"Le PTB a gommé de son vocabulaire à usage externe le terme "communisme", devenu une injure." © DANNY GYS/REPORTERS

Montée du PTB en Wallonie : « le rouge inquiète, il ne fait plus peur »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le PTB désormais troisième force politique en Wallonie, Raoul Hedebouw hyperpopulaire : les sondages continuent de sourire à la gauche radicale. Son retour en grâce annonce un regain d’anticommunisme. L’historien José Gotovitch (ULB) revient sur les ressorts de la peur bleue du rouge.

Le PTB grimpe dans les sondages en Wallonie. Du coup, on voit la main de l’ultragauche derrière tout accès de contestation sociale. La peur du  » rouge  » signe-t-elle son grand retour ?

Je parlerais plutôt d’inquiétude que de véritable peur.

En Flandre, on s’alarme d’une Wallonie en proie à ses démons marxistes…

La Flandre tenait déjà ce genre de discours à l’encontre du Parti socialiste, taxé de révolutionnaire. La peur du rouge dans les années 1930, c’était tout autre chose. C’était la peur du bolchevique, le couteau entre les dents, prêt à égorger.

Cette peur viscérale est-elle aussi vieille que la gauche ?

Elle surgit dès l’apparition d’une classe ouvrière structurée. La classe capitaliste se met à fantasmer sur ceux qui veulent mettre le feu à sa puissance. La menace est désignée par le  » rouge « , qui devient couleur de la contestation, puis de l’étendard de la révolte ouvrière.

Comment se manifeste cette angoisse ?

Elle s’installe chez les petits commerçants menacés par les coopératives socialistes, chez les paysans catholiques flamands face à la montée du socialisme athée dans les campagnes. La révolution russe de 1917 concrétise les fantasmes les plus crus. La presse antibolchevique de l’entre-deux-guerres dénonce la collectivisation des terres, des banques, des femmes… On voit toujours le danger qui vient du bas : les petits commerçants n’ont pas protesté avec la même force contre l’apparition des grands magasins, pourtant aussi dangereux pour leurs intérêts que les coopératives.

La chasse aux  » rouges  » est ouverte ?

Très vite, des remparts se créent. La bourgeoisie se dote d’une garde civique, le Boerenbond est une réponse organisée des détenteurs de terre et du catholicisme flamand face à l’influence des masses déchristianisées. Le patronat se substitue à l’Etat en créant sa propre police. La Société générale, la Banque de Bruxelles, financent des officines policières chargées de recenser dans les entreprises les ouvriers communistes et de les ficher.

L’Etat parvient-il à rester au-dessus de la mêlée ?

José Gotovitch.
José Gotovitch.© CHRISTOPHE KETELS/BELGAIMAGE

Il s’empare aussi de cette peur du rouge. La preuve avec le prétendu grand complot communiste contre la sûreté de l’Etat, mis au jour en 1923. Cette affaire débouche sur des centaines de perquisitions, l’arrestation de 54 militants, la saisie de monceaux de documents. Une gigantesque instruction conduit au renvoi en assises de quinze dirigeants d’un parti communiste né à peine deux ans plus tôt et qui compte alors moins de 800 membres. Ce procès retentissant se solde par un acquittement général. L’Etat a échoué dans sa tentative de criminaliser l’action politique. Les débuts de la guerre froide en 1945 ravivent la crainte d’une invasion soviétique. Cela débouche sur une loi qui interdit les communistes dans les administrations publiques. On en arrive, au début des années 1950, à des procédures de licenciement et à des poursuites disciplinaires aux chemins de fer, à la Sabena, au Conseil d’Etat.

Au final, cette peur était-elle fondée ?

Elle est parfois plus immatérielle que réelle. Fabriquer un fantasme, c’est une manière de donner un nom à quelque chose qu’on ne saisit pas et dont on ne peut cerner les contours et les ressorts.

La liquidation de l’Union soviétique et du modèle communiste avait rendu inaudible cette crainte fantasmée…

Oui. Mais avec le PTB, les gens retrouvent un porte-voix de ce qui est, à mon sens, une inquiétude plus qu’une véritable peur du rouge. Il est frappant de voir les médias prendre un malin plaisir à répercuter cette voix qu’incarne habilement le porte-parole Raoul Hedebouw. Jamais le Parti communiste n’a pu bénéficier d’une telle ouverture médiatique.

Le PTB serait-il sur le point de désamorcer la peur du rouge ?

Il se situe dans le registre du populisme de gauche, se pose en défenseur des gens et des petites choses. Il gomme de son vocabulaire à usage externe le terme  » communisme « , devenu une injure. Il fait l’impasse, dans sa communication, sur la lutte des classes. Il se cantonne dans un vocabulaire politiquement très correct, il ne menace pas de sortir les kalachnikovs, il avance des alternatives sur un ton volontiers humoristique. Tout en conservant ses piliers marxistes dogmatiques.

Entendu d’un élu MR à la Chambre :  » Les syndicats socialo-communistes pratiquent la seule politique de la terre brûlée.  » Une peur bleue du rouge se réinstalle-t-elle ?

L’affrontement social devient plus âpre. Nombreux sont les déçus ou les écoeurés tentés de se raccrocher à des gens qui ne promettent pas le paradis, mais au moins une bataille. Le MR peut se faire du souci, encore que cela ne menace pas son électorat. Sans doute certaines franges du patronat manifestent-elles aussi quelques craintes. Mais les patrons savent très bien que ce n’est plus à l’intérieur des frontières nationales que le véritable pouvoir pourrait encore changer de mains. Cela relativise fortement un péril rouge.

Socialistes et communistes, tous dans le même sac ?

C’est toute la violence du discours de la droite catholique, que l’on perçoit dès les élections de 1921 : le bolchevique est l’épouvantail, le socialiste n’en est que le paravent.

Le charme de l’amalgame agit toujours…

Effectivement. Souvenons-nous des déclarations de ces quelques grands patrons flamands qui, en 2011, canonnaient sur le gouvernement  » marxiste  » dirigé par le PS Elio Di Rupo. A les entendre, le marxisme était à nos portes. C’était tellement énorme, ahurissant…

Cette  » croisade antirouge  » pourrait reprendre vigueur en vue du scrutin de 2019, si le PTB confirme ses bonnes performances dans les sondages ?

La droite ne se gênera pas pour jouer sur le registre de la peur d’une collusion PS-PTB. La vieille ficelle du péril rouge sera à nouveau actionnée. Mais le slogan est tellement facile que je doute vraiment de son impact. Certainement sur les jeunes : en général, ils ne savent plus ce que signifie au juste le marxisme.

Au lendemain de la victoire catholique au scrutin de 1921, le libéral Paul Hymans commente :  » La crainte de ce qu’on appelle le péril rouge précipite à droite les esprits timorés.  » L’analyse tient-elle toujours ?

A mon sens, oui. Désigner un péril, cela rassure toujours.

Du communisme et des communistes en Belgique. Approches critiques, par José Gotovitch, éd. Aden, 2012.

Entretien : Pierre Havaux.

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