© Frédéric Pauwels/Huma

« Notre objectif est de récolter entre trois et six médailles aux Jeux »

Cent quinze athlètes belges participent aux Jeux olympiques de Londres. C’est la plus forte délégation depuis Helsinki, en 1952. Que peut demander de plus le président du Comité olympique et interfédéral belge ? « De trois à six médailles », répond Pierre-Olivier Beckers qui se félicite qu’en une dizaine d’années, le monde politique ait diamétralement changé sa vision du sport, lui consacrant de nouveaux moyens. Président du COIB, Pierre-Olivier Beckers est un dirigeant heureux. Président de Delhaize Group, il l’est un peu moins. Face aux mauvais chiffres de 2011, il avance un contexte de crise plus favorable aux « discounters » et reconnaît un manque de réactivité de l’équipe du distributeur au nouvel enjeu structurel de la « guerre des prix ». Le baron Beckers reste cependant optimiste pour le long terme, y compris à propos d’un gouvernement qui l’a surpris par son énergie et par sa capacité à prendre des décisions qui « n’étaient la tasse de thé ni de la gauche ni de la droite… »

Le Vif/L’Express : Cent quinze athlètes belges participent aux Jeux olympiques de Londres. Face à une telle délégation, le président du COIB s’interroge-t-il sur le coût de l’opération et sur l’équilibre entre la quantité et la qualité des compétiteurs ?

Pierre-Olivier Beckers : Le COIB continue résolument à viser la qualité. A l’instar de la moitié des pays, nous avons établi des critères spécifiques au-delà de ceux fixés par les fédérations internationales. Les athlètes et leur encadrement ont été informés de ces critères, il y a un an et demi. La délégation belge est la plus étoffée depuis les Jeux d’Helsinki en 1952. Dans une très large majorité, elle a répondu non seulement aux critères internationaux mais aussi à ceux du COIB. Une dizaine d’athlètes qui sont à Londres ont réussi des performances très proches de ces critères.
Pourquoi tenez-vous à ces critères nationaux ?

Parce que nous sommes un petit pays qui a des moyens, malgré tout, limités. Nous ne pouvons absolument pas nous permettre de faire du tourisme. Notre objectif est qu’au minimum, 50 % de nos athlètes entrent dans leur finale ou dans le Top 8.

Et pour les médailles ?

Notre objectif est de récolter entre trois et six médailles. Certains le jugent trop ambitieux. Mais il faut recréer une motivation. Pour que le public et les athlètes se mobilisent autour d’une ambition, nous avons estimé qu’elle devait être chiffrée. Nous pensons avoir le potentiel pour l’atteindre. Dans différents sports, nos athlètes, ces six derniers mois, ont réalisé des performances tout à fait satisfaisantes qui cadrent avec notre objectif : Charline Van Snick en judo ; Brian Ryckeman, en natation longue distance ; nos quatre athlètes en kayak ; Evi Van Acker en voile (elle a gagné la médaille d’argent aux championnats du monde en début d’année) ; Kim Clijsters en simple et en double mixte avec Olivier Rochus, en tennis ; notre équipe d’équitation ; Hans Van Alphen en décathlon… Ce ne sont que des exemples. Mais il se peut aussi que, pour le même prix, un athlète se retrouve à la quatrième place, à trois dixièmes de seconde du podium. Vous échouez de peu et le monde ne retiendra que les médailles…

Quel impact cet accroissement du nombre d’athlètes aura-t-il sur le coût de la participation ?

Nous avions prévu un budget de 3,5 millions d’euros. Nous serons plutôt autour des 3,8 – 3,9 millions, participation aux Jeux paralympiques comprise. C’est gérable.

Etes-vous satisfait de l’intérêt des autorités publiques pour le sport en Belgique ?

Il y a un monde de différence entre fin 2004 et aujourd’hui. Les milieux politiques hésitaient à mettre en avant le sport de haut niveau et à l’utiliser comme vecteur d’image pour leur Communauté et leur Région. Aujourd’hui, c’est un fait acquis. Le sport véhicule des valeurs positives dont le public a besoin. Le monde politique l’a compris. Il y a une dizaine d’années, 14 millions d’euros étaient affectés au sport de haut niveau en Belgique, la part du COIB comprise. Aujourd’hui, les montants tournent autour des 32 – 33 millions.

La saga du projet de Centre pour sportifs de haut niveau en Communauté française ne vient-elle pas démentir votre optimisme ?

C’est évident. Mais nous devons rester pragmatiques. La création d’un centre unique serait l’approche idéale parce que pouvoir amener tous les athlètes plusieurs fois par an dans les mêmes infrastructures conduit à une accélération de l’apprentissage. Quand on voit que l’on a perdu énormément de temps et sans doute un peu d’argent dans des débats purement politiques, c’est frustrant. In fine, un choix a été fait de développer une piste d’athlétisme indoor à Louvain-la-Neuve. C’est un excellent choix. D’autres infrastructures pourront se greffer dans les prochaines années sur ce projet. Mais il est évident que, dans d’autres pays, une décision plus centralisée aurait été prise en une fois.

Les exploits de nos sportifs sont-ils plus le fait de parcours individuels ou le résultat d’une véritable politique ?

Dans certaines disciplines, une fois au sommet, il est difficile de pouvoir disposer en Belgique de l’environnement nécessaire pour progresser. Mais le développement de la politique sportive depuis 2004-2005 porte ses fruits, notamment grâce au projet Be Gold, lancé à l’initiative du COIB, des Communautés et du gouvernement fédéral. Il permet aux fédérations de proposer des projets orientés vers l’identification de talents et leur développement pour obtenir des résultats à Londres, si possible, et en tout cas à Rio en 2016. On constate qu’un nombre croissant de jeunes athlètes sont issus de ce projet en natation, en judo, en athlétisme… Il faut espérer qu’au retour des Jeux, on accélère encore ce programme.

Une politique visant le sport d’élite est-elle compatible avec la popularisation du sport ?

C’est même nécessaire. Pour cela, il faut trouver un équilibre. L’athlète doit être convaincu qu’il devra, le moment venu, redonner à la « société » une partie de ce qu’il a reçu en termes d’accès à des moyens financiers, des coaches, des infrastructures… En Belgique, les athlètes sont particulièrement disponibles et abordables. En même temps, pour faire progresser la condition physique, facteur essentiel pour le bien-être d’une population, il faut des héros, des images de succès…

De nombreuses entreprises belges sont associées à l’organisation des Jeux de Londres. Est-ce un succès ?

Le chiffre d’affaires généré par nos entreprises dans l’organisation des Jeux au sens large, depuis la billetterie jusqu’à la construction en passant par les sociétés technologiques spécialisées dans le ralenti, est de l’ordre de 280 millions d’euros. C’est un tout gros montant. Cela prouve que le sport a la faculté de jouer plusieurs rôles dans la société : un rôle social, un rôle sur la santé mais aussi un rôle économique et en matière d’emploi.

Quel bilan dressez-vous de la présidence de Jacques Rogge à la tête du CIO ?

Bilan provisoire puisqu’il est encore en fonction jusqu’en septembre 2013. Jacques Rogge a conduit sa présidence avec des valeurs très fortes. Il a ramené la taille des Jeux à une dimension gérable pour permettre à des villes qui ne sont pas des mégapoles de les organiser. Sa lutte contre le dopage a été remarquable. Il fallait s’y attaquer de manière forte et sans compromis. C’est un de ses hauts faits d’armes. Il a aussi réinstauré une discipline de travail et une intégrité au sein du CIO pour éviter certains dérapages du passé. Enfin, il a rétabli une santé financière impressionnante au CIO.

Les chiffres de Delhaize en 2011 ont été moins bons. L’équipe Delhaize a-t-elle perdu ou les autres équipes ont-elles réalisé de meilleures performances ?

Je lis beaucoup de commentaires dans la presse qui tendraient à montrer que Delhaize performe moins bien que ses concurrents. Ce sont d’abord et avant tout les discounters qui ont réussi à sortir leur épingle du jeu. Les distributeurs qui visent un marché plus haut de gamme ou ont un assortiment plus large, avec une structure de frais généraux plus élevés, ont certainement eu plus de difficultés face à la crise. On le voit en France, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis… C’est d’autant plus vrai pour nous que l’enseigne qui fait quasiment la moitié de notre activité est implantée aux Etats-Unis dans la région qui a le plus souffert de la crise, le Sud-Est. Ce constat, pour rester dans la métaphore sportive, c’est un peu le terrain qui devient impraticable : cela vaut pour tout le monde et n’aide pas à la belle performance. Dans le même temps, l’équipe Delhaize a peut-être tardé à comprendre combien la dimension de la compétitivité des prix devenait structurellement importante et pas seulement cyclique. Lors des crises économiques précédentes, le consommateur avait tendance à se serrer la ceinture. Puis il reprenait son niveau de consommation et se gardait de changer systématiquement d’enseigne pour trouver les prix les moins chers. Avec la durée de la crise actuelle, ce comportement s’installe de manière structurelle.

Comment y remédier ?

Depuis 2011, nous travaillons à l’augmentation de la compétitivité de nos prix. Nous sommes un peu au milieu du gué. Aux Etats-Unis, par exemple, nous avons lancé un nouveau concept de magasins, sous un format discount. Il ne peut évidemment pas être rentable du jour au lendemain. Nous avons repositionné les 1 200 magasins de Food Lion par étapes : 200 l’année passée ; 250 en avril et une troisième étape à la mi-juillet. A la faveur des deux premières étapes, nous avons amélioré la gestion journalière et diminué les prix. Notre chiffre d’affaires s’est fortement amélioré. Dans l’environnement macroéconomique actuel, il serait très tentant de couper dans tous les projets pour permettre de sortir de bons résultats à court terme. Mais cette vision serait évidemment désastreuse pour la santé du groupe, à moyen et long termes.

Pour vous, le bon marketing, est-ce vanter aux clients quelques baisses de prix et en augmenter beaucoup d’autres en « stoemelings » ?

Ce serait vraiment un mauvais marketing. Le bon marketing est d’offrir à ses clients un ensemble d’éléments qui correspondent à leurs attentes. Des prix compétitifs mais aussi la qualité, la largeur de l’assortiment, les innovations, le service… A côté de cela, la réalité est la suivante : quand on a 20 000 articles dans les rayons et que la volatilité sur les prix des matières premières et des produits énergétiques est constante, les prix de milliers d’articles bougent chaque semaine dans tous les sens. Mais si on compare le niveau moyen de nos prix au 30 juin par rapport au 1er janvier, on est nettement plus compétitif. Et on s’adapte aussi en fonction de la concurrence pour ne pas rester inutilement bas sur certains articles.

La politique belge vous désespère-t-elle parfois ?

Je suis surpris par l’énergie que le gouvernement a mise à la tâche énorme à laquelle il était confronté. Par nature, le Belge est un peu cynique et a vite tendance à frapper toute tentative d’une conclusion négative. Je m’attendais donc à ce que le gouvernement échoue avant même qu’il ait eu l’occasion de réussir. Six mois plus tard, je constate qu’il a une cohérence dans le discours. Des décisions importantes ont été prises alors qu’elles n’étaient pas nécessairement la tasse de thé ni de la droite ni de la gauche. Il y a une volonté de bien faire même si il y a encore beaucoup à réaliser. Il y a une vraie conscience de l’urgence et de la nécessité d’agir. Et jusqu’à présent, on voit des éléments tangibles de cette action.

Que vous inspire l’espèce d’interdit qui touche le débat sur l’indexation des salaires ?

C’est interpellant. C’est un point extrêmement sensible dans notre pays. J’ai néanmoins la conviction que l’on arrivera à une solution différente du système actuel. Certainement pas la suppression pure et dure de l’indexation. Au départ de positions fermes et avec la conviction de la nécessité de bouger, on sera forcé de trouver une solution vraiment créative.

Trouvez-vous encore le temps de faire du sport ?

Je faisais du hockey jusqu’il y a cinq, six ans. Aujourd’hui, être membre d’une équipe est devenu impossible. Mais je continue à faire du sport, une ou deux fois par semaine. Cela m’aide surtout à rester en condition pour la montagne, que nous aimons particulièrement mon épouse et moi..

Si vous deviez choisir un sportif qui suscite particulièrement votre admiration, qui citeriez-vous ?

Je n’ai pas de héros spécifique, historique, économique ou sportif, dans la vie. Le premier sportif qui m’a impressionné et qui m’a apporté quelque chose est Mark Spitz. J’avais 12-13 ans. J’ai admiré les sept médailles qu’il a conquises à Munich. A la fin des Jeux, je me suis inscrit dans un club de natation et j’ai fait de la compétition pendant cinq ans. Je pense aussi aux exploits d’Eddy Merckx et, aujourd’hui, à ceux de nos athlètes engagés à Londres. Tous m’inspirent par la capacité qu’ils ont d’aller jusqu’au bout d’eux-mêmes et même un peu plus loin et par la qualité de leur engagement. J’y vois un parallèle avec la vie de l’entreprise. J’espère apporter un peu de l’expérience du management dans le monde du sport. La façon dont un sportif arrive à son pic de performance au bon moment est « relevante » pour le monde de l’entreprise où l’on a tendance à se mettre dans le rouge et à rester dans le rouge jusqu’au burn out ou à la dépression. De plus en plus, les entreprises accompagnent le développement de la carrière de leurs cadres. Elles font encore très peu en termes d’équilibre et de condition physique et mentale.

PROPOS RECUEILLIS PAR GÉRALD PAPY

Pierre-Olivier Beckers en 6 dates

1960 Naissance le 3 mai. Début des années 1980 Diplôme en sciences de gestion de l’UCL, MBA de l’Harvard Business School. 1983 Rejoint Delhaize Group. Janvier 1999 Président et CEO de Delhaize Group. 6 janvier 2000 Manager de l’année du magazine Trends-Tendances. 2004 Président du Comité olympique et interfédéral belge, réélu en 2009.

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