Olivier Maingain © Hatim Kaghat

Olivier Maingain : « La Belgique sera fédérale ou ne sera pas »

Han Renard

Olivier Maingain est de retour. Suite à la manoeuvre du président du cdH, son parti est devenu incontournable à Bruxelles. Et Maingain n’a pas l’intention de passer rapidement un nouvel accord gouvernemental. « Celui qui retire la prise doit en accepter les conséquences »

Quand le FDF – devenu DéFI en 2015 -a rompu avec son partenaire de cartel libéral, tout le monde pensait que le parti n’avait plus d’avenir. Une fois de plus, la politique a prouvé que les analystes avaient tort : depuis la semaine dernière, Olivier Maingain se trouve au coeur de la politique bruxelloise et il se révèle un apôtre du renouvellement politique. « Si mon parti peut se fondre dans un mouvement du style de La République en marche!, je lui demanderai d’au moins l’envisager », déclare-t-il à nos confrères de Knack.

Olivier Maingain: Malheureusement, il est naïf de penser qu’on puisse copier La République en marche! en Belgique francophone. Il faudrait qu’un tel mouvement soit porté par de nouvelles figures de proue politiques. Je n’exclus pas qu’il puisse naître de collectifs citoyens francophones et de la société civile et qu’il oblige les partis établis à choisir une position. Je ne m’y opposerais pas, bien au contraire.

On a souvent écrit que vous parlez d’un nouveau parti avec cdH et Ecolo.

Ces entretiens n’ont jamais eu lieu. Une simple alliance de partis existants ne peut entraîner le renouvellement politique nécessaire. En outre, le cdH est particulièrement mal placé pour prendre la tête d’une variante du mouvement de Macron. D’un point de vue sociologique, ce parti est toujours très conservateur. Il ne s’est jamais détaché du pilier chrétien, et celui-ci ne laisse pas d’espace au pluralisme philosophique.

Quand il a tiré la prise des gouvernements avec le PS, Benoît Lutgen semblait pourtant penser qu’il pouvait devenir le Macron belge. Comprenez-vous ce qu’il l’animait ?

(soupire) Après avoir coopéré pendant des décennies avec le PS, il en a soudain assez de ce parti. J’en prends acte. Peut-être espère-t-il achever son saut par une pirouette gracieuse. Je me demande surtout s’il n’a pas sauté sans parachute.

Il se dit dégoûté par les scandales du PS. Ne partagez-vous pas ce sentiment ?

Bien sûr que si. Ces dernières semaines, nous avons vu les excès d’un système qui s’est développé historiquement. Mais nous n’allons pas faire comme si le PS était coupable de tout ? Ce parti était peut-être le plus puissant et c’est la raison pour laquelle il a eu la plus grande part du gâteau. Cependant, tous les autres partis traditionnels ont participé, sans poser de questions. À Liège, le cdH gouverne encore avec le PS, et Publifin non plus n’a pas été dissous.

Les scandales n’étaient-ils qu’un prétexte pour Lutgen? Le cdH n’obtient pas de bons résultats dans les sondages.

Avec sa démarche, Lutgen tente de sauver sa personne et son parti de la débâcle. C’est plus facilement dit que fait. Il doit, pour renvoyer le PS, former une majorité alternative. Et il ne part à sa recherche que maintenant.

Olivier Chastel, le président du MR, a immédiatement réagi assez positivement : Lutgen n’aurait-il pas au moins évoqué ses projets avec les libéraux ?

Cela aurait été intelligent, mais je n’en sais rien. J’étais à Montréal le week-end qui a précédé la décision de Lutgen. Il a essayé en vain de m’y joindre.

Chastel doit, en tout cas, avoir été ravi. Pour lui, tout ce qui porte atteinte au PS est bon. En Wallonie, le MR et le cdH pourraient rapidement se mettre d’accord au sujet d’une nouvelle coalition.

À Bruxelles, la situation est plus difficile.

Effectivement. Lutgen joue au poker au niveau le plus haut, alors qu’il n’a qu’une bonne carte. Tout le reste, c’est du bluff, c’est clair à présent.

Puis-je d’ailleurs souligner que je n’ai connaissance d’aucun scandale lié au gouvernement bruxellois? Tout ce qui est paru ces dernières semaines concernait la ville de Bruxelles. Celle-ci est gouvernée par le PS et le MR. Pour la première fois, le gouvernement bruxellois a tenté d’avoir une emprise sur le Samusocial. Il a également démarré une enquête sur cette ASBL. Autrefois, ce n’est jamais arrivé, pas même quand Ecolo était dans le gouvernement.

Mon parti a toujours loyalement respecté l’accord gouvernemental bruxellois. Si quelqu’un décide de tirer la prise, il doit accepter les conséquences. Il faut nettoyer les écuries. Les mandataires du cdH contre qui on a intenté des poursuites judiciaires, tels que la députée bruxelloise Joëlle Milquet, doivent faire un pas de côté. Pour l’instant, le cdH ne va pas assez loin.

Vous pouvez aussi exiger tellement de choses que Lutgen ne vous intègre pas dans le gouvernement.

Je suis exigeant pour tous les partis traditionnels. Nous avons besoin d’une révolution éthique à Bruxelles et en Wallonie. Sinon, mon parti ne participera pas à des entretiens plus poussés.

Certains observateurs flamands estiment qu’Elio Di Rupo ferait mieux de démissionner de la tête du PS. Partagez-vous cet avis ?

Je n’ai pas à juger. Par contre, je me demande pourquoi il n’arrive pas à mettre plus rapidement de l’ordre dans ses affaires internes. On dit qu’il a perdu sa foi en la justice qui depuis les années nonante l’accuse des choses les plus atroces (il a été accusé à tort de pédophilie, NDLR). C’est pourquoi il attendrait d’être sûr avant d’intervenir. Cependant, dans la crise actuelle, il ne s’agit pas uniquement de cas individuels. Si nous ne voulons pas discréditer encore davantage nos institutions démocratiques, nous ne pouvons tolérer que des gens cités dans des scandales occupent des fonctions officielles.

Que fait Di Rupo? Il demande à quelqu’un comme Stéphane Moreau de choisir entre le mayorat d’Ans et sa fonction chez Nethys, le volet opérationnel de Publifin. Du coup, Moreau est toujours CEO de Nethys. À quelqu’un comme ça, il faudrait dire : « Dehors ! »

Cette crise entraîne également des conséquences communautaires: l’image flamande de la Wallonie et de Bruxelles se ternit encore davantage.

C’est vrai. Je suis en colère que cette crise apporte de l’eau au moulin de ceux qui veulent scinder la Belgique.

Vous êtes également dans la commission d’enquête sur le scandale du Kazachgate.

(interrompt) J’ai demandé cette commission!

L’ancien président du Sénat Armand De Decker a démissionné après qu’il s’est avéré qu’il faisait du lobbying pour le milliardaire belgo-ouzbek Patokh Chodiev. Avez-vous une idée du rôle joué par Didier Reynders, l’autre ténor du MR impliqué ?

Je ne peux que constater qu’il surgit régulièrement dans le dossier. Quelqu’un comme Étienne des Rosaies mentionne régulièrement le nom de Reynders dans ses notes. Il était le proche collaborateur du président français Nicolas Sarkozy qui a mis des politiques belges sous pression pour approuver ladite loi de transaction en 2011. Sarkozy a dû aider Patokh Chodiev en échange d’un deal d’hélicoptère avec le Kazakhstan. L’avocate française de Chodiev, Catherine Degoul, a également mis plusieurs fois Reynders en copie de sa correspondance. Il devait bien la connaître pour être informé ainsi ? Et était-ce simplement parce que cela l’intéressait, ou était-il impliqué ?

Je me demande aussi comment l’Élysée a eu l’idée de demander à Armand De Decker de plaider leur cause en Belgique ? Je ne crois pas qu’ils en avaient déjà entendu parler. Quelqu’un a dû le recommander auprès des Français. Était-ce Didier Reynders lui-même ou quelqu’un de son entourage ? En juillet, Reynders comparaîtra devant la commission d’enquête. Nous allons pouvoir lui demander.

Armand De Decker a-t-il été sacrifié pour protéger d’autres personnes?

Nous ne le savons pas encore – dans ce genre d’affaires, les langues ne se délient souvent qu’au moment où la hache de la justice risque vraiment de tomber. Cependant, il ne s’agit pas uniquement de De Decker ou Reynders. Le ministre de la Justice de l’époque, Stefaan De Clerck, (CD&V) auprès de qui De Decker a plaidé la loi sur la transaction, n’aurait jamais pu laisser passer cette loi.

Lors de l’entrée en fonctions du gouvernement Michel en 2014 vous trouviez que le MR avait scellé une alliance avec les « nostalgiques de la collaboration » – une référence à la N-VA. Diriez-vous encore cela aujourd’hui ?

Je ne retire aucun mot de ce que j’ai dit.

Écoutez, un séparatiste n’est pas un anti-démocrate. Je ne reproche pas à la N-VA d’être séparatiste. Je lui reproche de ne s’être toujours pas réconcilié avec la période noire de l’histoire du Mouvement flamand. De notre côté de la frontière linguistique, il y a aussi eu des collaborateurs, mais les politiques francophones n’ont jamais demandé de réhabiliter ces criminels ou de leur accorder l’amnistie. Que fait quelqu’un comme Jan Jambon à une réunion d’anciens du Front de l’Est ? Que fait Theo Francken à l’anniversaire de Bob Maes, ancien membre de la Ligue nationale flamande et fondateur du Vlaamse Militanten Orde ? Des ministres qui rencontrent des personnes nostalgiques de la collaboration : estimez-vous que ce soit possible dans d’autres pays ?

En tant que partenaire de cartel du MR vous avez mené des négociations communautaires avec la N-VA pendant des mois, mais vous n’avez jamais pu conclure d’accord avec ce parti.

J’ai mes raisons. La N-VA n’est pas capable de reconnaître Bruxelles comme région à part entière. C’est pourquoi, le dialogue avec nous est impossible. Le confédéralisme de Bart De Wever et de la N-VA ne peut pas fonctionner : la Belgique sera fédérale ou ne sera pas.

Tout comme d’autres politiques francophones, la N-VA aime bien vous représenter comme le diable incarné. Malgré cela, des excellences N-VA telles que Jan Jambon et Theo Francken se révèlent très populaires à Bruxelles et en Wallonie.

Je comprends qu’on éprouve de la sympathie pour le ministre de l’Intérieur à un moment où on a commis un attentat terroriste et que la menace terroriste est élevée, même si je ne partage pas l’idéologie et le projet politique de Jan Jambon : je me sens solidaire de qui doit protéger son pays et ses citoyens à un tel moment.

Les soldats dans les rues de Bruxelles vous posent-ils problème? En Flandre, cette mesure est très critiquée.

C’est un mal nécessaire. Tant qu’il n’y aura pas assez d’agents pour effectuer ces tâches, Jambon n’a pas d’autre choix que de faire appel à des militaires.

Theo Francken est un autre personnage. Au sud du pays, beaucoup de gens sont peut-être d’accord avec ses positions, sur la migration et l’accueil de réfugiés, mais ses choix ne sont absolument pas les miens. Francken prend systématiquement des mesures qui stigmatisent les candidats-réfugiés ou les migrants. Pensez à son intention de sanctionner les avocats qui abuseraient des procédures pour éviter les expulsions – alors qu’ils lancent simplement les procédures prévues par la loi. Jamais il ne fait quelque chose de généreux. Quand il fait venir des candidats-réfugiés de Syrie, ce sont uniquement des chrétiens. Il est évident que la minorité chrétienne dans ce pays est menacée. Il faut la protéger. Mais il y a aussi des musulmans qui bénéficient d’un droit de protection. Francken cherche toujours ce qui lui permet d’amadouer l’Européen blanc et catholique. C’est purement une politique d’identité.

Manifestement, cela fonctionne.

Évidemment. Tout comme Marine Le Pen (Front National) a du succès en France. Cela fait que j’ai d’autant plus de respect pour quelqu’un comme Emmanuel Macron. Il ose une autre approche. Il prouve que les politiques qui essaient d’exploiter la peur des étrangers et de l’islam en Europe n’ont pas le dernier mot. Aujourd’hui, Francken connaît peut-être un certain succès, mais il ne représente pas l’avenir de notre continent.

Macron ne risque-t-il pas de décevoir? Dans les années nonante au Royaume-Uni, Tony Blair représentait un vent nouveau similaire. Aujourd’hui, presque tout le monde le conspue.

Macron a réalisé quelque chose de tout à fait unique. Les Français aiment les grands dirigeants qui se placent au-dessus de la politique de gauche et de droite. En ce sens, il est aux antipodes de son prédécesseur François Hollande. Ce dernier aurait eu un succès fou en Belgique. Il était rompu à l’art du compromis compliqué pour garder la paix dans son Parti socialiste – peut-être devons-nous lui demander de résoudre notre crise politique. Macron a compris que les Français attendent davantage d’ambition d’un leader politique. Et honnêtement, moi aussi j’attends cela.

Vous-même, vous allez devoir choisir entre votre mandat de parlementaire ou le mayorat de Woluwe-Saint-Lambert.

Si l’électeur le permet, je choisirai le mayorat en 2018. Du côté francophone, je suis le président de parti en exercice depuis le plus longtemps : il est bientôt temps de transmettre ce flambeau. L’année dernière, j’ai eu de sérieux problèmes de santé qui m’ont également fait réfléchir. Cependant, je suis fier de ce que j’ai accompli. Qui avait cru qu’après la rupture avec le MR, DéFI serait une mariée aussi convoitée ? (rires) Quand nous avons quitté le MR, certains journalistes ont écrit : « Ils ont signé leur propre sentence de mort. » Quod non.

Selon certains observateurs francophones, votre parti pourrait même prétendre au poste de ministre-président de Bruxelles.

Ce poste est exclu: cette fonction revient au plus grand parti de la coalition. En 2007, Didier Reynders m’a déjà proposé un poste de ministre, et le portefeuille de la Culture pourrait m’intéresser. Cependant, j’ai plus le tempérament d’un président de parti. À Bruxelles, je ne suis pas candidat-ministre, et notre président est en tout cas Didier Gosuin.

Votre parti n’est peut-être pas le plus grand, mais vous avez d’excellentes cartes pour le jeu de poker politique en Belgique francophone. Visiblement, vous vous en délectez.

C’est vrai? (sourire) À Bruxelles, le MR et le PS pourraient tout aussi bien obtenir un accord. Aujourd’hui, cela peut sembler totalement invraisemblable, je sais. Mais qui aurait pu croire avant les élections de 2014 que le MR formerait un gouverneur fédéral avec la N-VA ? Non, je n’oserai plus mettre ma main au feu pour rien.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire