

Tout un symbole C’est ensuite la personnalité de la principale victime qui hantera le procès. Kitty – très vite, on ne l’appellera plus que comme cela – était l’un des plus jeunes membres de la police. Elle aurait dû fêter ses 24 ans le lendemain des faits. Alliant la fraîcheur (elle était sortie de l’école de police au mois de juin précédent) à cette qualité qui n’attend pas le nombre des années, elle avait ravi ses collègues, jamais avares d’éloges à son sujet. Son métier, elle le pratiquait par idéalisme, avec une motivation parfaite. Et la dignité exemplaire de ses parents, dans un rare battage médiatique, allait encore magnifier l’image de celle qui, désormais, ferait figure d’icône au coeur d’une Belgique stupéfaite.

Mais le procès risque d’être houleux à d’autres égards. Arrêtés le 20 janvier 2008 (à leur retour sur le sol belge qu’ils avaient tous quitté peu après le drame), trois Carolos sont sur la sellette : Hassan Iasir, un Belgo-Marocain né à Auvelais en 1976 ; Nourredine Cheikhni, également Belgo-Marocain et né à Charleroi en 1977 ; Galip Kurum, un Belgo-Turc né dans la même ville en 1978. Tous trois sont présumés innocents et tous trois nient sans désemparer. Dans un concert aux bémols et dièses un peu différents, ils soutiennent d’ailleurs que l’enquête, que l’un qualifie de « complot », a été « manipulée » et qu’ils sont victimes d’un « acharnement » de policiers aveuglés par la mémoire de Kitty.

L’argument sera d’autant plus évoqué aux assises de Bruxelles que deux événements (« déplorables », admet-on au palais de justice) ont marqué l’instruction. Deux belles grosses violations du secret professionnel : un policier, toutefois étranger à l’enquête, avait livré le casier judiciaire et la photo des intéressés à une amie journaliste (avec publication sous le titre « Voici les assassins de Kitty »). Il a été inculpé et la présomption d’innocence, ruinée. Ensuite, le Pr Dieter Deforce, auteur des principales analyses génétiques de l’affaire, s’était dangereusement exprimé dans un hebdomadaire. « [Les policiers] ont eu quasi tout de suite une idée de l’identité des auteurs », disait-il entre autres. De quoi nourrir le sentiment des accusés qu’ils étaient tombés dans le collimateur ex nihilo, tombés dans une enquête à sens unique ? « C’est en tout cas révélateur de l’état d’esprit de la police, estime Michel Bouchat, avocat d’Hassan Iasir. C’est compréhensible, mais certains étaient peut-être revanchards. » Le ministère public, lui, soutiendra sans doute que tout cela n’invalide pas les analyses ADN. Et rappellera peut-être que les instances d’instruction, suivies par la Cour de cassation, n’y ont pas vu de quoi refuser la recevabilité des poursuites. Ou encore que des éléments à décharge ont aussi été relevés.

Nombreux indices Reste que le passé des accusés, qui n’ont pas d’alibi sérieux, ne les sert pas. Ensemble et au total, ils ont été suspectés pour 102 faits distincts (mais condamnés « seulement » 12 fois), dont certains ressemblent, par les méthodes, à ceux de Lot. Et, pour ces derniers, des éléments troublants sont mis en avant, comme ces analyses génétiques qui montrent que des objets (outils et gilet pare-balles) découverts dans la voiture abandonnée sur place par les auteurs portaient des traces d’ADN appartenant très vraisemblablement à MM. Iasir, Cheikhni et Kurum. Ou comme le fait que la direction de fuite menait droit vers eux. Ou encore comme les relevés et écoutes téléphoniques, qui mettent à mal leur crédibilité. Et itou pour des transferts de fibres textiles, qui les accablent. Sans même parler de quelques cheveux perdus et accusateurs… Toutes choses qui ne convainquent pas la défense : « L’importance de l’administration de la preuve sera plus présente ici que dans d’autres procès, estime Me Bouchat, car de l’ADN mélangé trouvé sur une pince, dans un sac, dans une voiture, est-ce la preuve d’une présence sur les lieux ? Kitty n’a pas été tuée avec une pince. » Aux jurés (qui doivent aussi juger le trio pour un vol avec violence commis à Roux en 2007) de dire ce qu’il en est !

Mais d’autres ingrédients pourraient teinter le difficile procès. Ainsi, fin 2008, un agent administratif de la prison de Forest commettait un oubli sévère qui avait conduit à la « libération » technique d’Iasir (il était malgré tout resté en prison par effet d’un mandat d’arrêt supplémentaire). Or cet agent, inculpé de corruption passive, a avoué avoir reçu 5 000 euros pour cela (il devait en toucher 5 000 autres plus tard). Iasir soutient qu’il « invente ». Ainsi aussi, plusieurs « méthodes particulières de recherche » (écoutes, surveillance, infiltration électronique) ont été mises en oeuvre. Or leur application, intensive, pourrait être discutée.

Hors le prétoire, une dimension communautaire n’est pas à exclure, qui sait dans la presse néerlandophone : si les victimes sont flamandes, les auteurs seront jugés en français. Une procédure normale mais où les parents de Kitty, l’icône du Bien, sont les perdants. Et qui profite aux supposés apôtres du Mal… francophones. Même l’application de la libération conditionnelle, dont deux des trois accusés bénéficiaient au moment du massacre, pourrait à nouveau être discutée. Et, du côté des forces de l’ordre, la pression sera sans doute maximale : on a déjà vu, à la même cour d’assises voilà quelques années, des policiers manifester au palais durant la délibération du jury, dans une affaire où un de leurs collègues avait été tué. La même police qui, par ailleurs, a prévu de très sévères mesures de sécurité…

Un procès décidément chaud mais avec, parmi tous ces écueils, un atout : la présidente Karin Gérard jouit heureusement d’un immense savoir-faire, comme elle l’a encore démontré dernièrement dans le difficile procès Storme.

ROLAND PLANCHAR

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