Francois Bellot, ministre de la Mobilité © BELGA

Nettoyage syndical à la SNCB

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Comment François Bellot, ministre MR de la Mobilité, organise la liquidation des petites organisations corporatistes et la montée en puissance du syndicat libéral aux chemins de fer. Qui dit : recadrage du droit de grève ?

Les cheminots ont repris leurs esprits en même temps que le chemin du boulot. François Bellot en est fort aise. L’homme apprécie modérément les zones de turbulences. Les travailleurs du rail qui se piquent de se croiser les bras pour défendre leurs droits, il les aime recadrés et modérés, en action comme en revendication. Le ministre MR de la Mobilité, aux manettes depuis trois mois, met à profit la trêve estivale pour planter à leur intention un nouveau décor. Fidèle en cela à l’ordre de marche de la suédoise : ne rien céder aux organisations syndicales à la SNCB et, si possible, les mettre au pas comme en rêvent certains partenaires de la coalition N-VA – MR – CD&V – Open VLD.

De prime abord, François Bellot ne fait que touiller dans la popote syndicale interne aux chemins de fer. Dans son plan soumis au Parlement, il n’est question que d’avantager les organisations syndicales représentatives ou reconnues : elles seules auront encore voix au chapitre dans les procédures de négociation et de concertation, elles seules pourront encore couvrir leurs affiliés en cas de préavis de grève pour cause de conflits sociaux.

Pour « en être », il faudra montrer patte blanche : être représenté au sein d’Infrabel, de la SNCB et de HR Rail et appartenir à une organisation interprofessionnelle qui siège au Conseil national du Travail. Pour être reconnu, il s’agira d’aligner un nombre d’affiliés équivalent à au moins 10% de l’effectif total du personnel.

Casser les grèves sectorielles des conducteurs de train

La barre ainsi placée plus haut fera des victimes. Le ministre libéral en attend un effet retour : « Cela va compliquer les grèves purement sectorielles. » Car cela va porter un coup mortel aux organisations qui privilégient la défense exclusive de certaines catégories du personnel. Les remuants conducteurs de train, pour ne pas les citer.

Exit le SACT (Syndicat Autonome des Conducteurs de Train), exit le SIC (Syndicat Indépendant pour Cheminots), ces organisations agréées à la SNCB. Luc Michel, vice-président général du SIC, accuse le coup : « Nous allons tout simplement mourir : perdre nos trois permanents, notre financement, notre droit de grève. Alors que notre taux d’affiliation est supérieur à 5%. » Cette lessive, prévient-il, aura des effets secondaires : « On organise l’exclusion des organisations syndicales apolitiques. Gare au précédent : après la SNCB, viendra le tour des syndicats des policiers et des militaires. » Se profile la voie d’un recours à la Cour constitutionnelle, ou devant la Justice européenne s’il le faut.

En le débarrassant des vilains petits canards de la mare syndicale volontiers campés en trublions du rail, François Bellot entend ramener l’exercice du droit de grève à la SNCB à ses fondamentaux : « Il n’est pas déraisonnable de ne pas autoriser des grèves inspirées par un intérêt limité et spécifique d’une frange du personnel. Une grève doit être suffisamment soutenue, vu l’énorme impact engendré sur les droits et liberté d’autrui. »

Seuls resteront en lice au royaume des cheminots, la CGSP socialiste, la CSC Transcom d’inspiration chrétienne et le SLFP de fibre libérale, ce dernier appelé à entrer dans la cour des grands. Divine surprise pour cet éternel petit poucet de la classe syndicale, jusqu’ici exclu des organes vitaux de concertation à la SNCB et réduit à un rôle de figuration au sein de la commission paritaire nationale où CGSP (6 mandats) et CSC (4) font la loi sur le banc syndical. « Nous y avons décroché un siège sous le gouvernement Di Rupo mais l’opposition des deux syndicats est parvenue à nous exclure des débats préparatoires au sein des groupes de travail. Nous demandons juste la fin d’un déni de démocratie », détaille Filoteo Africano, président fédéral du Groupe SLFP- Cheminots.

Si la réforme portée par le ministre libéral va faire un heureux, c’est bien le Syndicat libre de la Fonction publique. Merci patron ? Tous partis confondus, l’opposition parlementaire de gauche voit le mal dans ce remue-ménage syndical : il ne viserait qu’à doper un syndicat ultra-minoritaire mais proche de la majorité gouvernementale. A charge pour cet allié syndical dans la place, d’aider à faire passer certaines décisions gouvernementales. La récente crise des prisons aurait prouvé l’efficacité du modus operandi.

Elections sociales à la SNCB, coup de pouce au syndicat libéral

De découvrir ainsi les « bleus » syndicaux dépeints en « jaunes », le président Africano voit rouge : « Aucun deal n’a été passé avec les partis libéraux. Notre syndicat est libre et indépendant. Nous n’avons pas de leçons à recevoir sur ce plan. »

Et puis, que le meilleur gagne. Le trio syndical s’affrontera désormais à la loyale, lors d’élections sociales. Programmée dès 2018, cette vraie révolution sonne le glas du système de comptage des affiliés syndicaux, en usage à la SNCB depuis sa création en 1926. François Bellot lui préfère nettement la formule du vote à bulletins secrets, « la meilleure manière de refléter la représentativité syndicale. » La meilleure façon aussi d’espérer entamer les rentes de situation des cheminots socialistes et chrétiens et de favoriser la montée en puissance du SLFP, en faisant entrer dans la danse les travailleurs du rail non-syndiqués. Ceux-là, dans l’isoloir, pourraient se laisser séduire par un syndicat réputé pour son empressement mesuré à monter aux barricades.

Une touche de bleu plus prononcée dans le paysage syndical du rail irait à ravir à la coalition de centre-droit. Excellente raison pour l’opposition de gauche de dénoncer la volonté insidieuse d’affaiblir, de brider les organisations syndicales et de mettre au pas un foyer traditionnel de résistance et de contestation capable d’infléchir le baromètre social.

Sous réserve d’inventaire, Jean Vandewattine, chargé de cours à l’ULB-UMons et spécialiste en sciences du travail et conflictualité sociale,ne sous-estime pas la manoeuvre en cours : « Au-delà de la marginalisation des organisations agréées, je pense qu’il y a une volonté politique, clairement exprimée par certains, de casser les capacités de résistance des organisations reconnues. Cet enjeu, très symbolique pour ce gouvernement, est à la fois interne au secteur du rail mais aussi externe. Les syndicats du rail ont une forte influence sur la réussite ou non des actions nationales et interprofessionnelles, comme les grèves et les manifestations générales, contre les mesures d’austérité et la remise en question de droits considérés comme acquis. » Le train est en marche.

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