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Nos enfants courent moins vite que nos grands-parents…

Le Vif

On n’a jamais autant pratiqué et glorifié le sport que dans notre société des loisirs. Pourtant, la condition physique des enfants et des adolescents belges est bien pire que celle de leurs grands-parents. La faute à qui ?

Premier vendredi après la rentrée sur la piste d’athlétisme du centre sportif du Blocry à Louvain-la-Neuve. Comme chaque année, les étudiants qui entament des études de kiné ou d’éducation physique à l’UCL se soumettent au plus célèbre test d’effort, le  » bip-bip  » du Canadien Luc Léger. Ce test mesure l’aptitude cardiaque à l’effort de chaque  » cobaye « . Comment ? Sur une piste étalonnée tous les 20 ou 50 mètres, un puissant signal sonore retentit à une cadence de plus en plus rapide, l’objectif étant de hausser le rythme petit à petit pour toujours couvrir la distance dans le temps imparti. Jusqu’à l’épuisement. On relève alors la consommation maximale d’oxygène (VO2max) et donc la capacité maximale du sujet à l’effort.

Seulement voilà : dans une société où la pratique du sport n’a jamais été aussi importante, les résultats de la capacité aérobie chez les jeunes sont… catastrophiques. Selon Grant Tomkinson, professeur à l’université du Dakota du Nord, un enfant américain craque après 520 mètres alors qu’un jeune Tanzanien tient 1 360 mètres. En Occident, seuls quelques pays du Nord (Islande, Estonie, Norvège) tiennent le rythme en termes de  » fitness  » (un faux ami puisqu’il faut comprendre la  » condition physique « ). Le plus étonnant est le recul historique que supposent ces chiffres : un enfant de 2017 court 800 mètres une minute plus lentement qu’il y a 50 ans. Il n’y a donc bien que les sportifs professionnels qui vont toujours plus haut et toujours plus vite.  » Un sportif de haut niveau est quelqu’un qui accepte de mettre sa vie en danger pour son sport, alors que le commun des mortels a plutôt tendance à pratiquer le sport pour préserver son intégrité physique « , explique Thierry Marique, professeur à la faculté des sciences de la motricité à l’UCL.

Ce n’est pas tant la pratique du sport – en hausse constante – que l’activité physique qui est en train de se transformer en enjeu sociétal majeur. Par  » activité physique « , on entend, selon la définition de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) : un  » mouvement de l’organisme produit par la contraction musculaire et qui augmente la dépense énergétique « .  » Faire son jardin, rouler à vélo – même électrique -, aller à l’école à pied, passer le dimanche chez les scouts, laver sa voiture, tout cela, c’est de l’activité physique, rappelle Thierry Marique, mais notre société supprime petit à petit tout effort, on va au car wash, on utilise des tondeuses robots et, devant les écoles, les parents semblent décidés à ce que leurs enfants fassent le moins de pas possible en sortant de la voiture. L’organisme humain est conçu pour le mouvement, sinon il se dégrade. Exactement comme une auto que vous laissez au garage durant un an sans la faire démarrer. « 

Filles et garçons : faire du sport, oui, mais surtout
Filles et garçons : faire du sport, oui, mais surtout  » bouger « .© JEAN MARC QUINET/REPORTERS

Un paradoxe interpellant

Les chiffres sont implacables, tant ceux du Bulletin de la pratique d’activité physique chez les enfants et les adolescents belges que ceux des différents Baromètres de la condition physique (Adeps) réalisés par Thierry Marique et Christian Heyters (ULB) : en résumé, la capacité musculaire, l’endurance cardio- respiratoire, la force et la souplesse sont en chute libre tandis que la surcharge graisseuse ne cesse de croître. A tel point qu’il n’est plus rare que des adolescent(e)s de 150 kg sortent des statistiques, faute de pouvoir mesurer leurs performances. Si le nombre d’enfants et d’adolescents en surpoids est en augmentation (16 % des enfants et des adolescents), on note  » une plus grande dispersion : il y a plus de très gros et plus de très maigres « .

Les jeunes n’ont jamais autant pratiqué le sport en club. Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes de constater que la pratique sportive n’est pas un antidote à la régression de la condition physique.  » L’éducation physique à l’école a tout son sens, s’il s’agit bien d' »éducation physique ». Ce n’est pas faire du sport à l’école. On peut utiliser le basket en cours pour courir avec un ballon, mais le but n’est pas d’organiser des matchs, rappelle l’auteur du « Baromètre ». De même, les clubs sportifs ont petit à petit abandonné leur rôle social : on y travaille la technique, oui, mais on n’y fait pas assez de travail moteur et physique, or c’est cela qui maintient le corps en forme.  »

Marc Cloes, professeur en pédagogie des activités physiques et sportives à l’université de Liège et coauteur, avec ses collègues de Leuven et de Gand, du Bulletin de la pratique d’activité physique, ajoute que l’assimilation de l’activité physique au sport en club peut même être  » démotivante  » :  » La majorité des gens ont développé des représentations négatives : « le sport, ce n’est pas pour moi car je ne suis pas doué. » Or, on est motivé pour ce que l’on réussit ; donc, on préfère laisser tomber.  » De plus en plus de disciplines plaident pour des tournantes systématiques lors de quarts-temps permettant à tous les enfants de jouer plutôt que de faire banquette, le football étant quasiment le dernier (mais aussi largement le plus pratiqué, par 32 % des garçons) à limiter le nombre de remplacements.

Créer du lien

On a vite fait de jeter la pierre à l’école ou aux politiques. En réalité, c’est une question de culture et de société.  » On n’a tout simplement pas la culture de l’activité physique en Belgique francophone, au contraire de la Scandinavie ou de la Nouvelle-Zélande qui l’intègre dans tous ses projets publics. Les enseignants en éducation physique devraient davantage ancrer socialement leurs cours, montrer plus systématiquement que chaque leçon a des implications directes tous les jours, et ce pour toute la vie « , déclare Marc Cloes.  » Tout est question d’éducation : soigner son alimentation, avoir un mode de vie plus actif, cela dépend des parents, de la société « , enchaîne Thierry Marique.

Autrement dit, l’école a bon dos mais elle n’est pas responsable de la malbouffe ou du temps passé sur les tablettes. Si des éléments extérieurs interviennent dans ces comportements (insécurité, séparation des parents…), le Bulletin de la pratique d’activité physique dresse un bilan inquiétant des habitudes de nos jeunes : 80 % d’entre eux pratiquent le  » jeu actif  » entre 3 et 9 ans, mais 27 % seulement entre 10 et 17 ans ; 48 % des enfants se rendent à l’école à pied ou à vélo, mais seulement 40 % des ados. Par  » comportements sédentaires « , on entend aujourd’hui en priorité  » écrans numériques « , or  » le temps total de sédentarité est associé à une mauvaise santé « . Et si 65 % des enfants de 3 à 5 ans (leurs parents en fait ! ) respectent la recommandation  » une heure maximum par jour  » en semaine, le chiffre tombe à 25 % le week-end. Chez les plus âgés, où la recommandation est de deux heures maximum par jour, 89 % des enfants de 6 à 9 ans la respectent la semaine, et 46 % le week-end ; 45 % des 10 à 17 ans la respectent la semaine et seulement 16 % le week-end !

 » C’est bien de détourner ses enfants des écrans, mais encore faut-il leur proposer une alternative « , rappelle Thierry Marique.  » Dans une publication récente, L’enfant et l’activité physique (éd. Désiris), des collègues français ont démontré que la suppression d’une heure devant un écran de télévision ou d’ordinateur n’était remplacée que par… deux minutes d’activité physique même modérée et par 58 minutes d’activité sans bénéfice pour la santé !  » Et Marc Cloes de résumer les choses :  » Il faut bouger, c’est tout. Marcher, jardiner, nettoyer trois fois 10 minutes par semaine et l’effet sera déjà positif. Et bouger en famille, c’est une opportunité unique de créer du lien et de vivre des expériences qui contribuent au bien-être.  » Un bon début, mais une simple évidence un peu trop oubliée.

Par Jean-François Lauwens.

Les ados belges ne se bougent plus

Sur la base d’une initiative mondiale, lancée en 2014 sous le nom d’Active Healthy Kids Global Alliance, trois universités belges (KU Leuven, Gand et Liège) ont réalisé, en 2016, le premier Bulletin de la pratique d’activité physique chez les enfants et les adolescents belges. Les objectifs mondiaux sont peu ou pas du tout rencontrés chez les jeunes belges. Lorsque l’on parle d’activité physique globale, seuls 10 à 20 % des jeunes rencontrent les recommandations internationales : 7 % des 6 à 9 ans font 60 minutes d’activités quotidiennes recommandées et seulement 2 % des 10 à 17 ans. Entre 3 et 5 ans en revanche, 96 % des enfants s’activent au moins 180 minutes par semaine. La pratique du sport en club baisse avec l’âge. 56 % des enfants de 3 à 9 ans sont en club. Ensuite, même si 75 % des 10 à 17 ans déclarent faire de l’activité en club ou en dehors, on passe de 58 % des garçons à 11 ans à 43 % à 16 ans (Observatoire de la santé du Hainaut) alors que l’adhésion en club est en constante augmentation chez les filles et n’est plus freinée, comme il n’y a pas si longtemps, à l’heure d’entamer les études supérieures. Il faut préciser que si les statistiques de pratique du sport « organisé » ne sont pas en baisse c’est aussi en raison de l’apparition de nouvelles activités hors clubs comme le jogging, l’explosion des salles de fitness essentiellement côté masculin, et la prise en considération de disciplines comme la danse ou la zumba côté féminin.

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