La Législative sous la Révolution française : l'unique expérience d'une assemblée d'hommes nouveaux. © George Munday/Nelgaimage

Notre élu belge, bientôt 3 mandats… et puis s’en va ?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Frapper d’obsolescence programmée députés et ministres, histoire de leur ôter le goût de s’enivrer du pouvoir jusqu’à la perversion : les « pros » de la politique n’osent imaginer pareille extrémité.

Besoin pressant de sang frais. Furieuse envie de nouveaux visages. Quitte, s’il faut en arriver là, à forcer les élus du peuple à ne plus s’éterniser sur un banc de parlement ou à ne plus enfiler sans limite les portefeuilles ministériels. Mi-mars, Ecolo tient un Ecolab Démocratie, séance de parole donnée aux citoyens. Nombreux sont ceux qui font passer ce message prodigieusement agacé :  » Toujours les mêmes têtes, y en a marre !  » Halte au carriérisme politique, assez du  » régime féodal  » des dynasties et du  » dinosaurisme exacerbé « . Le ras-le-bol va jusqu’à vouloir  » interdire plus de deux présences sur une année d’un même politicien aux débats télévisés du dimanche midi « . Un plan B émerge du courroux populaire :  » Pas plus de x fois bourgmestre, y fois ministre, z fois député. Incursion temporaire en politique et puis retour à la vie « normale ».  »

Marcel Cheron, élu Ecolo depuis 1991 : une somme de dérogations à la limitation dans le temps des mandats.
Marcel Cheron, élu Ecolo depuis 1991 : une somme de dérogations à la limitation dans le temps des mandats.© BRUNO FAHY/belgaimage

La vigueur du plaidoyer a surpris Anne-Emmanuelle Bourgaux, chargée de cours à l’Ecole de droit UMons/ULB, présente au rendez-vous citoyen.  » Plus encore que le cumul des mandats, c’est l’aspiration à limiter leur exercice dans le temps qui s’est exprimée comme une des priorités.  » Ecolo a pris note. Et retient la suggestion de trois mandats, successifs ou non, à exercer par une même personne avant de devoir s’éclipser.  » Un mandat pour apprendre, un pour exercer, un pour transmettre « , résume Coralie Vial, juriste chez Ecolo. La formule, à valider par les instances du parti, sera traduite en propositions de loi. Car les verts francophones ont cessé d’être naïfs. Cette discipline de vie qu’ils s’imposent déjà avec plus ou moins de rigueur (deux mandats consécutifs maximum sauf dérogations, souvent accordées, dont Marcel Cheron a profité), ils aimeraient en faire partager toute la noblesse et l’inconfort aux autres partis.

Quel moyen plus radical qu’une rotation forcée pour empêcher les représentants de la nation de s’enivrer du pouvoir, de le confisquer, voire de se laisser corrompre par son exercice prolongé ?

Deux siècles plus tôt, les révolutionnaires français ont éprouvé ce même vertige. Ressenti cette folle envie de voir l’élu du peuple, son devoir accompli au bout d’un unique mandat, retrouver l’anonymat de la foule. Ils poussent la logique jusqu’à se doter d’une assemblée intégralement renouvelée à l’issue d’élections. Le député Robespierre avait laissé l’apparence du choix à ses pairs :  » Voulez-vous faire des fonctions du législateur un état lucratif, un vil métier, plutôt qu’une sainte mission ?  »  » Après tant de sacrifices faits à l’intérêt général, le plus grand qu’il vous reste à faire est celui de vous-mêmes « , s’était exclamé un élu en achevant de convaincre ses collègues de s’interdire de se représenter.

Cette politique de la table rase engendra la Législative, à la manoeuvre en France de septembre 1791 à septembre 1792. Fruit d’un bel acte de désintéressement, salué par toute la presse révolutionnaire, autant que de calculs guidés par des volontés d’écarter des adversaires.

« Pour en finir avec les castes politiques » prônait le CDH en 2000

Anne-Emmanuelle Bourgaux (UMons/ULB) :
Anne-Emmanuelle Bourgaux (UMons/ULB) :  » L’expérience en politique peut devenir habitude. Comme celle de ne plus avoir de comptes à rendre. « © CHRISTOPHE KETELS/belgaimage

L’inexpérience au pouvoir : l’expérience ne sera jamais rééditée. Erreur d’apprentis démocrates. Pourtant, les révolutionnaires français se résignent mal à l’échec. Et décident de n’autoriser qu’une seule réélection au Parlement, après un intervalle de trois ans. Ainsi affichent-ils  » la même méfiance de principe envers la prolongation illimitée du pouvoir législatif. Ils partagent la même culture politique de la vertu, le désir de restreindre et la durée et le renouvellement des mandats parlementaires  » (1). La démocratie athénienne et la république romaine avaient manifesté les mêmes scrupules.

L’idée de proscrire les réélections s’est perdue. Longue vie à la longévité politique. Le suffrage universel n’a pas eu raison des carrières parlementaires et ministérielles parfois interminables,  » alors qu’il était censé renouveler la classe politique puisqu’il y avait davantage d’appelés « , rappelle Anne- Emmanuelle Bourgaux. Les partis ont vite fait main basse sur la sélection des candidats, donc des futurs élus et… réélus.  » La baisse constante de militants accentue le recrutement parmi les cadres au sein des partis. L’entre-soi devient un facteur de professionnalisation de la fonction.  »

Inutile de trop compter sur les  » pros  » de la politique pour ouvrir exagérément portes et fenêtres. Seul un discrédit jeté sur le microcosme fait resurgir la vague promesse d’envisager un recours à la contrainte. Voilà comment  » la limitation de la durée des mandats  » s’est invitée au menu de la réflexion parlementaire inspirée par un besoin de renouveau politique, au début des années 2000. On eut alors droit à un CDH revendicatif, pressé  » d’en finir avec les castes politiques, de favoriser le renouvellement des cadres « . Car, déclare à l’époque ce parti abonné au pouvoir,  » il n’est pas sain que des élus exercent des mandats pendant quatre à cinq législatures sous peine d’en faire une carrière professionnelle « . La fraction VU&ID (Volksunie) prêchait aussi la croisade contre  » la concentration de pouvoirs et l’immobilisme « , appelait à l’émergence  » de visages nouveaux et d’idées nouvelles « . Les nationalistes flamands disent alors oui à  » la limitation du mandat ministériel à deux législatures consécutives « , et encore oui à l’extension de la mesure aux bourgmestres, échevins, députés provinciaux.

Georges-Louis Bouchez (MR) est en faveur d'un âge forcé de la retraite pour les mandataires politiques.
Georges-Louis Bouchez (MR) est en faveur d’un âge forcé de la retraite pour les mandataires politiques.© BRUNO FAHY/belgaimage

Moment d’égarement. La piste ne sera ni creusée, ni même effleurée. Une occasion manquée de vider la querelle autour de la rotation forcée du personnel politique. Partie remise ? Une séance de rattrapage est prévue au sein du nouveau groupe de travail sur le renouveau politique mis en selle à la Chambre. Autant tuer tout suspense. MR, PS, CDH ou DéFI ne conçoivent pas une réussite en seconde sess’.

Ecartés des lieux visibles du pouvoir, les ténors prendront le maquis

C’est que la non-rééligibilité divise. Certains escomptent de ce vent de fraîcheur qu’il prévienne toute tentation de se croire irremplac?able ou intouchable.  » L’expérience en politique peut devenir un inconvénient lorsqu’elle se transforme en habitude, notamment celle de ne plus avoir de comptes à rendre « , observe Anne-Emmanuelle Bourgaux. Rien de tel qu’un mandat politique non reconductible pour ne pas laisser à l’élu le temps de se déconnecter du peuple, de devenir cynique, de perdre sa capacité de s’indigner avec sincérité.

Mais ils sont nombreux à déconseiller la formule : nuisible à la qualité et à la continuité de la politique, source d’incertitude, gaspilleuse d’expérience, d’expertise et de talent. Et tout cela en vain : car il est écrit que les brontosaures ou les poids lourds, écartés des lieux visibles du pouvoir, prendront le maquis. Pour mieux tirer les ficelles depuis les coulisses.

La Législative en France en a fait l’amère expérience : les ténors de la scène révolutionnaire, après s’être interdit toute réélection, se sont faussement retirés sur leurs terres. Ils s’agitent, intriguent, occupent la tribune des clubs politiques (jacobins, cordeliers) qui tiennent le haut du pavé.  » Ils forment ainsi un contre-pouvoir à l’extérieur de l’assemblée parlementaire « , explique l’historien Philippe Raxhon (ULg). Deux siècles plus tard, les partis s’acquitteront sans peine de cette besogne.

A propos d’accaparement, la commission européenne pour la démocratie par le droit, dite commission de Venise, en creusant cette piste d’amélioration de la démocratie, soulevait cet autre risque bien réel :  » que le pouvoir législatif, dominé par des politiciens inexpérimentés, conduise à accroître le déséquilibre en faveur de l’exécutif « .

Pas faux. A moins de pousser l’audace jusqu’à faire aussi valser les titulaires de mandats ministériels. Très mauvaise idée, objecte Georges-Louis Bouchez.  » Pourquoi barrer la route à un ministre, s’il est bon et compétent ?  » Le jeune et remuant délégué général du MR, qui sort un livre de recettes pour une chose publique revigorée (2), a un autre tour dans son sac pour pousser les indéracinables vers la porte de sortie :  » Imposer l’âge légal de la retraite – 67 ans – éviterait déjà que des potentats sexagénaires ne s’accrochent à la fonction.  »

Il suffirait parfois de peu pour favoriser l’émergence de jeunes pousses qui ne demandent qu’à se déployer dans un hémicycle. Comme cette idée de ne plus permettre à un ministre démissionnaire de reprendre d’autorité possession de son siège de parlementaire, en éjectant de la sorte le suppléant qui avait été appellé à le remplacer.  » Excellente idée « , s’enthousiasme Georges-Louis Bouchez, contraint de boucler ses valises au parlement de Wallonie pour faire place nette à l’ex-ministre fédérale Jacqueline Galant (MR).  » Ce genre de parachute n’est pas acceptable. Sa suppression permettrait à certains de réfléchir à deux fois avant de devenir ministre.  » La formule, longuement débattue lors de la grand-messe du renouveau politique en 2000, n’avait pas été retenue. Elle non plus.

Mais au fait, relèvent les détracteurs de la non-rééligibilité, à quoi bon retenir une fausse bonne idée pour répondre à un faux problème alimenté par une fausse impression ? La durée de vie moyenne d’un parlementaire belge n’est plus que de huit ans. Ce qui n’exclut pas de vieux briscards de jouer les prolongations. Au-delà du supportable pour certains.

(1) Vertu et politique. Les pratiques des législateurs (1789-2014), ouvr. coll., SER – Presses universitaires de Rennes, 2015, 440 p.

« La rotation forcée pour éviter l’oligarchie élue »

La formule séduit Thibault Gaudin, chargé de recherches au centre de droit public de l’ULB. Parce qu’elle aurait, à côté des écueils qu’il ne nie pas, bien des vertus :

• Réduire la « professionnalisation » de la politique. La rotation des charges, donc fatalement l’augmentation du nombre de citoyens qui exerceront ces charges, pourrait participer à casser cette image démocratiquement morbide qui fait du mandataire élu un être de raison, éclairé, renseigné et habité par la poursuite du bien commun, alors que l’électeur, lui, ne pourrait gouverner, car il serait forcément incompétent, inapte à comprendre les enjeux qui se présenteraient à lui et, surtout, intrinsèquement mû par ses passions.

• Réduire la dépendance au parti et à sa discipline. Un député qui n’aurait plus de possibilité de se faire réélire aurait les mains déliées pour voter en son âme et conscience, et non comme son parti le lui indique.

• S’affranchir d’un processus électoral en grande partie conditionné par les partis, seuls maîtres des listes électorales.

• Permettre un meilleur renouvellement générationnel.

• Contribuer à une « dépersonnalisation » de la politique, en évitant des phénomènes de capitalisation médiatique au détriment parfois de candidats plus discrets, mais porteurs d’un projet cohérent. Je ne crois pas à l’argument du « s’il fait bien le job, on le garde ». L’homme providentiel n’existe pas, personne n’est irremplaçable.

• Amener une certaine émulation dans les partis en rendant audibles des voix discordantes jusque-là écrasées par l’omniprésence d’un homme ou d’une caste.

(2) L’Aurore d’un monde nouveau, par Georges-Louis Bouchez, éd. du CEP, 2017, 148 p.

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