Guido Fonteyn

Nouveau « corridor » ?

C’est l’histoire d’un amour malheureux. Le trésor des chansons flamandes en comprend une qui nous parle de l’amour passionné de deux enfants de sang royal. Hélas ! « l’eau était trop profonde » entre eux et leur union était impossible. Rongés par le désir, ils étaient condamnés, chacun sur le bord du ravin qui les séparait, à échanger des regards ardents, mais désespérés. Ainsi les mots romantiques d’une chanson du Moyen Age peuvent-ils décrire les rapports entre la Flandre et la Belgique germanophone. Le gouffre qui sépare les deux amoureux (potentiels) est clairement un précipice wallon. Dans ce genre de chanson apparaît souvent un monstre, mais il n’y a pas lieu de pousser aussi loin la comparaison.

GUIDO FONTEYN Essayiste et journaliste indépendant

Le néerlandais et l’allemand appartiennent tous deux à la même racine germanique, quoique l’allemand ne soit pas aussi apprécié en Flandre que l’anglais. Le plus important, c’est que les deux communautés, la flamande et la germanophone, ont mené, chacune dans leur domaine, une lutte similaire contre des manifestations de l’impérialisme culturel francophone. Ernest Claes, grand écrivain du terroir, auteur de De Witte, raconte dans ses livres comment, de son temps (l’entre-deux-guerres), les élèves du collège de Herentals (commune flamande s’il en est) s’exposaient à une punition [signum linguae (1)] s’ils parlaient le flamand dans la cour de récréation. L’usage du français y était obligatoire. Le français fut aussi la langue de l’enseignement. De la même manière, au milieu des années 1950, l’allemand était interdit dans l’administration et les écoles du territoire qui ne s’appelait pas encore la Belgique germanophone, mais les cantons de l’Est, dont ceux d’Eupen et de Sankt-Vith allaient devenir la Communauté germanophone, tandis que le canton wallon de Malmedy serait rattaché à la Wallonie. On ne refera pas ici toute l’histoire de la réforme de l’Etat vue de Flandre et de la Belgique germanophone. Mais une chose est certaine : les Belges germanophones ont su profiter d’une volonté délibérée de réforme de l’Etat émanant de la Flandre. Ils doivent une fière chandelle à un homme d’Etat comme Leo Tindemans dont le rôle dans ce processus est loin d’être négligeable. Aussi son nom reste-t-il vénéré en Belgique germanophone.

Les contacts entre les deux amants auraient pu être plus étroits, s’il n’y avait pas eu le précipice wallon, à savoir la commune de Plombières qui, comme entité politico-administrative, sépare la Flandre et la Belgique germanophone. Plombières la wallonne, dépourvue de facilités, se trouve entre Voeren (Fouron) la flamande (avec facilités) et Kelmis (La Calamine) la germanophone (avec facilités) (2). La langue parlée par les habitants de Plombières fut indiscutablement le « Platt » et elle l’est encore en partie, et ce « Platt » était un dialecte allemand, pas un dialecte flamand, et absolument pas un dialecte français. Il s’en est fallu de très peu que la Flandre et la Belgique germanophone se touchent : une seule commune fait figure de barrière. Peut-être pourrait-on créer un corridor entre Voeren et Kelmis. Mais ceci est une pure vue de l’esprit, bien sûr, aucunement une proposition formelle.

(1) Le signum linguae était un rouleau sur lequel les fautifs devaient écrire leur nom. Ensuite ils tentaient d’attraper un camarade de classe, lui aussi coupable. Celui qui tenait le signum à la fin de la cour de récréation était puni. (2) Je relate mes balades le long de la frontière linguistique dans deux livres édités chez EPO, à Anvers : Over de taalgrens, de Comines à Voeren, et Grensgebied, de Voeren à Sankt-Vith. Ma conclusion générale est que le calme est revenu presque partout, et même qu’au-delà des frontières linguistiques les contacts ont été renoués. Bruxelles et la périphérie flamande font exception.

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