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Nominations de hauts fonctionnaires : « notre système n’est pas digne d’un pays développé et moderne »

57 % des 65 nouveaux directeurs du Service public de Wallonie (SPW) ont une étiquette socialiste. Y a-t-il trop de politisation dans les nominations des hauts fonctionnaires publics belges et wallons ? Vous avez posé vos questions à Michel Legrand, président du Gerfa, le Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative. Résumé.

[Jim] Pourquoi ne pas arrêter d’être hypocrite et accepter que les postes directeurs soient occupés proportionnellement aux résultats des élections, comme c’est le cas dans d’autres pays ?

Michel Legrand : Parce que les services publics ne sont pas la traduction des votes politiques et qu’ils doivent respecter l’objectivité et l’égalité des usagers. Une répartition à l’aune partisane ne ferait encore que renforcer le partisanat ambiant.

[Frank] Peut-on soupçonner le Selor d’être au service des partis politiques au pouvoir, au fédéral ou au niveau régional ?

Le Selor s’est détérioré au cours des dernières années sous la pression de la réforme Copernic. Il faut donc revenir à des examens plus classiques et plus objectifs et dépolitiser son sommet qui est aux mains des partis politiques et du SPA. N’oublions pas que son chef n’est autre que l’ancien chef de cabinet de Van Den Bossche qui est le promoteur de la mauvaise réforme Copernic.

[Kevin] La politisation des nominations de hauts fonctionnaires est-elle en baisse, depuis la création du Selor, ou les choses, indépendamment des examens à passer, sont restées pareilles ? À savoir : on sait qui sera nommé, et pourquoi, avant même l’ouverture de la « sélection » ?

Le SELOR existe depuis les années ’50 et a permis une certaine objectivité dans le recrutement des fonctionnaires fédéraux, régionaux et communautaires. Par contre, le problème reste entier pour le recrutement dans les communes, les provinces et dans l’enseignement, trois secteurs hyperpolitisés.

[Godfroid_t] Pouvez-vous nous expliquer qu’elle est le processus de nomination actuel ? S’il y a un concours écrit avant la « nomination ».

Cela dépend des niveaux. Pour les directeurs, il s’agit de promotions internes évaluées en interne et sur la base d’avis motivés du conseil de direction. Un brevet de direction était prévu, mais il n’a pas encore été organisé. Chaque organisme public définit ses procédures internes en fonction du statut applicable.

[Dvd] Cette pratique n’existe-t-elle qu’au niveau régional wallon ou également en Flandre et au niveau fédéral ?

La politisation est un produit national qui profite au parti dominant et qui exerce le pouvoir en permanence. Ce produit a été exporté vers les entités fédérées avec la réussite que l’on connaît.

[Dvd] Comment les nominations se déroulent-elles en Flandre ? Y a-t-il possibilité de prendre exemple ?

Le système flamand est aussi politisé, mais plus opaque. Malheureusement, il n’y pas de GERFA en Flandre. L’opinion francophone est en plus beaucoup plus critique sur ce point.

[Dvd] La Flandre ne fait donc pas mieux que nous dans ce domaine ?

Sûrement pas ! Au moins du côté francophone, le débat a lieu !

[Caroline] Avez-vous des témoignages de candidats, à des postes importants de la fonction publique, qui ont été évincés pour raisons politiques, à compétence égale ou supérieure à celui qui a été nommé ? C’était où, et quand, et pour quel poste ?

Oui et les témoignages sont nombreux. Cela étant, les candidats compétents ne se présentent plus à des examens pour lesquels les jeux sont faits. C’est une réussite par l’absurde de la politisation qui parvient à chasser les éléments non souhaités.

[Manu] Un air connu : « Non, non, rien n’a changé. Tout, tout a continué. Héhé! Héhé! » La politisation dans l’administration wallonne n’a t’elle pas encore de beaux jours devant elle ?

Oui si aucune réforme n’est entreprise et si les partis politiques ne prennent pas conscience de sa nécessité.

[Ingrid] Jean-Marc Nollet réfute les accusations de nominations politiques. Les promesses de bonnes gouvernances d’Ecolo ne seront-elles jamais tenues selon vous ?

Je pense que Jean-Marc Nollet est naïf et se laisse manipuler par le PS. Par contre, Ecolo s’efforce de ne pas jouer dans le jeu de la politisation des fonctionnaires. C’est un véritable numéro d’équilibriste.

[Vincent] Écolo obtient-il d’une certaine manière sa part du gâteau ? C’est ce que Willy Borsus a affirmé ce matin.

De manière extrêmement limitée et sans aucune mesure avec le PS ou le CDH qui sont de véritables machines de guerre. Ecolo a tendance à fermer les yeux pour faire avancer son projet d’école, mais le prix à payer paraît élevé.

[Albert] Les Ecolos ont très bien intégré le facteur politisation puisqu’ils ont abandonné l’idée de porter votre proposition de loi sur la dépolitisation de l’administration déjà dans les années 90… C’est partiellement exact sauf qu’Ecolo a refusé de déposer notre proposition de loi suite au refus d’AGALEV qui ne voulait pas entendre parler de statut ou d’école d’administration. Les temps ont changé et les lignes ont un peu bougé.

[Thierry] La politisation de la haute administration est-elle évitable ? Les hauts fonctionnaires ne sont tout de même pas politiquement décérébrés… Le Selor, dans son principe, n’est-il pas utopique ? Le GERFA ne défend pas la dépolitisation absolue des chefs d’administration. Il défend la compétence et le choix. Pour résumer, ne peut être candidat que le fonctionnaire qui a réussi l’école d’administration, ensuite l’autorité politique choisit dans un vivier et assume ses responsabilités. Mais cela ne concerne qu’une bonne vingtaine de fonctionnaires. Pour les autres, la dépolitisation doit être de règle.

[BigJim] Une majorité des postes clés dans les administrations fédérales, surtout celles qui exercent une fonction régalienne (Justice, Aff étrangère, Défense, Finances…), sont occupés par des Flamands. Hasard ?

Le GERFA l’a déjà dit et écrit : la fonction publique fédérale est en voie de flamandisation et les ministres francophones sont particulièrement frileux sur ce point.

[Pipo] C’est pareil, les nominations à la tête de musées ? Toujours les mêmes qui sont nommés, malgré les projets des uns, malgré les compétences des autres ? Oui. Je suis d’accord avec le commentaire de Pipo.

[Frank] Quelle solution proposez-vous ? Nous développons une série de solutions. La plupart sont reprises dans notre mémorandum que vous pouvez consulter sur notre site GEFA.be. Eb vrac : un Selor réformé, des concours et examens sérieux, des systèmes de barème-plan, une école d’administration, un recrutement objectif dans les communes, etc.

[Prim] Vous croyez que ça peut réellement changer ou ce n’est que pure utopie ?

Cela DOIT changer. Notre système n’est pas digne d’un pays développé et moderne. Mais cela dépend en grande partie des citoyens.

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