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Nicolas Hulot : « Il faut renouer avec l’utopie »

Après avoir fréquenté les huttes de Papouasie ou les igloos inuits, Nicolas Hulot, promu envoyé spécial du président français pour la préservation de la planète, campe désormais sous les ors de l’hôtel de Marigny, à un jet de pierre de l’Elysée. Mais c’est au sein de sa fondation qu’il nous reçoit, en jean et sweat-shirt. Après avoir abandonné son émission Ushuaïa et fait le tour du monde en famille durant six mois pour digérer sa défaite face à Eva Joly dans la course à la candidature à la présidentielle d’Europe Ecologie Les Verts, M. Hulot est rentré de vacances. Et, à 57 ans, entame une nouvelle vie. Une double vie. D’un côté, ses fonctions de sherpa, pour lesquelles il continuera de sillonner le monde. De l’autre, l’animation de sa fondation, qu’il transforme partiellement en think tank pour sonner le branle-bas de la révolution écologique. Ses armes : une énergie, une force de conviction et un enthousiasme à toute épreuve. Assez pour déplacer les montagnes d’intérêts contradictoires qui se dressent devant lui ? Réponses d’un utopiste sans trop d’illusions.

Le Vif/L’Express : Pourquoi être revenu sur le devant de la scène politico-médiatique ? Elle vous manquait ?

Nicolas Hulot : Rassurez-vous, je ne m’ennuyais pas, d’autant que je suis responsable d’une fondation, ce qui représente déjà quasiment un plein-temps, même si mon activité y est bénévole. Si j’ai accepté de devenir l’envoyé spécial du président Hollande pour la préservation de la planète, c’est tout simplement parce que cette fonction me semble une nécessité et qu’elle me convient bien. On ne peut se contenter de tirer des sonnettes d’alarme, puis refuser l’occasion d’agir au plus près de ceux qui décident. Il serait tellement facile de céder au fatalisme quand tous les prétextes semblent bons – notamment la crise économique – pour ignorer les impératifs écologiques. Par ailleurs, cette proposition est arrivée à un tournant de mon existence, puisque j’ai décidé de suspendre toute activité professionnelle dans les années à venir, afin de me consacrer exclusivement à mon engagement écologique.

Dans la pratique, comment allez-vous vous organiser ?

D’abord, je garde la présidence de la Fondation, car je souhaite poursuivre mon action en France. Mais, pour aller plus loin, il faut élargir sa vision : aucun pays ne peut avancer sur les questions écologiques sans grands alliés internationaux, puisque la crise écologique est universelle et transversale. D’où le choix de cette mission, qui a pour but de créer des réseaux, des alliances et d’élargir le dialogue. Je ne suis évidemment pas le premier ni le seul à agir, et je le ferai en complémentarité avec d’autres, notamment les experts de ma fondation, qui réfléchissent depuis longtemps sur les questions écologiques. Durant des années, beaucoup ont cru qu’on pouvait mobiliser sur des constats de plus en plus alarmants. Aujourd’hui, je suis persuadé qu’il faut passer aux propositions. Pourquoi ? Parce que nous avons beau savoir que la planète – donc ses habitants – est en très grand danger, on n’arrive pas à y croire. C’est trop énorme, ça tétanise.

Certains contestent encore ces faits…

Il y aura toujours des esprits chagrins, sincères ou opportunistes, pour réfuter les conclusions des scientifiques, quasi unanimes, prouvant que l’activité humaine a une part de responsabilité dans les changements climatiques. Mais je note qu’à Doha comme à Copenhague aucun chef d’Etat n’est monté à la tribune de la conférence sur le climat pour réfuter ce diagnostic. Je considère donc qu’il est posé. Autre fait incontestable : nous avons basculé dans la rareté. Or notre économie, parce qu’elle repose sur l’exploitation des ressources naturelles et des matières premières, est sapée dans ses fondements. L’ambition du think tank qui vient d’être créé au sein de ma fondation est d’être le chaînon manquant entre le diagnostic scientifique et la production de solutions politiques. Si l’on ne donne pas aux citoyens une vision de ce que peut être le monde de demain, et si l’on ne fournit pas aux politiques des grilles de lecture, des clés, des pistes, des chemins à la hauteur des enjeux de ce défi, on ne s’en sortira pas. Il faut passer à une autre échelle maintenant, entrer dans le dur, chacun à son niveau. Cette mission personnelle du président va me donner accès à des décideurs du monde entier. Refuser cette opportunité aurait été une faute.

L’accepter, n’est-ce pas passer pour un alibi écolo ?

Je suis un intuitif, et je ne pense pas que ce soit l’idée de François Hollande. Je me suis d’ailleurs déjà exprimé publiquement sur plusieurs sujets qui me tiennent à coeur – par exemple, le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes à Nantes – pour donner un avis discordant, et cela ne le dérange pas, au contraire. Avant d’accepter cette mission, j’ai posé trois conditions très claires. Garder mon indépendance et la présidence de ma fondation pour continuer d’agir à l’intérieur des frontières françaises ; conserver ma liberté de parole, ce qui signifie que je ne pratiquerai jamais la langue de bois, même si je m’oblige à rester toujours courtois. J’ai enfin demandé à remplir ma mission officielle de manière bénévole, afin qu’il n’y ait pas de prise possible.

Faut-il faire l’éducation écologique du président français ?

A la Fondation, parce que nous avons le nez sur ces questions toute la journée et que nous sommes persuadés que le traitement de la crise sociale et économique passe aussi par le traitement de la crise écologique, il nous est plus facile d’avoir la bonne grille de lecture. Or la gauche n’a pas plus fait sa conversion écologique que la droite, puisqu’elle a toujours sous-traité ces sujets-là en s’appuyant sur les écologistes. Et je peux comprendre que, face à la crise, ces questions puissent sembler abstraites, exotiques ou éloignées des préoccupations concrètes. Il faut donc interpeller l’opinion, mais aussi convertir les décideurs. En dialoguant avec les trois derniers chefs d’Etat français, j’ai appris qu’on pouvait faire appel à leur sincérité. Quand vous dites hors caméra à un président : « Je ne me bats pas pour moi mais pour nos enfants, car c’est eux qu’on va balancer dans le vide, et pas dans trois générations, non, demain ! », cet homme ne reste jamais insensible. Depuis le début de la campagne électorale, François Hollande et moi-même avons eu une succession d’entretiens. Comme j’ai constaté une attention soutenue de sa part, nous sommes convenus au cours de l’été dernier que, pour aller plus loin, il fallait créer des alliances à l’international. Je sais bien que ce n’est pas moi, le petit Hulot, qui vais tout changer seul, mais je peux au moins essayer d’apporter mon aide.

Un mouvement peut-il s’amorcer quand les Français sont d’abord préoccupés par le chômage et le pouvoir d’achat ?

Il faudra leur faire comprendre que le prix des produits alimentaires, de l’énergie, la crise économique, les inégalités sont de plus en plus liés à la crise environnementale. La bonne nouvelle, c’est que beaucoup de gens, y compris chez les économistes, réfléchissent à des solutions possibles, même s’ils savent bien qu’en période de crise les décideurs ont tendance à ne surtout rien essayer, par peur de tout perdre. Les politiques doivent avoir accès à ceux qui ont des idées, sont capables d’audaces. Pour la première fois, l’humanité est confrontée à un enjeu collectif qui concerne chacun, quelle que soit sa nationalité, sa religion, sa position sociale. La diplomatie doit s’adapter à cette nouveauté pour que ces sujets ne soient plus traités uniquement dans les rendez-vous internationaux.

Ne risquez-vous pas de marcher sur les plates-bandes de la ministre de l’Ecologie Delphine Batho, du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius…

Je relève de l’Elysée, j’ai une toute petite équipe, je ne suis pas ministre. Et je n’aurais jamais accepté cette mission sans l’appui du Quai d’Orsay, qui semble sincèrement prêt à m’aider. Comme la France accueillera la conférence sur le climat en 2015, cela nous obligera à être très créatifs, à travailler sur le fond. Dans le monde entier, des initiatives fonctionnent. Mon rôle est de les agréger, de les valoriser. Je veux entrer, non par angélisme, mais par nécessité, dans l’écologie positive. Je veux montrer qu’il y a d’autres chemins. Ceux qui existent déjà, ceux que l’on peut ouvrir. Il faut renouer avec l’utopie.

Elle n’est guère en vogue par les temps qui courent…

L’un de mes inspirateurs, Théodore Monod, disait : « L’utopie, ce n’est pas ce qui est irréalisable, mais ce qui est irréalisé. » Voilà pourquoi il faut s’ouvrir à la créativité jusqu’aux frontières de l’utopie, car la schizophrénie actuelle produit toujours les mêmes erreurs en s’étonnant de reproduire les mêmes effets. Pour s’en sortir, il faut renouer avec des valeurs très importantes : l’humilité, la responsabilité, la solidarité et la mesure, avoir conscience de la finitude d’un monde dont les ressources ne sont pas infinies.

Biodiversité, climat, OGM, énergies alternatives, nucléaire… Il y a tant de questions à aborder. Lesquelles privilégier ?

Aucune, car tout est lié. Mais, bien sûr, je m’adapterai à mes interlocuteurs, tout en sachant que la question du financement est centrale, puisque, à chaque proposition, j’entendrai la même réponse : « Tout cela coûte cher. » Si je n’arrive pas avec des pistes crédibles, la discussion risque de tourner court. Voilà pourquoi j’ai en partie transformé ma fondation en think tank, afin d’y rassembler les idées novatrices des meilleurs penseurs, des meilleurs experts.

Les laboratoires d’idées ne manquent pas. Qu’apporterez-vous de plus ?

La spécificité de ce think tank est de se demander si l’économie est une fin ou un moyen. De penser que la crise économique, la crise démocratique et la crise écologique ont une cause commune : l’excès. Et de considérer que, derrière tout cela, se profile une crise humaine. Nous avons été incapables de nous fixer des limites, alors que la planète – mais aussi les inégalités flagrantes – nous en impose. Nos démocraties ne sont sans doute plus adaptées aux enjeux du long terme. Le futur en est le grand absent. Nous tentons donc de réfléchir à des réformes institutionnelles qui permettraient d’obliger les Etats à ne pas le sacrifier. Combien de responsables politiques m’ont dit hors micro : « Tu as raison, mais comment veux-tu que je fasse autrement ? »

Tout cela ne risque-t-il pas de donner l’image d’un Nicolas Hulot sans cesse dans les avions, avec, en plus, une empreinte écologique lourde ?

J’en ai conscience, mais il n’existe pas d’autre moyen. Il faut bien semer pour récolter, et, si l’on veut convaincre les gens, la présence physique est indispensable, les yeux dans les yeux. Je chercherai en revanche à optimiser mes déplacements.

Michel Rocard se dit favorable à l’exploitation, en France, des gaz de schiste. Cela vous trouble ?

Au vu de l’expérience américaine, ils ont tout d’un nouvel eldorado, et je comprends qu’on y regarde à deux fois. Cependant, l’aggravation du réchauffement climatique nous impose de diminuer notre consommation d’énergies fossiles. Par ailleurs, les méfaits environnementaux de la fracturation hydraulique sont indéniables. Et même si demain, on nous prouve le contraire, il vaudrait mieux laisser le carbone dans la roche et explorer d’autres pistes. Si ces choix semblent douloureux aujourd’hui, ils seront rentables, y compris économiquement, demain. Nous avons signé le protocole de Kyoto ; nous devons rester cohérents avec cet engagement.

Finalement, êtes-vous confiant ?

Je suis d’un naturel optimiste, mais, vingt ans après Rio, cela me désespère de voir que, de tant d’années qui auraient dû être utiles, nous avons fait des années futiles. Alors plutôt que de baisser les bras, j’ai décidé de donner encore plus, mais en me mobilisant sur les idées. A mon petit niveau, je vais essayer de montrer qu’on peut faire mieux avec moins. Ce n’est pas une formule : la vérité est là. Nous avons trois ans pour agir, après il sera sans doute trop tard.

Regrettez-vous parfois de vous être engagé en politique ?

Non, car je garde ma liberté. Une liberté absolue.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE BARBIER ET OLIVIER LE NAIRE

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