Olivier Mouton

#Nogov: Sire, donnez-moi plus de cent jours…

Olivier Mouton Journaliste

Il est devenu « normal » que la formation d’un gouvernement fédéral belge se traîne en longueur. Seule la pression d’un président de la Commission européenne pour connaître le nom du candidat belge réveille désormais le pays de sa léthargie…

Il fut une époque, à la fin de ces années 1980 que l’on prend souvent comme référence politique ces derniers temps, où l’on parlait rapidement de crise lorsque la formation d’un gouvernement belge se traînait en longueur. Quand Jean-Luc Dehaene fut contraint en 1988 de déminer un blocage causé par les difficultés budgétaires, les frictions entre sociaux-chrétiens et libéraux ou encore l’affaire communautaire des Fourons, on s’émouvait d’un blocage préjudiciable. Et quand ce plombier chrétien flamand qui allait devenir Premier ministre se rendait au Palais pour demander « Sire, donnez-moi cent jours », l’opinion publique s’enflammait, inquiète de voir le pays paralysé.

La pression européenne

La plus longue crise politique de l’histoire du pays est passée par là, ces fameux 541 jours de psychodrames en 2010-11, et l’on s’est habitué aux affaires courantes élargies avec, en outre, des Régions garantes de stabilité. Tout le monde considère désormais qu’il est « normal » de prendre le temps pour former un gouvernement fédéral. Hier, le 2 septembre 2014, cela faisait précisément cent jours que notre pays est sans gouvernement. Avez-vous entendu le moindre soupir, ou perçu le moindre frisson d’inquiétude? Aucunement. Sur les réseaux sociaux, certains journalistes se sont étonnés de ne plus voir la moindre mention du hashtag #Nogov qui avait rythmé les psychodrames, il y a trois ans. C’est tout, pour presque…

Seule, finalement, une sortie médiatique du coformateur CD&V Kris Peeters est venu rappeler que les négociations visant à mettre en place la Suédoise (N-VA, CD&V, Open VLD et MR) pourraient s’enliser si personne ni prend garde. Et qui est venu forcer cette piqûre de rappel? Pas une association citoyenne, non, ni l’expression de l’un ou l’autre leader d’opinion national, mais bien l’impatience de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, qui attend depuis trois mois le nom de son futur commissaire européen belge.

Lors de la crise de 2010-11, ce furent finalement les agences de notation et les menaces pesant sur la dette qui ont poussé les partis au compromis. Cette fois, c’est le casting du futur exécutif européen qui vient rappeler à nos ténors politiques l’importance de se fixer des délais.

Un test pour la Suédoise

Marianne Thyssen (CD&V) ou Didier Reynders (MR) à la Commission européenne: voilà le match au sommet dont le résultat, s’il ne se termine pas en match nul, doit prouver que la Suédoise est « viable », dixit Peeters. Tout étant dans tout, la désignation du candidat belge à la Commission européenne est importante dans cette négociation parce qu’elle pèse lourd (autant qu’un vice-Premier ministre) dans ces subtils équilibrages permettant aux partis de sortir le sourire aux lèvres, prêts à défendre l’accord final devant leurs troupes.

Légitimement, le MR réclame le poste pour son vice-Premier ministre sortant, Didier Reynders, dont l’expérience nationale mais aussi internationale est incontestable: ministres des Finances, il a longtemps participé à l’Eurogroupe avant d’accéder ces dernières années au ministère des Affaires étrangères. Ce serait le jackpot pour Charles Michel s’il décrochait cette timbale pour son « ami » Didier: il obtiendrait un poste prestigieux pour les siens en plus des sept (!) ministres fédéraux annoncés, mais réglerait surtout en même temps le problème d’une cohabitation potentiellement délicate avec un Reynders ultra-ambitieux. Mais le CD&V ne s’en laisse pas compter: il réclame le poste pour Marianne Thyssen, ancienne présidente du parti et longtemps eurodéputée, qui a le grand avantage d’être une femme aux yeux de Juncker, tout en revendiquant le Seize pour Kris Peeters. Traduction, à demi-mots: seul parti francophone de la négociation, le MR ne doit pas être trop gourmand, face à un CD&V qui ne disposerait « que » de trois ministres.

La désignation du candidat belge à l’Europe constitue bien l’épreuve de vérité pour la Suédoise.

Voilà pourquoi la désignation du candidat belge constitue bien l’épreuve de vérité de la Suédoise. C’est un test pour vérifier si les trois partis flamands accepteront de ne pas faire jouer en permanence leur large majorité face à un MR courageux pour certains, kamikaze pour d’autres. PS et CDH regardent d’un oeil mi-amusé, mi-inquiet le dénouement de cette saga.

L’interrogation nationaliste

Le plus étrange dans l’histoire, et peut-être le plus préoccupant, c’est que la N-VA ne revendique rien, aucun poste à responsabilités, alors qu’elle est quand même le premier parti du pays. Lentement, elle avance ses pions sur le fond, réclame davantage d’économies, veut relancer le nucléaire… tandis que le ministre-président flamand Geert Bourgeois affirme que l’objectif confédéral n’est pas oublié. Pour l’heure, elle semble rester constructive autour de la table, mais ses chants radicaux pourraient se réveiller plus vite que les libéraux ne le souhaitent si elle ne dispose pas d’arguments suffisants à présenter à sa base.

Ce jeudi, Charles Michel et Kris Peeters se rendront au Palais pour faire un rapport intermédiaire. Ils devraient confier au roi Philippe le nom du candidat belge et lui présenter des esquisses budgétaires concrètes. Une (petite) dramatisation est classique dans une négociation. Ils demanderont aussi au Roi d’obtenir plus de cent jours…

Mais s’il n’y a pas de fumée blanche avant la fin septembre, il sera peut-être temps de ressortir les hashtag #Nogov sur les réseaux sociaux…

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