Yves Leterme © Belga

« On fait encore de la politique comme au siècle passé »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Yves Leterme, ancien Premier ministre, ne sera pas bourgmestre d’Ypres et renonce aux communales de 2018. Un engagement incompatible avec son nouveau travail pour la promotion et la revitalisation de la démocratie dans le monde. Entretien exclusif.

On avait quitté Yves Leterme, Premier ministre sortant, emporté tel un fétu de paille par les tornades des crises belges à répétition. Puis on l’a revu à Paris, où il pansait ses plaies en tant que secrétaire général adjoint de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Aujourd’hui, à 55 ans, l’ancien ténor social-chrétien flamand s’est reconstruit, à Stockholm, où il dirige Idea, une organisation intergouvernementale comptant 21 Etats membres, chargée de la promotion de la démocratie dans le monde. Loin de la politique active. Quoique…

Le Vif/ L’Express : Comment se passe votre nouvelle vie après la politique ?

Yves Leterme : Très bien. Avec le recul, je me rends compte que ce fut un choix judicieux de recommencer à travailler dès le lendemain de mon départ du 16, le 6 décembre 2011. Je suis assez content de m’être reconstruit moi-même sur le plan professionnel, seul. A l’époque, j’aurais pu à nouveau faire partie du gouvernement et puis prolonger ma carrière dix ou quinze ans, mais j’ai fait un autre choix. Je n’ai jamais eu la conviction que l’engagement politique devait être une carrière complète, jusqu’à la retraite. Je suis parti à temps pour ne pas finir dans cette dépendance. Il y a un an et demi, j’ai été approché par un chasseur de têtes qui m’a proposé d’être candidat à la tête de l’Idea, à Stockholm. Cela tombait mal parce que je venais d’être reconduit pour deux ans à l’OCDE. Mais j’ai fini par accepter.

Depuis, vous avez en outre repris le flambeau de Jean-Luc Dehaene pour gérer la politique du fair-play financier initiée par Michel Platini. Par défi ?

Voilà. Quand la demande de l’UEFA est venue, je n’ai pas hésité un instant. C’est un secteur économique qui représente 25 000 emplois indirects et trois ou quatre fois plus d’emplois indirects. Et c’est un des rares domaines où nous avons encore plus qu’une longueur d’avance sur les autres continents. Le fair-play financier contrôle la santé des quelque 238 clubs qui participent aux compétitions européennes. Il y a deux conditions pour une participation : ne pas avoir de dettes et avoir un équilibre financier entre recettes et dépenses, dont sont exempts les investissements dans la formation, les clubs féminins, les stades… Je suis l’investigateur en chef. 90 à 95 % des clubs passent l’épreuve sans problème, mais nous prévoyons en outre des procédures d’assainissement pour ceux qui échouent, comme ce fut le cas pour Manchester City ou le PSG. A côté de cela, je suis encore administrateur de Tele Columbus, une société allemande de télécommunications, cotée en Bourse à Francfort depuis janvier, avec une capitalisation de plus d’un milliard d’euros. Cela aussi, c’est passionnant.

La politique belge, c’est définitivement terminé ?

C’est une page tournée, en effet. Je préside encore momentanément le conseil communal d’Ypres. Je devais normalement devenir bourgmestre à la fin de l’année. Je pourrais prêter serment devant le gouverneur demain si je le voulais, mais mon travail à Stockholm est incompatible. Or, je veux continuer là-bas au moins deux ou trois ans.

Jusqu’aux prochaines élections communales de 2018. Serez-vous candidat ?

Non. Lâcher le maïorat d’Ypres, c’est un des moments les plus difficiles de ma carrière. Je dois encore formaliser la décision à la fin de ce mois. Mon activité principale, désormais, c’est la promotion de la démocratie.

Vous faites de la politique autrement, en quelque sorte ?

Jusqu’ici, j’avais toujours été un conducteur. Aujourd’hui, je travaille sous le capot de notre système. J’apprends à améliorer le fonctionnement des institutions, des partis politiques… Avec Idea, nous avons une influence sur le terrain dans au moins une vingtaine de pays où la démocratie est encore en pleine évolution, où nous agissons en tant que consultants : en Birmanie, en Haïti, au Népal, au Chili… Nous sommes aussi un centre de recherches important. Une de mes conclusions, un an et demi après mon arrivée, c’est que nos systèmes politiques ne sont pas toujours en phase avec les mutations très rapides de nos sociétés…

C’est-à-dire ?

En Europe occidentale, nous faisons encore de la politique sur base d’idéologies inventées au XIXe siècle, avec des outils du XXe siècle pour essayer de répondre à des problèmes du XXIe siècle, comme la globalisation ou la libéralisation. Notre démocratie représentative est de plus en plus mise à mal par l’évolution effrénée de la société, mais aussi par la personnalisation à outrance de nos systèmes politiques, la difficulté d’avoir un engagement durable des citoyens ou encore l’incapacité du monde politique à accomplir ses promesses en raison de la complexité de notre monde. Beaucoup de secteurs se sont aujourd’hui soustraits de l’influence des politiques, mais les politiques sont encore forcés de montrer leur capacité à agir même quand ils n’ont plus de réelle influence. C’est contradictoire. Il faut trouver de nouveaux systèmes qui garantissent la pérennité du concept même de la démocratie.

Une démocratie plus participative comme le prônait l’écrivain David Van Reybrouck ?

Oui, notamment. Aujourd’hui, les gens restent très concernés et très intéressés par le débat public, mais les structures ne les relaient plus. Il faut renouveler, changer… Il y a une multiplicité d’idées de modèles permettant aux partis d’avoir un feedback continu des électeurs via un dialogue continu et approfondi avec des groupes de citoyens de référence. Il y a par ailleurs des tendances qui ne sont pas à 100 % positives comme l’organisation de primaires et la personnalisation à outrance du débat politique. C’est typique aux Etats-Unis et plus récemment en France, avec le système présidentiel, mais je suis persuadé que nous allons assister à une telle évolution dans des démocraties parlementaires comme la nôtre. Or, le vrai débat concerne l’effet des décisions que l’on prend sur les salaires, les crèches, les transports… Pas sur des personnes.

Le danger n’est-il pas que des Marine Le Pen ou Viktor Orban profitent du système pour générer des dérives populistes ?

Il est très important que ces dirigeants puissent exprimer ce qui vit dans la société. La crise bancaire et financière de 2007-2008 fut comparable à mes yeux au krach boursier de 1929. Comme chaque crise financière, elle a eu un impact sur l’économie réelle, puis sur la protection sociale, puis sur la crédibilité du politique. Dans les années 1930, on a vu ce que cela a donné, avec des conséquences politiques terribles. Je ne veux pas dédouaner ce qui se vit en France, en Hongrie, ou ailleurs, pas du tout, il y a des prises de position abjectes et il faut être vigilant. Mais cela reste gérable. Il faut laisser s’exprimer cette désillusion, tout en y apportant des réponses. La démocratie doit permettre l’expression de ce dégoût.

Vous avez vécu, vous, en tant que Premier ministre, le déclenchement de cette crise. Un cauchemar ?

Le monde politique en général et mon parti particulier ont eu une réaction de sagesse à la fin septembre 2008. Je me rappelle très bien de ce congrès au cours duquel nous avons décidé de mettre un terme au cartel avec la N-VA parce qu’elle ne voulait plus y participer sans une profonde réforme de l’Etat. Alors qu’aujourd’hui elle mène le pays sans réforme de l’Etat, mais soit… J’étais alors un des seuls à savoir quelle était la gravité de cette crise financière qui allait toucher notre pays de plein fouet. Ce fut une des prises de responsabilité des plus importantes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce samedi après-midi-là, je me suis dit que je ne devais plus tenir compte de ma popularité ni de ma position au sein de mon parti, mais que je devais me concentrer sur mes responsabilités.

Et vous l’avez payé ?

Oui, je l’ai payé. Mais je suis resté honnête, même si on a tenté de porter atteinte à mon intégrité en affirmant que j’ai tenté d’influencer des juges. Après les élections, je suis revenu. Pendant la période des affaires courantes – durant 541 jours, ce n’est pas rien ! -, nous avons évité que cela ne dérape, alors que c’étaient des années cruciales. Nous avons été au bout des possibilités constitutionnelles. Un jour, peut-être, on me fera crédit de cela.

Cette expérience un peu amère nourrit-elle ce que vous faites maintenant ?

On est ce qu’on est par les rencontres que l’on fait et les expériences que l’on a. Mais ma nouvelle vie me comble.

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