Carte blanche

Non, Monsieur le Juge, vous n’avez pas le droit!

C’est à la faveur d’un passage furtif au salon et d’un saut de chaîne qui l’était tout autant que je vous aperçois. Et surtout vous entends. Devant vous, au tribunal de première instance, comparait un justiciable.

Un pur hasard. Pour tout vous dire, je regarde très peu la télévision dont j’ai abandonné la zappette à d’autres mains. C’est donc à la faveur d’un passage furtif au salon et d’un saut de chaîne qui l’était tout autant que je vous aperçois. Et surtout vous entends. Devant vous, au tribunal de première instance, comparait un justiciable. Nous sommes dans l’émission « Face au juge » dont la « saison » vient de se terminer sur RTL. Par un succès d’audience, si j’en crois le journal. Mais revenons à l’intervention qui m’a fait sursauter.

  • – Vous au prévenu: « Vous êtes mariés?« 
  • – Lui: « On n’est pas encore mariés. »
  • – Vous: « Je pense que madame, puisqu’elle est dans la salle, elle ferait bien de bien réfléchir. »

Je suis abasourdi. Soucieux d’éviter de me forger trop rapidement une opinion, je revois l’émission en replay (ah, cette mémoire télévisuelle pour laquelle il faudrait peut-être également prévoir un jour un droit à l’oubli à l’instar de Google). Je constate que vous êtes coutumier de ce genre de remarques. Celle que je retiens ici l’est à titre exemplatif.

Me vient une question: de quel droit, Monsieur le Juge, vous autorisez-vous ainsi à commenter, railler, brocarder, juger (au sens commun) les déclarations des justiciables? Votre fonction vous impose de dire le droit. Pas de satisfaire je ne sais quelle marotte, de donner libre cours à vos valeurs personnelles ou à vos penchants de personnalité. Sans compter que je ne n’ose imaginer que vous entreteniez l’illusion d’une quelconque efficacité des remarques que vous assénez. Si ce n’est celle d’écarter encore un peu plus vos interlocuteurs du monde judiciaire.

De quel droit, Monsieur le Juge, vous autorisez-vous ainsi à commenter, railler, brocarder, juger (au sens commun) les déclarations des justiciables?

Vous qui vous faites le chantre de l’indigence des moyens de la justice, vous gagneriez déjà un temps précieux en gardant pour vous toutes ces remarques qui n’ont pas lieu d’être dans un prétoire. Sauf à considérer que celui-ci doit aussi servir d’exutoire aux convictions, phobies ou autres obsessions du personnel judiciaire. Toutes relayées avec complaisance par une émission qui cherche le beurre de l’audience, l’agent du beurre de la pub et le sourire de la crémière qui officie à la présentation et qui, on peut rêver, pourrait aussi interroger ces pratiques d’un autre âge. Pour qui veut bien décaler son regard, le mérite du programme n’est pas tant de satisfaire notre inclination voyeuriste pour les incartades des prévenus, mais de nous révéler quelque chose des juges. Et d’une justice de classes là où on attendrait une justice de classe.

Aussi, permettez-moi de vous suggérer une question en forme d’aide-mémoire. Quand vous sentirez encore monter en vous l’irrépressible besoin de dénigrer les affirmations de vos interlocuteurs, demandez-vous simplement: « M’autoriserais-je ce que je veux dire, si devant moi se trouvaient Nicolas Sarkozy ou Armand De Decker? » Si votre réponse est négative, vous savez ce qu’il vous reste à faire: condamnez-vous au silence, vous vous acquitterez ainsi mieux de votre fonction, sans verser dans un rôle de conseiller conjugal de pacotille au café du commerce. Je suppose que, comme moi, vous vous faites une plus haute opinion de la justice.

Mesdames Sarkozy et De Decker vous disent déjà merci de les laisser juges de leurs délibérations sentimentales.

Par François Tefnin, citoyen

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