Gérald Papy

Nouvelle Belgique et vieux démons

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

UNE SIXIÈME RÉFORME DE L’ETAT BOUCLÉE ET UNE BANQUE sauvée. Diantre ! La Belgique aurait-elle retrouvé sa pleine faculté de décider et de gérer après plus de 480 jours de paralysie politique ? Serait-elle redevenue, le temps d’un week-end, un parangon de bonne gouvernance ? Réalité ou illusion ? Entre la proclamation, par les négociateurs, d’une « réforme historique » et le déni, par l’ancien démineur Jean-Luc Dehaene, de la « révolution copernicienne » espérée, il y a une marge d’appréciation où la vérité, à l’épreuve du temps, trouvera sa place.

La sixième réforme de l’Etat se distingue par une nouvelle loi de financement qui libère 10,7 milliards d’euros d’autonomie fiscale, par un transfert de compétences vers les entités fédérées pour un montant de quelque 17 milliards et par la scission, ô combien emblématique dans le nord du pays, de l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles- Hal-Vilvorde. Les concessions étaient inévitables. Les francophones y ont laissé des plumes ; ils n’y ont pas perdu leur âme.

Mais, comme toujours au royaume du surréalisme, le diable se niche dans les détails et dans les imprécisions. A cet égard, les interprétations divergentes de certains chapitres de l’accord institutionnel, et singulièrement celui sur le statut des communes à facilités, par des partis aussi importants que le CD&V et le MR – c’est le constat dressé par Le Vif/L’Express cette semaine -, ne laissent d’inquiéter. Que des dissensions éclatent entre les partenaires sur l’application de telle ou telle mesure, et ce sera pain bénit pour la N-VA et le FDF. Tout le contraire du pari que font aujourd’hui les francophones : la nouvelle réforme rencontre certaines des aspirations substantielles de la Flandre, coupe l’herbe sous le pied à Bart De Wever et à ses amis et, in fine, ramène la performance de la N-VA aux élections législatives de 2014 à une proportion plus en phase avec le pourcentage des « vrais nationalistes » (22 % des Flamands, selon une enquête Het Nieuwsblad- TV Een de la VRT, loin des 35 % des voix attribuées à la N-VA dans les sondages politiques classiques). La cohésion et l’efficacité de l’action gouvernementale seront donc, plus que lors de toute autre législature, les clés de la stabilité politique et de l’avenir du pays.

Le défi sera d’autant plus complexe que le gouvernement Di Rupo Ier devra « vendre » au citoyen une politique d’austérité tout en portant l’héritage d’un deuxième sauvetage de banques, qui n’aura pas été indolore pour le contribuable. L’opération était, de l’avis de la majorité des experts, « la seule solution possible », mais bien tardive, pour rebâtir une banque belge sur les ruines de Dexia. Il n’empêche que l’impact du rachat de la banque des communes sur la dette et l’hypothèque de la garantie de l’Etat sur la structure de défaisance créée pour abriter les actifs nocifs placent à nouveau la Belgique et ses Régions sous la menace du verdict intraitable des agences de notation. Un écueil de plus pour un gouvernement censé réussir le tour de force d’économiser 10 milliards en 2012. Si la Belgique a écarté aujourd’hui le spectre d’une scission, les lendemains ne s’annoncent pas roses pour autant. Le plus dur, assurément, reste à faire.

GÉRALD PAPY

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