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Nabil Ben Yadir : « En Belgique aussi, il est temps de marcher contre le racisme ! »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le réalisateur belge des Barons défraye la chronique avec son nouveau film, La Marche, en salle dès ce mercredi et qui raconte la mobilisation pacifique de jeunes de la banlieue de Lyon contre le racisme et pour l’égalité, en 1983. Mais le sujet reste brûlant d’actualité. « Les mecs de la Marche auraient pu venir de Molenbeek », clame ainsi Nadil Ben Yadir.

Le Vif/L’Express : La Marche célèbre le trentième anniversaire de la marche pacifique pour l’égalité et contre la racisme organisée par des jeunes de la banlieue de Lyon en 1983. Au-delà de ce qui est une belle histoire cinématographique, votre objectif n’est-il pas plus militant ?

Nabil Ben Yadir : C’est en effet le récit d’une belle histoire, celle de jeunes gars de la cité des Minguettes, partis de rien, touchés par la violence policière (NDLR : Toumi Djaïdja, initiateur de la marche, avait été victime d’une bavure policière alors qu’il venait en aide à un adolescent aux prises avec un chien policier) et qui décident de réagir en s’inspirant de la non-violence de Gandhi. Leur démarche était d’une naïveté sans nom, ce qui fait aussi sa force. Ces jeunes auraient pu rendre coup pour coup, c’est d’ailleurs là qu’on les attendait, mais ils ont préféré marcher pour l’égalité et contre le racisme, un enjeu qui nous concerne tous mais qui est aussi tellement abstrait. En étant sincère, moi, si j’avais reçu une balle tirée délibérément par un policier, je ne crois pas que j’aurais eu cette force tranquille.

Je connaissais la fin de l’histoire, ce grand rassemblement à la Bastille à Paris réunissant plus de 100 000 personnes. J’avais trois ans et demi à l’époque. J’ai toujours cru que c’était une initiative de SOS Racisme. Mais non… C’était celle d’une association nommée SOS Avenir Minguettes, créée à l’initiative de Toumi Djaïdja. Cette histoire m’a littéralement bouleversé, d’autant plus en sachant qu’elle était issue des banlieues.

Trente ans après, le débat en France est plus virulent que jamais, depuis les injures racistes contre la ministre Christiane Taubira, jusqu’au succès rencontré par le FN de Marine Le Pen…

Ce film est brûlant d’actualité, en effet. Je vais souvent en France, puisque j’ai fait le film là-bas, et on sent que l’ambiance est très tendue. J’ai beau faire des films, j’hallucine quand j’arrive à la gare du Nord à Paris et que je me fais arrêter une fois sur deux parce qu’on croit que j’ai de la drogue, que je me retrouve dans des couloirs fouillé pendant une demi-heure de manière humiliante à l’intérieur de mon corps… Ce qui était surréaliste, récemment, c’est que je me suis fait fouiller alors que derrière le policier, il y avait l’affiche de mon film. Quand il m’a demandé ce que je faisais dans la vie, je lui ai montré mon nom en dessous de celui de Jamel Debbouze. Pour faire de l’argent, je n’ai pas choisi la drogue, j’ai choisi le cinéma…

Vous êtes Belge et vous avez tourné en France. Ce film parle-t-il aussi de la Belgique ?

Chez nous aussi, c’est tendu. Regardez ce qui se passe à Anvers avec Bart De Wever et les siens ! Regardez ce procureur, Yves Liégeois, qui propose de prendre un échantillon ADN de tous les nouveaux nés et de tous les primo-arrivants pour essayer de déceler les criminels ! Je suis sûr qu’il se présentera bientôt aux élections : on ne peut pas avoir une idée pareille sans une stratégie cachée. J’ai envie de lui répondre que même en ayant fait cela depuis longtemps, je ne pense pas qu’il aurait trouvé Marc Dutroux. Cette idée est d’un ridicule sans nom.

Aujourd’hui, on a besoin de visualiser le mal. C’est difficile d’accepter qu’il puisse être partout, alors on cible certaines populations. Avant, les gens disaient qu’on leur volait le boulot, qu’on mangeait leur pain, mais cela ne porte plus. Alors, on dit que les étrangers ne s’intégreront jamais, que les efforts ne servent à rien. Les discriminations actuelles sont nettement moins visibles. Je ne vais quand même pas porter plainte parce qu’un policier me fouille tous les deux jours, on me répliquerait qu’il fait son boulot et je le sais. Mais je me sens insulté au plus profond de moi. La violence politique et institutionnelle fait énormément de dégâts aussi.

Vous voulez dire à la jeunesse qu’il est temps de marcher ?

Oui, de marcher pacifiquement ! J’aurais pu faire un film sur les émeutes qui seraient une autre forme de réponse. Non, moi je parle de jeunes qui avaient la main tendue et qui demandaient à la France de la prendre avant qu’elle ne devienne un poing levé, ce qui est finalement arrivé dans les années 1990 parce qu’on ne les pas écoutés. Aujourd’hui, en France, 81 % des jeunes de moins de trente ans ne connaissent pas cette marche. La faute à qui ? A l’école. C’est un déficit incroyable d’éducation à propos de notre histoire.

Ce n’est pas mieux en Belgique. Que sais-je, moi, de Bruxelles et de ceux qui y ont mené une action positive ? L’enjeu est pourtant énorme. Je rappelle que dans les années 1980, chez nous, Roger Nols, bourgmestre de Schaerbeek, recevait Jean-Marie Le Pen et défilait à dos de chameau en guise de provocation. Et je rappelle aussi qu’il n’était pas du FN, mais du MR actuel…

Votre précédent film, Les Barons, était ancré dans les quartiers populaires de Molenbeek. Avec ce film français, vous parlez aussi de cette réalité-là ?

C’est évident. Ces mecs de la marche, ils auraient pu être de Molenbeek.

Mais il n’y a pas de telles personnalités à Molenbeek…

Si, je pense qu’il y en a. Mais les marcheurs, ce sont les grands frères des barons, ils se sont battus pour avoir des droits. La réponse de leurs petits frères, aujourd’hui, c’est de moins marcher pour vivre plus. Ils font du militantisme en mettant un statut Facebook et en se félicitant de recevoir dix « like » blottis sous leur couverture. Franchement, cela ne sert à rien du tout ! Ce n’est pas Facebook qui a chassé les dictateur du pouvoir lors du Printemps arabes, ce sont ceux qui ont battu le pavé sur les places.

Le religieux, aujourd’hui, est aussi venu se mêler de tout ça.

Il a toujours été là, mais il est devenu une affirmation de soi. A force de dire « ce sont des Belges d’origine maghrébine, de confession musulmane… », les gens finissent par mettre en avant ces caractéristiques-là. A force de les pointer du doigt, il ne faut pas s’étonner de leur réaction. Il y a eu un effet post 11-Septembre, c’est évident, qui a eu des conséquences, mon pote, que tu ne peux même pas imaginer. Tant qu’on ne les vit pas au plus profond de sa chair, on ne peut pas les comprendre. Moi, j’ai été aux Etats-Unis peu après les attentats, je m’appelle Ben Yadir et c’était une catastrophe. « Comme ben Laden ? » me demandait-on. Je répondais : « Oui, mais aussi comme Ben Affleck, comme Ben Stiller, laissez-moi passer ! » Il n’y a que l’humour qui sauve dans ces cas-là.

C’est comme quand De Wever dit : « C’est bientôt le Maghreb, ici… » Nous, on essaye de revendiquer une belgitude et il faut sans cesse qu’il nous rappelle que l’on n’en fait pas partie.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de demain.

La critique de « La Marche » de Nabil Ben Yadir par Focus.

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