Carte blanche

Nucléaire : l’heure de la sagesse a sonné

On ne compte plus les arrêts et redémarrages des réacteurs belges. Les révélations sur les manquements de notre agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) et de son directeur, et ancien directeur de la centrale de Doel, Jan Bens se succèdent.

De nombreux élus (et même les gouvernements) de plusieurs régions et pays limitrophes ont fait état de leur grande inquiétude demandant la mise à l’arrêt de réacteurs. Les initiatives associatives et citoyennes (notamment en justice) afin de faire fermer les réacteurs les plus anciens (Doel 1 et Doel 2) et fissurés (Tihange 2 et Doel 3) se multiplient. Pourtant notre gouvernement fédéral est inflexible.

Avons-nous conscience de l’ampleur de la menace qui pèse sur nous ?

Le 26 avril 1986, il y a exactement 30 ans, le réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl explosait et durant 10 jours l’incendie libérait dans l’atmosphère 250 fois l’équivalent des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki. En conséquence, 130.000 personnes ont été évacuées et la ville de Pripiat (d’une taille similaire à celle de Seraing) contaminée au plutonium ne sera plus habitable pour les 240.000 prochaines années. Le nuage radioactif a touché 1 milliard de personnes dans l’hémisphère nord et a fait à ce jour (directement et indirectement) 200.000 morts selon l’Académie des sciences de Russie. Par ailleurs, selon cette même institution scientifique, quelques 100.000 personnes supplémentaires atteintes d’un cancer devraient mourir dans les prochaines années ce qui ferait un total de 300.000 morts pour cette catastrophe majeure.

Le risque zéro n’existe pas. En matière de nucléaire, le risque se paye très cher quand les accidents surviennent. Les abords de nos centrales sont bien plus peuplés que ne l’étaient ceux de la centrale de Tchernobyl. Outre la catastrophe humaine sans précédent qu’elle représenterait, l’explosion d’une de nos centrales signifierait purement et simplement la mort économique de notre pays. Est-ce un risque qu’en conscience nous souhaitons prendre ?

Etre modeste en matière de science

La maitrise de l’énergie nucléaire pour produire de l’électricité a été en soi une avancée scientifique. Les ingénieurs qui ont conçu ces outils il y a 50 ans, les employés et ouvriers qui les ont construit et entretenu, peuvent légitimement en tant que travailleurs et que scientifiques être fiers de leur travail. Mais ils ne peuvent plus en tant que citoyens responsables prôner cette source d’énergie aujourd’hui. De manière générale, mais singulièrement pour le nucléaire, le temps est venu de considérer la technologie avec modestie et réalisme, de mettre dans la balance risques et avantages. Dans le nucléaire, malgré l’utilisation de moyens publics colossaux, les innovations ont été assez peu nombreuses ces 50 dernières années. La question centrale de la gestion des déchets demeure par exemple entière. La longévité de leur surveillance qui pèse sur les générations futures est sidérante : 350 années pour les déchets radioactifs de catégorie A et plusieurs centaines de milliers d’années pour les catégories B et C. En outre, cette technologie montre de plus en plus que sa rentabilité est toute relative en regard des coûts qu’elle engendre (déchets et démantèlements notamment). Les coûts de production de l’éolien et du solaire

baissent (-50 % et -75 % respectivement de 2009 à 2014). De l’électricité produite via un EPR (réacteur « nouvelle » génération) coûte désormais plus cher que du renouvelable. Une mutation d’importance est en cours. Environ 90% des nouvelles productions d’électricité installées dans le monde aujourd’hui sont d’origine renouvelable.

Mais plus que tout autre argument technologique ou économique, le nucléaire a montré en 50 ans les risques démesurés qu’il faisait peser sur les populations. Outre la catastrophe de Tchernobyl, des incidents majeurs ont également eu lieu aux Etats-Unis (Three Mile Island en 1979 et Davis Besse en 2002), en France (St Laurent des Eaux en 1969 et en 1980 et Blayais, près de Bordeaux en 1999), au Japon (Tokai en 1999) et au Royaume-Uni (Thorp en 2005) ou un accident nucléaire majeur du type Tchernobyl n’a parfois été évité que de justesse. Et puis Fukushima est venu définitivement battre en brèche l’argument selon lequel les centrales de nouvelle génération ne connaitraient jamais le sort de Tchernobyl. Le nucléaire, même le plus sophistiqué demeure dangereux. Erreurs humaines et/ou nature rappellent cruellement aux scientifiques la nécessaire modestie qui devrait être la leur.

En Belgique, nous ne sommes pas préservés

Au-delà des discours lénifiants, notre pays n’est pas à l’abri d’une catastrophe. Premièrement, les centrales de Tihange et Doel ne sont pas conçues pour résister à un séisme supérieur à 5,7 sur l’échelle de Richter. Or, selon l’Observatoire Royal de Belgique, des séismes de plus de 6 pourraient avoir lieu chez nous (3 ont déjà eu lieu depuis le XIVe siècle). De plus, les experts ne sont pas unanimes sur le risque lié aux cuves fissurées de certaines de nos centrales vieillissantes que l’on a pourtant décidé de redémarrer. Enfin, comme cela vient d’être révélé, des terroristes envisagent désormais sérieusement de s’attaquer aux centrales belges. Il ne s’agit pas de faire preuve de catastrophisme mais simplement d’évaluer objectivement le fait que les risques pesant sur le parc nucléaire belge s’accroissent.

En conclusion

Nous commémorons ce jour le triste anniversaire de Tchernobyl. En avons-nous réellement tiré tous les enseignements ? Combien de catastrophes faudra-t-il encore pour comprendre la nécessité de passer à d’autres sources d’énergie moins dangereuses pour l’humanité et plus soucieuses des générations futures ?

Dans un contexte où le prix de l’électricité est au plus bas, les opérateurs privés qui ont misé sur le nucléaire (mais également les Etats qui soutiennent cette stratégie) ne se portent pas bien économiquement. C’est le rôle de l’autorité politique de notre pays de faire fermer au plus vite les centrales amorties qui ont dépassé leur durée de vie avant que ne survienne un « TchernoBEL ».

Pierre Eyben, docteur en sciences appliquées, membre du Mouvement VEGA

Michèle Gilkinet, co-secrétaire générale du mpOC

Marie-Claire Hames, membre du secrétariat du Mouvement VEGA

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