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MR: les défis d’un parti qui doute

Président toujours en ballottage, refondation encore en cours, un FDF et son chef de file Olivier Maingain diabolisés en Flandre comme dans le sud du pays: groggys depuis leur revers électoral de juin 2009, Didier Reynders et ses troupes n’ont pas eu le temps de se refaire une santé. Gare au KO par scrutin anticipé.

Le fond de l’air électoral est frais. Il fait frissonner tous les partis en lice. Mais il glace le sang de l’un d’entre eux. Méchant coup de froid sur le MR: la formation de Didier Reynders ira à la bataille, l’estomac noué. La peur au ventre. On dit de ce scrutin fédéral anticipé qu’il sera celui de tous les dangers: la formule n’est pas trop forte pour les libéraux francophones. Ils n’attendent vraiment rien de bon de ce rendez-vous précipité avec l’électeur.

Pas question de s’abandonner ouvertement à de sombres pressentiments. Campagne électorale oblige, aucun signe de fléchissement dans les rangs. Défaitistes s’abstenir, sous peine de faire le jeu de l’ennemi. Mais dans les cantonnements libéraux sur pied de guerre, on n’affiche pas un moral de vainqueur.

Après la marée bleue de 2007, le choc du ressac. L’angoisse passe d’abord par une comparaison. Sauf miracle, elle s’annonce douloureuse, voire dévastatrice. Les mandataires MR redoutent l’instant: la courbe rentrante, qui s’affichera sur les écrans de télé le soir des élections, devrait sauter aux yeux. C’est presque fatal, après l’envolée triomphale du MR aux élections fédérales de juin 2007: la vague bleue, dépassant les 30% en Wallonie, avait été jusqu’à surmonter le PS en Wallonie. Un authentique exploit, qu’aucun élu MR n’ose espérer rééditer ce 13 juin.

Trois ans à peine séparent ces deux scrutins fédéraux: un abîme pour le MR. Et ces sondages de mauvais augure, qui confirment la fâcheuse tendance au reflux du MR. « Il faut avoir la lucidité d’analyser la réalité », anticipe un ténor du parti. La réalité d’un parti encore groggy par son faux pas électoral en juin dernier.

Le problème du président. Maudit scrutin régional! Non content de maintenir le MR dans l’opposition en Wallonie comme à Bruxelles, il y a ouvert une véritable crise de régime. Fait de Didier Reynders un président aux abois. A l’image durement écornée par une contestation interne que son refus de remettre en cause son cumul avec le poste de ministre des Finances n’a fait que décupler. Le cessez-le-feu, décrété sur fond de remise en question de la ligne et du leadership du parti, a ramené un semblant de paix dans le ménage libéral.

Le président du MR croyait avoir un peu de mou pour vider la querelle. Et poser plus sereinement la question de son avenir présidentiel après le scrutin fédéral, programmé en juin 2011. Loupé! Le retour précipité aux urnes prend de court le MR. Contraint de repartir au combat dans un état encore convalescent. Sans avoir pu cicatriser toutes ses blessures. Le feu couve toujours sous la cendre. Les mandataires MR, qui n’abordent le sujet que sous le manteau, soufflent le chaud et le froid.

Version catastrophée: « L’opposition interne, cristallisée autour du groupe Renaissance, reste agissante. Elle souhaite toujours la fin du cumul et le changement de président. Didier Reynders n’a pas saisi l’opportunité du débat interne, il a laissé pourrir la situation. Et maintenant, le parti et lui se retrouvent piégés par ce scrutin anticipé ». Version très pessimiste: « Les tirages subsistent. La garde rapprochée de Didier Reynders continue de faire des siennes ». Version plus sereine: « Les tensions sont apaisées, le parti fonctionne bien. Les ministres fédéraux MR ont fait du bon boulot. On fait bloc derrière le président, provisoirement [sic] remis en selle ». Version modérément optimiste: « On a retrouvé le plaisir de faire de la politique ensemble, y compris avec Didier ».

Décodage: le président du MR reste « un problème ». Majeur ou mineur, selon les points de vue. Cela fait toujours mauvais genre.

Le FDF, faux ami du MR… Les sujets qui fâchent au MR sont tus pour cause de campagne. Ils n’ont pas pour autant disparu des tablettes. En haut de la liste: la composante FDF, sa montée en puissance et sa propension à se pousser du col au sein du Mouvement réformateur. La formation d’Olivier Maingain a bien chauffé l’aile libérale. Sa bonne performance au scrutin bruxellois de juin 2009 avait eu quelque chose de cruel pour les libéraux en petite forme. Le soutien indéfectible de Maingain au président affaibli Reynders, pour mieux le vampiriser selon certains, horripile ceux qui tentent de forcer un débat interne. Enfin cette volonté, réaffirmée à la veille de cette campagne, d’implanter le FDF sur les terres wallonnes au nez et à la barbe des libéraux wallons, achève d’ulcérer.

Et la crise politique n’a fait qu’alourdir le passif de Maingain. Certains libéraux l’accusent d’avoir précipité leur malheur. « Maingain n’a pas laissé assez de mou à Reynders dans les négociations et dans sa mission de pacification sur BHV. Ses déclarations provocatrices ont prodigieusement énervé en interne. On a frôlé l’incident majeur », assure un ponte du parti. Certains en viennent même à regretter que le FDF n’ait pas offert un vrai prétexte pour provoquer un clash salvateur au MR…

Danger: la campagne pourrait occasionner de nouveaux coups de sang. Beau défi: gérer le FDF, sa posture radicale vis-à-vis de la Flandre, le profil intransigeant de son président. « Le FDF est un élément important de notre dispositif électoral. Mais il n’est pas le seul. C’est le nombre de députés qui compte: à la Chambre, le FDF représente deux sièges sur 23 élus MR », temporise un ministre libéral. En clair: ne ramenons pas tout au FDF.

Le FDF, patron des bleus à Bruxelles. Impossible de le contourner en Région bruxelloise. Le FDF y est au coude-à-coude avec l’aile libérale (11 élus FDF sur 24 députés régionaux MR). Au moins le pire a-t-il été évité, semble-t-il: la lutte des places sur les listes électorales, une nuit des longs couteaux pour le leadership. La tête de liste à la Chambre reviendra à Olivier Maingain. Lequel l’entendait d’ailleurs bien ainsi, fort de son score personnel au scrutin de juin 2007: 45.439 voix. Se priver d’une telle machine à voix serait stupide. Et maladroit: en cas d’échec, le patron du FDF devra assumer.

Maingain, tête d’affiche du MR bruxellois… faute de combattants à lui opposer dans le pôle libéral. Le populaire Jacques Simonet, disparu en juin 2007, laisse un vide. « Quel aveu de faiblesse! », soupire un baron wallon du MR. Cette faiblesse chronique du PRL bruxellois pose lourdement question. Elle place le MR sous la dépendance accrue du FDF. Et, dans l’immédiat, ne lui laisse pas d’autre choix que de replacer à la pointe du combat bruxellois la bête noire de la classe politique flamande. On a connu signal plus conciliant à l’adresse de la Flandre. « Le geste aurait pu passer pour provocateur si Olivier Maingain était tête de liste à Bruxelles pour la première fois », tempère un dirigeant MR.

Le FDF indispose en Wallonie. Le FDF, un foyer de tension jusque dans la Wallonie profonde, où il projette des ondes ressenties comme négatives par des libéraux du cru. « Mes électeurs perçoivent Olivier Maingain comme un extrémiste, m’apostrophent à propos de ses positions jugées imbuvables. Que dois-je leur répondre? », se désole une élue wallonne. Un de ses coreligionnaires suggère l’échappatoire: « Slalomer dans le discours, comme un contorsionniste ». Sécurité, emploi, gouvernance: mieux vaut essayer de parler d’autre chose que de ce BHV incompréhensible qui laisse le plus souvent le Wallon de marbre.

La rénovation loupe la séance de clôture. Encore faut-il pouvoir s’appuyer sur une ligne politique claire. Le MR y travaillait d’arrache-pied. Porté par Richard Miller, un manifeste du renouveau redonnait espoir au peuple libéral déboussolé. Qui se mettait à rêver d’un parti recadré, au libéralisme à visage plus humain et plus présentable. La tuile: la crise politique empêche ce Printemps des réformes de s’épanouir pleinement. « Au moins notre programme électoral est-il rafraîchi », se console un ténor. Sauf que le temps va manquer pour rendre audible le message encore brouillé.

Le parti se sent seul. Reynders et les siens sentent déjà le piège se refermer: les libéraux, flamands comme francophones, mis dans le même sac, tenus pour responsables de tous les maux politiques et économiques du moment. Entonné au PS, le credo fleure bon l’olivier francophone (PS-CDH-Ecolo) qui ne demanderait qu’à pousser aussi au niveau fédéral. Démenti unanime, la bouche en coeur: pour un peu, le MR serait taxé d’un énième accès de paranoïa. Le voilà en tout cas sur la défensive. Qui s’épuise à convaincre: non, Maingain n’est pas le boutefeu qui met le pays en péril; non, cette crise économique qui rend le climat social orageux n’est pas une tare libérale. Un parti à ce point obligé de se justifier, c’est un parti accablé.

L’après-Reynders est dans les têtes. A moins de réussir à desserrer cet étau par une performance électorale providentielle, le MR croit savoir ce qui l’attend: une cure d’opposition au fédéral, qui complétera celle endurée à l’étage régional. Quoi qu’il lui arrive, ce sera sous une nouvelle présidence. Les jours de Reynders à la tête du MR étaient de toute façon comptés, à dater des élections. Le rendez-vous anticipé déclenche le compte à rebours avec un an d’avance. Au MR, certains y voient enfin une bonne nouvelle: « Plutôt que ce pourrissement, mieux vaut repartir sans tarder d’un bon pied, relancer le parti et la présidence ». Et abréger tant de souffrances?

Pierre Havaux

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