Carte blanche

Non, la prostitution n’est pas un « mal nécessaire »

Nous pensons que la prostitution s’inscrit dans un ensemble culturel et économique qui assigne femmes et hommes à des rôles sociaux bien déterminés, système ô combien contraignant pour toutes et tous. Dans ce système, la disponibilité sexuelle des femmes est considérée comme normale, tandis que celle des hommes est perçue comme irréfrénable.

Dans une carte blanche publiée la semaine dernière dans le Vif L’Express, Claude Demelenne s’exprime vertement en faveur de la prostitution. En tant que mouvement progressiste et féministe, luttant activement pour une société plus égalitaire, nous ne pouvons qu’être indignées par ses propos.

Bien loin de la vision manichéenne du monde qu’il tend à faire passer pour nôtre, nous ne considérons pas qu’il existe d’un côté des pauvres prostituées victimes, et de l’autre des clients « salauds » (pour reprendre ses termes). Au contraire, nous pensons que la prostitution s’inscrit dans un ensemble culturel et économique qui assigne femmes et hommes à des rôles sociaux bien déterminés, système ô combien contraignant pour toutes et tous. Dans ce système, la disponibilité sexuelle des femmes est considérée comme normale, tandis que celle des hommes est perçue comme irréfrénable. Nous nous opposons fermement à cette vision simpliste des rapports humains, et préférons croire en la possibilité pour chaque individu de vivre libre et de poser ses propres choix.

Nous refusons la prostitution non pas car elle « heurte nos bons sentiments », comme le prétend Claude Demelenne, mais parce que celle-ci s’inscrit presque toujours dans un rapport de domination sexuelle et économique des hommes sur les femmes, ou sur les jeunes hommes. Comme nous l’expliquions dans notre carte blanche parue dans Le Soir il y a deux semaines, l’on sait aujourd’hui qu’une majorité des personnes prostituées (au moins 80 % en Belgique selon la police) sont victimes de traite. Nous ne pouvons que nous indigner face à ce chiffre, et réclamer des sanctions plus dures encore à l’encontre de celles et ceux qui perpétuent ce crime. Et quand bien même un certain nombre de personnes prostituées ne relèvent pas de la traite des êtres humains, on ne peut pas mener ce débat sans tenir compte de toutes celles et ceux qui en sont bel et bienvictimes.

Non, nous ne considérons pas la prostitution comme « normale », pas plus que l’esclavage ou le travail des enfants d’ailleurs, autres phénomènes pourtant fortement répandus dans le monde. Des sociétés qui se prétendent égalitaires peuvent difficilement tolérer, et même encourager des transactions qui impliquent, dans la plupart des cas, le déni de la liberté de l’une des parties.

Nous ne pensons pas non plus que la prostitution soit un « mal nécessaire ». Cette vision de l’homme et de sa sexualité est réductrice, et lui dénie toute capacité de considérations éthiques dès lors que ses pulsions le « dominent ». De plus en plus de voix masculines se font d’ailleurs entendre, qui refusent cette vision peu flatteuse d’eux-mêmes et de leur rapport aux autres.

Nous pensons que la prostitution ne peut être promue ou encouragée par les pouvoirs publics. Mais il ne s’agit certainement pas de pénaliser les personnes prostituées elles-mêmes ! Les politiques envisagées doivent tenir compte de la situation, des intérêts et des besoins de toutes les personnes qui se prostituent. En tant que mouvement féministe et progressiste, nous ne pourrions cautionner aucune proposition qui aurait pour effet direct ou indirect d’aggraver la situation de personnes prostituées aux réalités spécifiques (séjour illégal, toxicomanie, etc.).

Notre objectif à long terme est la disparition de la prostitution dans la mesure où elle n’est, dans l’immense majorité des cas, pas un choix libre et épanouissant, mais une contrainte sociale imposée par les rapports inégalitaires de genre, contre lesquels nous luttons.

Pour parvenir à cet objectif, nous pensons qu’il est urgent de prendre à bras le corps la question de l’égalité sexuelle des hommes et des femmes. Malgré l’omniprésence des références à la sexualité dans leur environnement, beaucoup de jeunes garçons et filles manquent à la fois d’information et d’éducation à la sexualité. Les tabous, contrairement aux apparences, sont encore bien présentsdans la plupart des familles ; et l’éducation sexuelle et affective n’est pas suffisamment prise en charge par l’école et les autres instances collectives d’éducation. De plus, quand elle l’est, c’est souvent sous l’angle unique de la prévention des IST et des grossesses non désirées, et non sous l’angle du respect de soi-même et de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Ce n’est qu’en déconstruisant les rapports sociaux de sexe dès le plus jeune âge que nous parviendrons à une société égalitaire, où chacun sera libre de ses choix et de ses envies.

Carmen CASTELLANO

Secrétaire Générale FPS

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