Manifestation dans les rues de Bruxelles (archive). © Belga

 » On est dans une logique d’humiliation des travailleurs « 

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Avant la grande manifestation syndicale nationale, ce jeudi, Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB, et Marie-Hélène Ska, son homologue de la CSC, expliquent longuement les raisons de la mobilisation, de son calendrier et de son ampleur. Les deux chefs de file syndicaux dénoncent la vision de la société qu’ils relèvent dans les mesures de la suédoise.

Levif.be : On en est au début de l’instauration d’un rapport de forces…

Marc Goblet : Mais qui provoque le rapport de forces ?

Marie-Hélène Ska : On est aussi face à une vision très punitive de la société. C’est : il n’y a pas d’autre issue possible.

M. G. : Ce qui est faux…

M.-H. S. : Nous ne sommes pas d’accord, il y a des alternatives possibles du côté des recettes. Il faut réinvestir massivement dans la jeunesse, dans la culture, dans la justice, dans des secteurs qui risquent de devenir une justice de classe encore plus qu’aujourd’hui. Le message que nous délivrons au gouvernement, c’est : osez, bon dieu de bon sang, osez faire de la place aux acteurs de la société, osez faire une vraie place aux jeunes…

Quand je regarde l’avenir qui est promis aux femmes, qui représentent quand même 50 % sur le marché de l’emploi, on va aller diminuer les crédits-temps sans motif. Vous pourrez encore combiner vie professionnelle et vie familiale, mais si c’est justifié. Pour tout ce qui vous permet de souffler, c’est non. On est dans une logique d’humiliation des travailleurs alors que si le chômage est si important en Belgique, ce n’est pas parce que les gens veulent se tourner les pouces mais parce qu’on ne trouve pas un système économique capable d’absorber la main d’oeuvre qui est sur le marché de travail.

C’est cette vision de société et ces choix démocratiques… Je suis d’accord que nous sommes après des élections et que des choix ont été émis, mais ces votes-là ne visaient pas à détruire la cohésion sociale qui est la nôtre aujourd’hui. Cela nous fait profondément peur pour l’avenir.

Le rapport de forces pourrait être important, avec une mobilisation importante. Vu votre discours, il y a peu d’issues.

M. G. : Nous avons quatre priorités au niveau du front commun syndical.

La première, c’est le pouvoir d’achat. Cela signifie qu’il n’y ait pas de saut d’index, qu’il y ait une liberté de négociation. La deuxième, c’est que l’on ait une sécurité sociale renforcée et pas affaiblie comme on le fait pour l’instant, avec une réflexion sur l’aménagement des fins de carrière qui permettent aux gens de travailler plus longtemps dans des conditions de sécurité et d’hygiène acceptable.

La troisième priorité, c’est d’avoir un plan de relance qui permet de créer des emplois de qualité d’une manière durable. On ne retrouve pas une ligne dans l’accord de gouvernement.

Quatrième point : une fiscalité plus juste. Qui peut concevoir un instant qu’il est normal qu’un revenu du travail soit taxé en moyenne entre 35 et 45 %, qu’un revenu mobilier le soit entre 0 et 25 % et je ne vous parle pas des revenus immobiliers. Or, dans ses choix, le gouvernement porte tout sur les réductions de dépenses et, sur les recettes, va chercher plus de la moitié sur la consommation, c’est-à-dire sur ceux qui sont déjà touchés, les travailleurs et les allocataires sociaux, et commet des mesurettes sur la problématique du capital. On parle des îles Caïman, on verra comment cela se passera, mais c’est de la transparence opaque. Dans le domaine des banques, ce que l’on fera est insignifiant et dans les opérations boursières aussi. Et on nous dit que cet accord de gouvernement est social !

M.-H. S. : Le plan de relance… L’Europe invite tous les pays à présenter pour le mois de novembre les projets pour les 300 milliards d’euros disponibles. Je lis la presse et je vois que l’on va financer le tunnel Reyers…

M. G. : … ou le contournement d’Anvers.

M.-H. S. : Oui, et on va demander 200 milliards d’économies à la SNCB alors que l’on a une congestion automobile sans précédent en Belgique, nous sommes champions toutes catégories, et on va réduire le nombre des trains, le rythme du RER, le boulot des cheminots… nous sommes dans un non-sens absolu. Le gouvernement peut inverser la tendance.

Par ailleurs, 20 000 jeunes vont passer à la trappe, une mesure décidée par le précédent gouvernement, cela veut dire qu’ils vont sortir de tous les radars, qu’ils n’ont plus aucune perspective, qu’ils n’aient plus de seconde chance. On est dans un déséquilibre important entre des mesures qui ne vont pas rapporter grand-chose à l’Etat mais qui vont stigmatiser toute une série de catégories de la population, et des mesures qui pourraient rapporter beaucoup mais dont on n’envisage pas qu’elles soient possibles. Marc a donné l’exemple de la fiscalité, on peut continuer avec la fraude fiscale. Si on organisait demain des JO de la fraude, nous serions quasiment prêts d’avoir une place sur le podium…

M. G. : Et le pire, c’est qu’ils mettent le même montant pour la fraude sociale que pour la fraude fiscale.

M.-H. S. : Or, on sait que l’un des principaux problèmes pour la fraude fiscale, c’est la prescription parce que la justice ne suit pas parce qu’elle n’en a pas les moyens. Et sur la fraude sociale, on parle de personnes qui travaillent alors qu’elles reçoivent des allocations alors que l’essentiel aujourd’hui, ce sont les carrousel TVA, le dumping social organisé qui coûté 15 000 emplois à la Belgique en un an. Ce sentiment qu’il y a deux poids deux mesures est profondément insupportable.

La pauvreté est ce qu’elle est en Belgique mais dans cinq ans, on aura des indicateurs autrement plus importants. Surtout, on aura un éventail d’inégalités qui se seront creusés.

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