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MR : les angoisses silencieuses des élus locaux

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Nous sommes en un et demi après Charles Michel. Tout le MR est occupé à gouverner avec la N-VA. Tout ? Non, car certains irréductibles chefs de village résistent encore à Bart De Wever. Car ce gouvernement fédéral ne sert pas toujours les affaires des mandataires communaux et provinciaux. Y compris ceux du parti du Premier ministre.

Un parti, c’est un pays. Avec ses monts et ses vaux, ses villes et ses champs, sa capitale et sa province. Avec ses gueux et ses barons. Avec son souverain. Après la Réforme, la religion du prince devenait celle de ses sujets, en vertu du principe « cujus regio, ejus religio« . Dans les communes de Bruxelles et de Wallonie, le petit peuple réformateur, lui, s’est fait une religion du choix de son prince. Avec une ardeur revancharde, il a dévotement soutenu la décision de Charles Michel d’aller seul, sans le CDH, sans les socialistes surtout, mais avec la N-VA, au gouvernement fédéral. Un conseiller communal seulement – à Sambreville – a alors rendu sa carte de parti. Sur les quelque 2 200 mandataires locaux MR issus du scrutin de 2012, la défection relevait bien moins du schisme que de l’apostasie. Une année plus tard, entre l’éclatante griserie du pari fédéral et la tranquille grisaille des pactes municipaux, les élus locaux réformateurs sont partagés. Comme quand monte l’angoisse de l’adultère après l’orgasme. Ils ont joui de mettre le PS dehors. Maintenant, ils tremblent d’entendre ses pas monter l’escalier. Ils espèrent pouvoir planquer la N-VA au placard. Au moins quelques mois, autour d’octobre 2018. Surtout là où le PS, partenaire dominant, impose son autorité maritale à la publication des bans. « Oui, il y en a beaucoup chez nous qui ont peur de se faire éjecter des majorités communales en 2018. Très clairement », pose discrètement -« même pas en off, en off de chez off » -, un parlementaire bleu.

Dans les villes rouges

Cette peur naît d’un constat : dans les grandes villes du Hainaut et de Liège, dans quelques communes bruxelloises, dans les majorités provinciales wallonnes, le PS est pratiquement incontournable. Pour pouvoir y exercer le pouvoir, il faut se faire accepter par les socialistes. Or, les temps ne sont pas aux mamours entre rouges et bleus. Et la proximité des deux prochains scrutins, entre octobre 2018 pour les communales et les provinciales et le printemps 2019 pour les législatives et régionales, ne va pas favoriser les parades nuptiales avec la droite. Imagine-t-on les hennuyers Demotte (Tournai), Di Rupo (Mons), Gobert (La Louvière), Magnette (Charleroi) et Furlan (Thuin) reconduire leurs alliances respectives avec Marie-Christine Marghem, Georges-Louis Bouchez, Olivier Destrebecq, Olivier Chastel, et Marie-Françoise Nicaise, avec qui ils avaient choisi de composer en 2012 ? Alors que le PTB amusait encore les grands socialistes, et que ceux-ci, quoique moins que leurs homologues libéraux, misaient plutôt sur des gouvernements tripartites régionaux, national et communautaire ?

A l’époque, cette séquence politique, avec ses bouquets de violettes hennuyères et dans les collèges provinciaux de Liège, du Brabant wallon et du Hainaut – terres d’élection de Di Rupo, Magnette, Chastel et Michel… – avait donné à la composition des apparences de systématisme. « Bien sûr, on avait 2014 en tête en 2012 », dit d’ailleurs aigrement Olivier Chastel. Il peut s’aigrir : 2012 n’a rien annoncé de 2014, sauf son contraire. « Alors, aujourd’hui, à trois ans du scrutin, on est vraiment très loin d’y penser. Très très loin », ajoute le président réformateur, dont le profil libéral social moins encore que la bonne entente avec Benoît Lutgen et avec Paul Magnette, déjà proverbiale à Charleroi, doivent aider son parti à renouer avec ses très rancuniers concurrents. « Quoiqu’il en soit, chez nous comme dans les autres formations, les hauts cadres du parti interviennent peu dans la composition des coalitions locales. Ce qui compte, c’est avant tout la dynamique à l’oeuvre dans la commune, comment les gens s’entendent ou pas, ce qu’ils peuvent faire ensemble ou pas. Le président d’arrondissement, ou le président provincial, ou le président national, n’interviennent qu’en tout dernier recours ».

A chacun, dès lors, de se fignoler la stratégie. Elle est plus rude à Tournai ou à Mons, où Marie-Christine Marghem et Georges-Louis Bouchez disent viser, parce que c’est plausible ou parce que ça donne bien, un mayorat dans une majorité socialiste. Elle est plus douce à Charleroi, dont Olivier Chastel dit vouloir progressivement s’effacer, où à Liège, dont les libéraux sont écartés de la majorité communale depuis 1982. « Nous, on est déjà cocus trois fois », explique ainsi un libéral liégeois. « Sans Christine Defraigne et ses proches, Reynders battait Charles Michel. Pourtant, un, elle n’a pas été ministre, deux, c’est une Bruxelloise qui a remplacé Hervé Jamar, et trois, celui à qui le poste de gouverneur de Liège était promis, Philippe Dodrimont, devait quitter le Parlement wallon au profit de son suppléant, le Serésien Fabian Culot, qui travaille bien à se rapprocher des socialistes de Seraing, qui ne sont pas les moins influents dans l’espace liégeois… »

Conséquence : lorsqu’un conseiller communal liégeois veut indisposer les socialistes en suggérant le vote d’une motion condamnant des actions syndicales qui ont entravé la circulation, y compris celle des ambulances, ses camarades et sa patronne l’en empêchent. « Je veux raviver le patriotisme liégeois, pas les divisions, même si pour autant on ne baisse pas notre pantalon », déclare Christine Defraigne.

Dans les campagnes bleues

Le MR est tendanciellement mieux pourvu que le PS dans les entités plus petites. Il compte 101 bourgmestres en Wallonie, plutôt dans les communes rurales ou semi-rurales que dans les pôles urbains. Les stratégies, comme la configuration, y diffèrent. « En 2018, dans des régions comme le Hainaut ou Liège, c’est vrai que nos élus auront plutôt intérêt à aller vers le PS qu’à s’en éloigner. Mais chez nous c’est l’inverse, puisque nous sommes plutôt dominants dans les zones plus rurales », souligne François Bellot, député wallon, bourgmestre de Rochefort, et fort, comme président de fédération du sud namurois, d’avoir « négocié des dizaines et des dizaines d’accords communaux ». Il n’a entendu aucune récrimination au moment de l’accord suédois au fédéral dans sa population, ni chez ses administrés, ni chez ses électeurs, ni chez ses citoyens, ni parmi ses militants et mandataires. Mieux, ou pire, pour ce centriste attitré, « parfois, on nous reproche même de nous distancier de certains propos limites de ténors de la N-VA, sur les réfugiés ou sur l’immigration ».

Mais les économies que porte le gouvernement fédéral dans tous les services publics, les bureaux de poste qui se raréfient, les gares qui ferment, les trains qui sont supprimés, les justices de paix qui fusionnent ne sont-elles pas de nature à crisper l’électeur rural ? « Ça agite surtout les syndicalistes », tempère Benoît Piedboeuf, député fédéral et président de la fédération luxembourgeoise du MR. « Lorsqu’il y a des inquiétudes, il faut faire preuve de pédagogie, et faire jouer ses relais », précise François Bellot, dont la Justice de Paix a été délocalisée à Ciney par la réforme lancée par Koen Geens.

Le temps, qui laisse deux ans et demi avant la prochaine échéance électorale, et le fait que d’autres services publics, tout autant soumis à des impératifs d’économie que ceux du fédéral, comme les TEC en Wallonie ou l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles sont gérés par d’autres gouvernements que celui de Charles Michel, peuvent rassurer les municipalistes réformateurs. « Ce gouvernement fédéral, c’est un pari. Il ne sera réussi que si les résultats sont là. Si c’est le cas, je serai à l’aise, en 2018, pour expliquer que oui, c’était une politique de droite, mais qu’elle a été bien recentrée par l’action du MR et du CD&V. On a toujours sur le dos les responsabilités qu’on porte, et l’électeur est souvent beaucoup plus intelligent qu’on ne le croit : il a du discernement », résume Benoît Piedboeuf, toujours confiant. Et pour cause : il est un des bourgmestres les plus tranquilles de Belgique. En 2012, une seule liste, la sienne, a participé aux élections dans sa commune gaumaise de Tintigny, et il y a peu de risques qu’il en soit autrement en 2018.

Dans et autour de la capitale de Flandre

Les nationalistes flamands nourrissent pour la Région capitale une notoire amertume. Au gouvernement flamand comme au gouvernement fédéral, leurs intérêts peuvent contredire ceux des municipalistes bruxellois. Dans les communes à facilités, à Linkebeek en particulier, c’est une ministre N-VA de tutelle, Liesbeth Homans, qui mène la vie dure à un bourgmestre et parlementaire MR, Damien Thiéry. A l’avenue de la Toison d’Or, Olivier Chastel suit « évidemment » de près le dossier : « La N-VA est consciente que ça nous pose un problème, qu’on ne peut pas ne pas défendre la démocratie et notre leader local », dit-il. Mais, précise Vincent De Wolf, secrétaire politique de la fédération bruxelloise, « on ne peut pas vouloir un fédéralisme bien cloisonné et puis dire que ça concerne le gouvernement fédéral. Au niveau institutionnel, c’est entre la commune et le gouvernement flamand, et c’est difficile de contourner ça… » L’inamovible bourgmestre d’Etterbeek, notamment avec le PS, a vu le ministère régional auquel il aspirait lui filer entre les doigts à l’été 2014. Il est depuis chef de l’opposition libérale au parlement régional.

Dans l’antichambre de son bureau mayoral, des présentoirs offrent des prospectus du collectif Pas Question !, celui-là même qui a miné le résultat du CDH bruxellois aux dernières élections. Or, le successeur de Melchior Wathelet, c’est Jacqueline Galant. Elle promet une solution pour bientôt dans le dossier épineux du survol de Bruxelles. Comme président du conseil des bourgmestres bruxellois, Vincent Dewolf a fait adopter une position commune aux dix-neuf mayeurs. « C’est un paradoxe que ça soit moi qui fasse la synthèse, mais c’est chouette, car les bourgmestres ont pu passer au-dessus des particularismes locaux et de la petite politique fédérale, alors que le parlement bruxellois s’est, lui, un peu transformé en Parlement fédéral à l’envers, avec des députés de la majorité régionale qui passaient leur temps à critiquer la majorité fédérale… » Ce paradoxe autour du plan de survol, Olivier Chastel le caractérise différemment. « C’est très compliqué. C’est même le plus compliqué des dossiers à arbitrer par un de nos ministres », dit-il. Le banquet des vainqueurs, à la fin de l’aventure, vaudra la peine d’être dessiné. On verra qui fera office de sanglier. Et quel barde sera bâillonné. ?

N. D. D.

« Oui, il y en a beaucoup chez nous qui ont peur de se faire éjecter des majorités communales en 2018 »

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