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Négociations : Di Rupo et les sept « jeunots »

Soixante ans, et soudain très seul à table… Le formateur et patron du PS se mesure à sept présidents de parti d’une autre génération. Hors Di Rupo, l’avenir institutionnel du pays va se négocier à 38,5 ans de moyenne d’âge. Jamais la jeunesse n’a été autant au pouvoir. Mais l’imagination ?

Sans prendre forcément une ride ou attraper des cheveux gris pour la cause, le maître de cérémonies s’attend à prendre un coup de vieux, lors de son premier tour de table. Rien qu’à dévisager ses sept partenaires de négociations, Elio Di Rupo aura du mal à ne pas se dire que le temps passe décidément vite. Mais où diable était-elle donc, cette belle jeunesse qui lui fait face, quand il faisait ses tout premiers pas en politique ? 1982, son premier mandat de conseiller communal à Mons… Un bail. Le benjamin, Charles, avait 7 ans, il « séchait » encore sur un banc d’école primaire. Alexander, à peine plus âgé, n’était qu’un écolier en culottes courtes. Wouter, celui qui porte des lunettes, haut comme trois pommes à 8 ans, noircissait avec soin ses cahiers de premier de classe. L’autre Wouter, le barbu, 10 ans à l’époque, était toujours en âge de jouer aux billes. Et puis Jean-Michel, Jean-Mi pour les intimes, devait éprouver les émois d’un ado de 15 ans. Sans compter les deux « petits derniers » qui se pointent à l’horizon : Benoît, l’Ardennais, 12 ans en 1982, se frottait à la « grande école » ; Bruno, d’un an l’aîné de Benoît, était aussi à ses débuts en humanités.

Une exception pour Jean-Michel Javaux, 43 ans, le doyen de cette équipe junior. Sinon, en forçant à peine le trait, les Michel (35), De Croo (35), Van Besien (38), Beke (37), Lutgen (41), Tobback (42), tous les autres pourraient être ses fils… A lui, Di Rupo, ministre pour la première fois en 1992, alors qu’aucun d’entre eux n’avait encore franchi le cap des 25 ans et ne s’était déjà fait un nom ou un prénom en politique. Et les voilà tous présidents de parti, déterminés à traiter d’égal à égal avec leur aîné. Sans intention de le ménager, sous prétexte de son âge plus avancé. Il faudra s’y faire. Il reste quelques jours au formateur et président du PS pour profiter pleinement de la compagnie rassurante d’une quinquagénaire, Joëlle Milquet. Car, à partir de début septembre, ce sera roulez jeunesse ! Lorsque la présidente du CDH aura passé la main à Benoît Lutgen, le 1er septembre sauf accident, et quand Caroline Gennez fera de même un peu plus tard au profit de Bruno Tobback à la tête des socialistes flamands, le sexagénaire au n£ud pap’ va se sentir un peu seul au milieu de tous ces hommes qu’une vingtaine d’années sépare.

Di Rupo, l’exception au sein de la jeune génération au pouvoir. Qui prend désormais le dessus dans le sud du pays et s’aligne ainsi sur la classe politique flamande. Il y a peu, le quatuor des présidents PS, CDH, MR et Ecolo totalisait encore un poids des ans supérieur à celui des cinq chefs de formations flamandes réunis : Elio Di Rupo, Joëlle Milquet (50), Didier Reynders (53) et Jean-Michel Javaux, passaient ensemble le cap des 200 printemps, alors que Bart De Wever (40) à la N-VA, Alexander De Croo à l’Open VLD, Wouter Beke au CD&V, Caroline Gennez (36) au SP.A et Wouter Van Besien chez Groen !, se retrouvaient loin sous cette barre. Mais le temps fait son £uvre : exit Reynders au profit de Charles Michel en février 2011 chez les libéraux, exit Milquet pour Benoît Lutgen chez les démocrates humanistes, à la fin de ce mois d’août. La cure de jouvence isole de plus belle le président du PS dans sa tranche d’âge : la table de négociations ne comptait déjà plus de sexagénaires, Elio Di Rupo n’a même plus de quinquagénaire à ses côtés. Sept présidents de parti dans un mouchoir de poche, âgés de 35 à 43 ans. Et puis le fossé : dix-sept ans d’écart entre l’aîné des jeunes, Jean-Michel Javaux, et le doyen socialiste.

Il s’agira donc de faire bonne figure. Zen, Di Rupo : il a le look pour ne pas dépareiller dans l’assemblée. Il sait s’y prendre pour soigner les apparences et ne doit pas se forcer pour rester dans le coup. « Le président du PS garde un aspect très jeune, gère parfaitement sa communication, évolue sans problème parmi des générations plus jeunes », relèvent en ch£ur les politologues Pascal Delwit (ULB) et Pierre Verjans (ULg). C’est dans la tête que ça se passe. La « génération Twitter » à laquelle il se frotte ne fait pas peur au chef de file des socialistes wallons : « Elio Di Rupo a su intégrer l’évolution de la fonction présidentielle, et notamment l’usage de nouveaux moyens de communication. Il parvient aisément à combler l’écart par rapport à des comportements plus jeunes », complète Pascal Delwit. « Papy » est armé pour faire de la résistance. Et pour tenir la distance dans cette « course au jeunisme » qui semble emporter le monde politique au point de virer, dixit Pierre Verjans, à la « gérontophobie ambiante » Elle a eu raison d’un Jean-Luc Dehaene, au moment même où il basculait dans la catégorie des septuagénaires. En avril 2010, le démineur CD&V échoue sans gloire à régler le dossier BHV. La manière n’y était plus. « Dehaene est alors apparu déconnecté de la nouvelle génération, incapable d’assimiler et de maîtriser la communication directe : on l’a vu se faire piéger, sa note de travail sur les genoux prise en photo dans la voiture qui le conduisait au palais royal », rappelle Pascal Delwit. Dehaene fait alors terriblement vieux jeu. Sa méthode, ses vieilles ficelles, son style même sont passés de mode. Rien de cela chez Di Rupo. Il n’a encore rien d’un ringard, irrémédiablement usé par le pouvoir. Pourtant, le président du PS en a tant vu, en trente ans de vie politique. Le « fédéralisme de plombier », souvent jugé bon pour le musée des horreurs en Flandre, Di Rupo le connaît pour l’avoir pratiqué. Comment vanter encore ses charmes sans avoir l’air de le rabâcher aux oreilles d’un Wouter Beke ou d’un Alexander De Croo ? « C’est moins une affaire de générations qu’une question de clivage communautaire : le « fédéralisme de plombier » parle davantage aux francophones. On peut être jeune et conservateur », rectifie avec le sourire Pierre Verjans.

Cerné par la jeune garde présidentielle, Di Rupo n’a aucun motif de se rendre. Ni de se sentir comme un intrus. « Que le formateur ait 60 ans et soit un homme d’expérience n’a rien de très original. Ce qui est inédit en revanche, c’est la présence aussi importante de présidents de parti qui sont non seulement jeunes en âge mais aussi jeunes dans l’exercice de leur fonction. Et qui, pour certains d’entre eux, se retrouvent à la tête de partis difficiles à gérer : comme Charles Michel et Wouter Beke », relève Pascal Delwit. Charles Michel est à la tête du MR depuis six mois à peine, Wouter Beke n’est pleinement investi des commandes du CD&V que depuis décembre dernier, Alexander De Croo et Wouter Van Besien sont au poste depuis deux ans, CDH et SP.A s’offrent un lifting en plein chantier. Cette valse suffit à faire de Jean-Michel Javaux un vétéran, avec ses huit ans de secrétariat fédéral d’Ecolo. Et à faire passer Di Rupo pour un président à vie, après treize ans à la direction du PS. Benoît Lutgen et Bruno Tobback intronisés, la moyenne d’âge des huit négociateurs en première ligne atteindra un plancher historique : 41 ans, voire 38,5 ans, si on extrait Di Rupo du lot. Jamais la mue institutionnelle du pays n’a été confiée à autant de mains aussi jeunes et parfois peu expérimentées. Aucune de ces sept têtes bien pleines et bien faites n’a encore de réforme de l’Etat à mentionner sur son CV. Or celle qu’ils affrontent s’annonce comme la plus considérable, la plus délicate, la plus cruciale. Cela n’en fait pas pour autant des manches ni des têtes brûlées : leurs cartes de visite, parfois déjà bien remplies pour leur âge, parlent pour eux. L’ombre des paternels planera aussi comme jamais au-dessus de la table des négociations : Charles fils de Louis Michel, Alexander fils d’Herman De Croo, Benoît fils de Guy Lutgen, Bruno fils de Louis Tobback. De là à parier sur un effet apaisant : « Je ne pense pas qu’Alexander De Croo ait suivi les conseils de son père en provoquant la chute du gouvernement Leterme en avril 2010… », commente Pascal Delwit.

C’est sûr, le « vieux » n’a pas dit son dernier mot. Di Rupo a des cartes à jouer. Celle de la sagesse que procure l’expérience. Elle pourrait être précieuse pour canaliser ce sang neuf qui ne demande qu’à faire ses preuves. Et, qui sait ?, pourrait faire des miracles après tant d’échecs. Quelle leçon pour les barbons !

PIERRE HAVAUX

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