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Nouveau siège de l’OTAN : les coulisses d’un chantier pharaonique

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La Belgique livrera fin août à l’Otan la plus grande partie de son nouveau siège. Combien a réellement coûté ce bâtiment ultra-sécurisé ? Qui a eu l’idée de son design futuriste ? Pourquoi le chantier a-t-il connu de vives tensions ? Les dessous d’un projet hors normes.

Le compte à rebours a commencé. Dix-sept ans après avoir pris la décision, au sommet de Washington, de remplacer son bâtiment actuel par un nouveau siège bruxellois mieux adapté à ses besoins, l’Alliance atlantique se prépare au grand déménagement. Une transhumance d’à peine quelques centaines de mètres pour les 4 500 agents civils et militaires de l’institution : le futur complexe est situé en face de l’immeuble actuel, de l’autre côté du boulevard Léopold III, à Haren. Immense bâtiment au design futuriste, le nouveau siège sera progressivement occupé à partir du début 2017. D’ici-là, le ministère belge de la Défense, maître d’ouvrage délégué, aura livré l’ensemble du site à l’Otan, après six années de travaux soumis à de hautes turbulences.

« Nous avons déjà commencé transférer à l’Alliance certains étages du bâtiment, révèle le lieutenant-colonel Lieven Vanheste, directeur de l’équipe belge chargée de piloter le projet. Mais la plus grande partie du site sera remise fin août, après les congés du bâtiment. Enfin, nous livrerons, fin novembre, les parkings et les derniers secteurs. » Y aura-t-il une inauguration en grandes pompes ? « Aucune date pour une cérémonie officielle n’a encore été fixée et on ne sait pas qui y assistera. Nous restons concentrés sur notre objectif : assurer la coordination entre toutes les entreprises afin qu’elles achèvent les travaux dans les délais. Dans un environnement aussi complexe que celui de ce chantier, c’est un vrai challenge ! »

En parallèle, les firmes chargées par l’Otan d’installer les réseaux IT, les systèmes électroniques de sécurité, ou encore les installations audiovisuelles, sont déjà à l’oeuvre. Ainsi, Lockheed Martin, le fabricant américain du chasseur-bombardier F-35, a été chargé de fournir l’infrastructure des systèmes d’information et de communication, un contrat de plus de 100 millions de dollars. Si la plupart des 28 pays de l’Alliance recourent aux service à la Belgique pour aménager leurs locaux, certains « grands » – Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Canada – ont tenu à s’occuper eux-mêmes des parachèvements. « Avant le déménagement, l’Otan devra apprendre à utiliser les lieux », prévient le lieutenant-colonel Vanheste. L’arrivée du personnel de l’organisation se fera par phases et devrait s’étaler sur plus d’un an, le temps de rôder les installations.

L’obsession de la sécurité

En ces temps de menaces terroristes, la sécurité du site reste évidemment l’obsession des responsables de l’Otan. « Les façades du bâtiment ont été conçues pour résister à l’explosion d’une bombe, signale l’un des concepteurs du projet. Même si l’une de ses colonnes saute, l’immeuble restera debout. Toutefois, le siège de l’Alliance est un lieu de rencontres, pas un QG militaire. Le défi aura donc été d’édifier un énorme bunker qui ne ressemble pas du tout à un bunker ! » Les 3 300 places de parking prévues seront situées en surface, à la fois pour réduire les coûts et limiter les risques d’attentats. « Contrôler au scanner toutes les voitures entrant dans un parking souterrain n’est pas une procédure soutenable à long terme », estime-t-il.

« Pour des raisons de sécurité, certains secteurs du site ne nous sont plus accessibles, même avec un pass spécial, poursuit-il. De même, des systèmes d’accès électroniques vérifient l’identité des ouvriers du chantier par leur iris. Les camions de livraison subissent des contrôles, doivent décharger le matériel transporté, qui est scanné avant d’être rechargé. » Les Américains, nous dit-on, n’ont jamais oublié leur mésaventure moscovite de 1978 : cette année-là, l’administration Reagan a découvert avec effroi que le béton du bâtiment de sa toute nouvelle ambassade dans la capitale soviétique était truffé de micros posés par les espions russes.

Un bâtiment longue durée

Le siège de l’Alliance a été étudié pour fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre et pour rester opérationnel pendant plus d’un demi-siècle. « Au cours des prochaines décennies, les technologies vont évoluer et il faudra donc  »upgrader » les réseaux IT et les systèmes de sécurité, indique l’un des experts chargés de penser la longévité des lieux. Mais la carcasse ne devra pas être démantelée : nous l’avons conçue pour qu’elle puisse accueillir tous ces changements. » Sans être un immeuble passif, le nouveau siège est un bâtiment à faible consommation d’énergie grâce à des solutions d’isolation thermique, de chauffage par cogénération… « Pour la climatisation, précise l’expert, nous avons prévu un système peu gourmand, car la structure du bâtiment participe à son rafraîchissement. Mais un directeur danois, une secrétaire portugaise et un militaire texan ont des besoins différents. Dès lors, les délégations qui veulent se doter d’une ventilation plus puissante pourront la renforcer, à leur frais. »

Un spécialiste de ce genre de projets immobiliers prévient : « Un bâtiment doté d’un tel niveau de confort, modulable et adaptable sur le long terme coûte, à la construction, entre 20 et 40 % de plus qu’un immeuble de promotion classique. Le siège de l’Otan ne peut donc être comparé au  »Caprice des dieux », le bâtiment emblématique du Parlement européen à Bruxelles, inauguré en 1993 et déjà tellement délabré qu’il faudra sans doute le démolir, vu l’ampleur des rénovations à y faire. »

Une offre sous-évaluée

Le consortium belgo-néerlandais BAM Alliance a obtenu le contrat de construction des bâtiments de l’Otan et d’aménagement des abords en proposant une offre beaucoup plus basse que les cinq autres soumissionnaires : 458 millions d’euros, soit un prix environ 10 % inférieur à celui des autres candidats et 28 % en dessous d’une estimation (à 650 millions d’euros) réalisée deux ans plus tôt par les bureaux d’architecture chargés du projet. La stratégie de BAM ? Se rattraper ultérieurement en réclamant des ajustements budgétaires, compte tenu d’une série de modifications demandées par l’Alliance. De fait, l’entrepreneur a obtenu une rallonge de 85 millions fin 2014, qui s’ajoute aux 13 millions déjà reçus l’année précédente. En outre, un délai supplémentaire d’un an lui a été accordé, les travaux ayant pris du retard pour diverses raisons : hivers rigoureux imprévisibles, mesures de sécurité draconiennes sur le chantier.

En Belgique, les règles d’adjudication pour les marchés publics prévoient d’attribuer le contrat au soumissionnaire qui a remis l’offre régulière la plus basse, sous peine d’indemnités fixées à 10 % du montant. « Les consortiums les plus habiles concoctent des offres anormalement basses, mais conformes aux exigences du cahier des charges, nous explique-t-on. Le maître d’oeuvre se retrouve pieds et poings liés. L’entreprise qui obtient la commande tente de justifier des surcoûts en jouant sur l’interprétation des documents. » Selon ce spécialiste, ces règles seraient l’une des causes de l’état désastreux des tunnels bruxellois et des autoroutes wallonnes.

Accuser les autres d’erreurs

BAM Groep a soumissionné pour le nouveau siège de l’Otan dans la foulée de la crise bancaire de 2008. A l’époque, la plupart des commandes publiques sont gelées, en particulier aux Pays-Bas et en Allemagne, où le groupe néerlandais est très présent. Son partenaire belge, Interbuild, aurait alors cherché à rafler de nouveaux contrats en Belgique. L’offre de BAM Alliance pour édifier le siège de l’Alliance a dès lors été volontairement sous-évaluée, d’où les demandes de rallonges budgétaires, pas toutes accordées. D’où, aussi, les vives tensions sur le chantier quand l’entrepreneur a mis sous pression ses sous-traitants. « Dans de telles circonstances, chaque intervenant, maître d’oeuvre, entrepreneur, sous-traitants, architectes, ne peut s’en sortir qu’en accusant les autres d’erreurs », avoue l’une des chevilles ouvrières du projet.

Au final, le coût de la construction ne dépasse pas les 600 millions d’euros, selon nos sources (556,2 millions, indique le ministre belge de la Défense, Steven Vandeput), soit un montant inférieur à l’estimation initiale. Commentaire d’un acteur du dossier : « L’entrepreneur ne fera pas de gros bénéfices avec ce chantier ! » A ce budget, il faut ajouter la conception architecturale et la gestion du projet, confiées au bureau anglo-américain SOM associé au Belge Assar (115 millions d’euros), la démolition des anciens bâtiments du quartier Roi Albert Ier (10 millions), l’infrastructure audiovisuelle (26 millions) et de réseau actif (62 millions), les systèmes de sécurité électroniques (17 millions), le mobilier (64 millions)… Soit, au total, un projet à 1,1 milliard d’euros, dont le financement est assuré par les moyens communs de l’organisation atlantique.

Le séduisant croquis d’une stagiaire

Edifié sur un terrain de 40 hectares, le nouveau QG compte plus de 250 000 mètres carrés de superficie utile, répartis en 8 grandes ailes et 4 ailes plus petites. En dehors des 120 000 mètres carrés d’espaces de bureaux, les employés de l’Otan disposent d’une agora, d’un centre de conférences, de salles de réunion, d’un restaurant, d’une banque, d’une piscine et autres installations de sport et de récréation… Le dessin du complexe est né au sein du bureau londonien du cabinet d’architectes américain SOM, chargé, avec le cabinet belge Assar, de la conception du siège de l’Otan. « Sur une feuille A4, raconte l’un des participants aux briefings du studio, une stagiaire allemande de 28 ans avait esquissé les longues ailes de bureaux que l’on peut voir aujourd’hui à Haren, avec, au centre, le vaste atrium, lieu de rencontre plus approprié que les couloirs du vieux siège édifié en 1967. Ce croquis a emporté l’adhésion de tous. »

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