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Nicolas Colsaerts : « Je ne joue pas au golf pour l’argent »

En interview, Nicolas Colsaerts préfère le « nous » au « je ». Une façon de remercier ceux qui lui permettent d’être aujourd’hui un des meilleurs golfeurs au monde (64e place) et de participer demain peut-être aux plus grands tournois. Loin des clichés sur un sport individualiste réservé à une élite, le Bruxellois parle de sa passion précoce : à 6 ans, il tenait son premier club ; à 12, il savait qu’il en ferait son métier. Et n’élude pas la descente aux enfers qu’il a connue quand il fut, à 18 ans, le deuxième plus jeune joueur professionnel de l’histoire. Pas superficiel, Nicolas Colsaerts évoque avec sérénité l’argent, le dopage, la pression médiatique et la valeur d’exemple qu’il véhicule, succès aidant, auprès des jeunes et au bénéfice de la Belgique. Pas de problème, Nicolas Colsaerts est « fier d’être belge ».

Le Vif/L’Express : Pourquoi avoir attendu vos 29 ans pour défrayer la chronique sportive belge ?

Nicolas Colsaerts : Je pense avoir tout simplement franchi un cap dans ma discipline. On s’est intéressé à moi en Belgique à la suite de ma première victoire sur le circuit européen (« European Tour »), à l’Open de Chine, en avril 2011. En réalité, depuis 2010, j’ai stabilisé mon jeu et je suis devenu plus régulier. Je gère mieux les moments intenses, les « putts » notamment, là où les meilleurs font la différence. J’ai la chance d’avoir un bon « swing ». Je me suis rendu compte en terminant troisième au Volvo World Match Play Championship que je pouvais concurrencer les tout meilleurs mondiaux ; n’échouant qu’en demi-finale, en « mort subite », face à l’Anglais Ian Poulter.

J’ai toujours su que mon heure viendrait. J’étais déjà passé tout près d’une grande victoire en 2003, 2005 ou 2006. Le truc en golf, c’est que si les choses n’arrivent pas par hasard, il faut une concordance d’éléments pour que tout cela se mette harmonieusement en place et se traduise en succès. Nous nous retrouvons aujourd’hui à la 64e place du classement mondial et qualifiés pour le « World Golf Championship » (Arizona) en match play.

Vous dites « Nous nous retrouvons ». Nous pensions qu’il n’y avait pas de discipline sportive plus individualiste que le golf…

Si je suis performant, c’est parce que je suis encadré par une équipe qui participe très largement à mes succès. Il y a mon coach technique Michel Vanmeerbeek, qui me suit depuis que j’ai 8 ans, mon manager Vincent Borremans, qui s’occupe de tout et est mon confident. Mon staff compte également le joueur Jérôme Theunis, mon caddy Brian Nilsson ainsi qu’une équipe pour l’encadrement physique, avec Richard Vanmeerbeek, le fils de Michel et spécialiste du CrossFit, Blaise Erpicum et le Dr Serge Balon-Perin.

Vous considérez-vous davantage comme un athlète ou comme un artiste ?

J’ai toujours eu la fibre sportive, mais je suis un joueur émotif. Et je suis très sensible à ce qui se passe autour de moi sur un parcours. Je joue à l’instinct. Beaucoup de choses se passent dans les yeux. La préparation physique est toutefois importante. Un tournoi, c’est cinq jours de stress avec plus ou moins 8 kilomètres parcourus par journée. Et quand on joue entre 35 à 40 semaines de tournoi par an, il y a lieu de se soigner. Je travaille ainsi le renforcement des jambes et de la ceinture abdominale. Il faut de surcroît savoir gérer le stress. Le fameux « dimanche » de compétition, il y a lieu d’être au top pour être capable de faire la différence dans les 30 derniers mètres. Il m’arrive ainsi de consulter un coach mental. La carrière ne dépasse guère plus les 45-50 ans. Le golf, c’est usant et très stressant : on le voit sur ma tronche, non ?

Vous évoquez votre « fibre sportive » ; qui donc vous a-t-il transmis le virus du golf ?

Personne ! A 6 ans, j’ai eu l’occasion de tenir mon premier club en main. Ce fut une révélation. Mon père ne s’était lancé dans ce sport que quelques semaines à peine auparavant. C’était un hockeyeur, multiple champion de Belgique avec La Rasante notamment. Le sport a toujours baigné mon environnement familial. Mon grand-père a un passé olympique en water-polo. Et aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été adroit avec une balle, dès lors que j’avais un stick, un club ou une raquette en main. A 6 ans donc, j’ai découvert les greens à Boitsfort. A 12 ans, j’étais sûr que je ferais du golf mon métier même si j’adorais le hockey. Je prenais un plaisir fou à fréquenter les clubs du Zoute et du Waterloo. J’étais curieux de tout. Je posais plein de questions, j’observais les moindres détails…

Cela ressemble à un conte de fées, mais la réalité n’est pas aussi joyeuse. Si votre carrière décolle aujourd’hui, vous avez, selon vos propres termes, « touché le fond » en voulant très tôt vivre de votre passion.

C’est exact, je n’ai pas peur d’en parler. J’ai aussi galéré. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Le jour de mes 18 ans, je suis devenu joueur de golf professionnel en décrochant ma carte pour le circuit européen PGA. J’étais le 2e joueur le plus jeune de l’histoire à avoir obtenu ce statut et le précieux sésame. J’ai arrêté mes études pour courir le monde à tenter de me faire une place au soleil sur le circuit. Pas évident. J’ai connu des hauts et des bas en perdant et récupérant ma fameuse carte pour être admis sur le circuit pro.

Ma vie était partagée entre les hôtels, les avions et les club house. Pas simple de digérer les déceptions quand les résultats n’étaient pas au rendez-vous. Le plus souvent seul, j’ai fait le con : belle vie, fêtes et mauvaises rencontres… J’habitais à Saint-Josse à quelques centaines de mètres du Mirano, haut lieu de la vie nocturne bruxelloise. Durant toute cette période, je gardais toutefois une forme de lucidité : « Mais qu’est-ce que je fous là ? » me disais-je entre deux sorties. La situation me glissait entre les mains certes, mais je savais que j’avais le golf dans le sang et que j’émergerais.

Avez-vous pu compter sur le soutien de votre famille au cours de cette période noire ?

Oui. Moi, le fils unique, j’ai pu m’appuyer sur des parents aimants. Ils m’ont toujours soutenu. Je n’ai jamais manqué de rien au cours de ma jeunesse, même si je n’ai pas connu la vie de château !
Vous n’êtes en tout cas pas rancunier avec la capitale : vous revendiquez fièrement votre appartenance à cette ville dont vous connaissez les moindres recoins…

Bruxelles, c’est chez moi ! Je peux jouer le taximan sans peine. Je m’y ressource vraiment, moi qui me balade toute l’année sur des billards verts, dans des cadres exceptionnels. J’adore autant flâner du côté de la place du Jeu de balle que revoir mes potes hockeyeurs. En Belgique, on a un sens de l’humour aiguisé. Grâce aux Poelvoorde, Damiens et autres acteurs bien de chez nous, moi « le Belge » du circuit européen, j’ai bonne presse à l’étranger. J’adore évoquer la Belgian Touch…

Le golf, curieusement, ne sera pas présent aux Jeux olympiques de Londres l’été prochain, mais seulement à Rio en 2014. Il faut bien avouer qu’en Belgique on parle peu d’un sport qui ne s’appuie sur aucune compétition d’envergure internationale pour assurer sa publicité.

Non et je le regrette. Je me souviens avec nostalgie du dernier Open de Belgique disputé en 2000 et pour lequel j’avais reçu une « wild card ». Nous n’avons malheureusement ni les moyens, ni la structure, ni les infrastructures pour accueillir une étape du circuit européen chez nous. Si je reviens régulièrement et avec plaisir au Royal Waterloo Golf Club, je ne peux m’y entraîner « sérieusement » en vue d’une compétition, car le parcours ne correspond plus aux profils proposés et homologués en circuit international.

Etes-vous arrivé à un stade où vous pouvez refuser des sponsors ?

On est très bien avec ce que l’on a. Nous connaissons beaucoup de monde en Belgique et nous avons aujourd’hui le loisir de pouvoir choisir soigneusement nos partenaires. La plupart viennent de l’étranger.

Je n’ai jamais joué pour le pognon mais, c’est vrai, je gagne bien ma vie. Cela n’a pas toujours été le cas. Une saison sur le circuit pro coûte entre 150 000 et 200 000 euros. Il faut rétribuer mon team, payer les hôtels, les billets d’avion, déduire les impôts… Cela fait dix ans qu’on est occupé à se débrouiller. L’an passé, mes gains sur le circuit ont atteint 1,1 million d’euros. Au final, de 20 à 25 % de cette somme me revient. Je peux vous assurer que je n’ai pas 3 millions d’euros qui dorment sur mon compte !

Certains golfeurs jouent-ils essentiellement pour l’argent ?

C’est une des valeurs des Anglo-Saxons.

Que pensez-vous de Tiger Woods ?

C’est Michael Jordan, Ayrton Senna… Malgré ses déboires, il y a quelques années, il reste le golfeur de référence. C’est le seul type dont on montre des images même quand il joue mal.

Le golf est connu comme un sport de gentlemen. Quel est le climat entre golfeurs ? La pression est-elle forte en raison de la concurrence ?

C’est assez lourd. Il y a de l’argent en jeu. Mais cela reste sport relativement fair-play. Il n’y a pas beaucoup de coups bas. Et quand il y en a, cela se règle entre joueurs.

Le dopage existe-t-il ?

Non, plus maintenant, en raison des contrôles.

On a parlé à une époque des fameux bêta-bloquants ?

Oui. Mais le golf est un sport d’adresse qui ne se prête pas au dopage à l’état pur. Ingurgiter de la créatine ne va pas vous permettre d’envoyer des « buses » à 300 mètres. C’est un don que l’on a ou que l’on n’a pas.

Qui dit sport avec beaucoup d’argent dit paris. Est-ce le cas aussi en golf ?

Oui, les paris existent. Mais nous, nous ne pouvons pas parier, ni les joueurs, ni les caddies, ni l’entourage. Par contre, il arrive souvent que des espèces de « scout » soient présents pour recueillir des informations sur les joueurs et les relayer à leurs clients.

Le succès aidant, avez-vous le sentiment d’avoir une responsabilité de représentation de la Belgique ? Cela vous dérange-t-il ?

Non, parce que je suis fier d’être belge, malgré le fait que j’aimerais mieux parler le néerlandais (ma mère vient de Beersel et, à l’origine, elle est flamande). Cela dit, je n’ai pas vraiment le temps de jouer à l’ambassadeur. Ma motivation première est d’être performant.

La médiatisation, est-ce un plus ou un fardeau ?

Cela se passe très bien. Depuis deux ans, nous avons plutôt une bonne presse. Surtout, nous avons une histoire qui plaît tant aux personnes plus conservatrices qu’à celles qui sont plus rock’n’roll. Je ne supporterais pas d’être un « bête peï » qui raconte son sport, parcours après parcours, et qui endort tout le monde. Mais ce n’est pas trop mon genre non plus de rechercher l’avant de la scène. Je ne suis pas un grand leader. J’aime que les gens se rendent compte de ce que je fais sans devoir le leur expliquer. C’est assez difficile.

Avez-vous le sentiment d’être un exemple pour les jeunes en Belgique et, par vos succès, de susciter des vocations ?

J’aimerais. Voir un gamin de 8 ans qui vous accueille dans un club en Belgique avec un sourire grand comme ça, cela n’a pas de prix. C’est assez flatteur de considérer qu’il vous voit comme un dieu. Il n’y a pas vraiment de golfeurs en Belgique qui, moi, m’ont fait rêver. Je me levais le dimanche matin à 7 heures pour regarder L’Heure du golf sur France 3, que je ratais moins fréquemment que Nouba Nouba. C’est pour cette raison que l’on essaie de monter une exhibition en Belgique : pour les jeunes. Ce serait criminel de ne pas renvoyer un minimum l’ascenseur.

Vous vous dites fier d’être belge. Comment définissez-vous la Belgian Touch ?

C’est le melting-pot de la Belgique : les différentes communautés, langues, villes, Anvers, Gand, Liège… Et puis Bruxelles, avec l’Union européenne. On peut difficilement rencontrer plus de cultures qu’à Bruxelles. On est beaucoup plus exposé que les Français à la culture anglo-saxonne. C’est une ouverture, une différence et un atout par rapport à d’autres pays.

Votre objectif à court terme ?

Faire partie des 50 premiers mondiaux. A partir de là, on rentre dans quasi 100 % des tournois. A court ou moyen terme, ce serait de remporter un tournoi par an. A long terme, ce serait de gagner un « Majeur » [NDLR : un des 4 tournois les plus prestigieux, le Masters d’Augusta aux Etats-Unis, l’Open américain, l’Open britannique et le championnat de la PGA qui a lieu aux Etats-Unis] ou de jouer la Ryder Cup [NDLR : qui oppose chaque année les Etats-Unis à l’Europe]. Cela demandera beaucoup de boulot et beaucoup de patience. Une bonne étoile me suit depuis deux ans. Donc, si on ne s’en moque pas, il n’y a pas de raison qu’elle ne reste pas là pendant un petit bout de temps…

PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE CHARLIER ET GÉRALD PAPY

Nicolas Colsaerts EN 5 DATES

14 novembre 1982 Naissance à Schaerbeek. 2000 Devient golfeur professionnel. 2009 Il remporte sa première victoire sur le Challenge Tour européen, en Finlande. 2010 Il termine à la 67e place du classement européen. 2011 Il décroche son premier succès sur le tour européen au Volvo China Open.

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