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Nordine Amrani : ces tueurs silencieux parmi nous

Le tueur de Liège vient allonger la triste liste des tueurs de masse. Le phénomène, né aux Etats-Unis, s’est répandu dans le monde entier. La médiatisation de leurs crimes abominables fait, hélas, des émules. Ces tueurs se ressemblent. Voici pourquoi.

C’est comme une bombe à retardement. On ne sait pas quand elle va exploser. Mais elle est prête à faire le plus de dégâts possible. Même s’ils constituent un phénomène exceptionnel, les tueurs de masse sont particulièrement inquiétants, car rien ne permet de présager de leur dangerosité ni de leur passage à l’acte. Dans la quasi-totalité des cas, ils préparent leur coup minutieusement, dans une totale discrétion, des semaines parfois des années à l’avance. C’était le cas d’Anders Breivik, en Norvège, ou de Harris et Klebold, au lycée Columbine, dans le Colorado.

Dans 95 % des cas, il s’agit de tueurs solitaires. « Des individus isolés, introvertis, ayant subi des brimades durant leur enfance, qui n’ont pas ou peu d’amis proches », explique Stéphane Bourgoin, spécialiste des serial killers (auteur d’un livre sur le sujet, Serial Killers, nouvelle édition, Grasset). La plupart de ces tueurs sont animés d’un désir de vengeance vis-à-vis de la société. Ils se sentent opprimés ou non reconnus. Nordine Amrani , que ses avocats décrivent comme « un écorché vif », devait être entendu, ce mardi 13 décembre, par la section moeurs de la police de Liège. Toujours selon ses avocats, il pensait qu’on lui en voulait. Il avait une dent contre la justice. « Les tueurs de masse se disent victimes de la société. Ils vouent une haine aux institutions », confirme Stéphane Bourgoin.

Plus de trois quarts des tueurs de masse ont l’objectif de se suicider. Mais leur personnalité extrêmement narcissique et leur haine vis-à-vis de la société les poussent à commettre leur acte non pas dans leur coin, mais en emportant avec eux le plus de victimes possible. Ils veulent mourir en combattant. Une manière, pour eux, de passer à la postérité. Leur but : que l’on se souvienne d’eux. C’est ce qu’a visiblement voulu faire Amrani, en s’armant de grenades et d’armes à feu, lorsqu’il a déboulé sur la place Lambert. Anders Breivik avait, lui aussi, fait l’usage d’explosifs et d’armes à feu, à Utoya, pour tuer un maximum de personnes. Lorsqu’ils ne se suicident pas eux-mêmes, ils se laissent abattre par les forces de l’ordre, ce qui est un suicide par police interposée. Quant à leur personnalité sociopathe, psychotique ou psychopathe, elle révèle des êtres dénués de remords. « Eux seuls comptent, constate Stéphane Bouroin. Ils chosifient leurs victimes. »

Les tueurs de masse, quasi tous des hommes, sont généralement fascinés par les armes à feu, armes de guerre ou armes de chasse. On sait qu’Amrani était un amoureux des armes et qu’en 2008, lorsque la police est venu l’arrêter pour détention de plans de cannabis, elle a découvert un véritable arsenal de guerre chez lui. Nombreux sont les tueurs fous qui ont un goût pour le déguisement : ils se couvrent de noir, comme Harris et Klebold ou Kim De Gelder, le tueur de Termonde , en 2009. Certains revêtent le treillis militaire ou l’uniforme policier, comme Breivik. Ces uniformes leur permettent de montrer leur toute-puissance.

Si le phénomène existe depuis longtemps, il a néanmoins tendance à s’amplifier ces dernières années (113 cas ces vingt dernières années, surtout depuis Columbine. Il a aussi largement dépassé les frontières américaines. En Belgique, la tuerie de Liège constitue le troisième cas de ce genre en cinq ans, après l’équipée de Hans Van Temsche, à Anvers en 2006, et celle de Kim De Gelder. La Belgique n’est donc pas épargnée. Loin de là. Mais les pays voisins non plus : tuerie de Nanterre, en France en 2002 (8 morts), fusillade au parlement de Zoug, en Suisse en 2001(14 morts), massacre du lycée Gutenberg, en Allemagne en 2002 (16 morts). Sur les autres continents aussi, les tueurs de masse sévissent. En 2010, un homme a poignardé des enfants dans une école en Chine, faisant huit morts. Cette année, au mois d’avril, un Brésilien de 24 ans a ouvert le feu dans son ancien lycée tuant douze élèves, avant de se suicider.

La prévention de ce type de crime s’avère délicate. D’autant que ces individus sont très isolés et paraissent à priori couler une vie normale. On ne peut cependant nier le phénomène d’imitation entre tueurs de masse. Breivik s’était inspiré de Timothy Mc Veigh, auteur de l’attentat d’Oklahoma en 1995. Mais c’est surtout la tuerie du lycée Columbine qui a marqué un tournant dans cette tendance à l’imitation : en postant un testament numérique sur le Net, Harris et Klebold sont devenus des « héros » pour certains. Leur hypermédiatisation a également contribué à leur notoriété. Des pays, comme la Suisse et le Québec, ont d’ailleurs opté pour la règle de ne pas diffuser le nom des tueurs de masse (dans la Tribune de Genève, ce matin, Nordine Amrani n’est jamais nommé) : en les rendant anonyme, cela évite de motiver d’autres esprits dérangés suicidaires qui voudraient passer à la postérité. Une règle cependant difficile à tenir…

Thierry Denoël

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