Olivier Mouton

« Monsieur Non » mord et déchire le pays

Olivier Mouton Journaliste

Benoît Lutgen, président du CDH, rejette la note de l’informateur parce qu’elle émane d’un parti « eurosceptique et belgosceptique ». Ce faisant, il risque paradoxalement de faire grandir ce scepticisme. La méfiance entre communautés risque de redevenir immense.

L’attaquant uruguayen Luis Suarez risque jusqu’à deux ans de suspension pour avoir mordu un joueur italien à la Coupe du monde au Brésil, devant les télévision du monde entier. Circonstance aggravante: le joueur de Liverpool est un récidiviste en la matière, il avait déjà été lourdement sanctionné pour deux agressions similaires. Peu de choses expliquent ce geste si ce n’est un comportement déviant, expliquent les psychologues.

Que provoquera la morsure de Benoît Lutgen à l’informateur royal Bart De Wever? Le président du CDH avait fait sienne la devise des Chasseurs ardennais « Résiste et mords »: il a tenu parole en rejetant sans fioritures la première note déposée. L’effet risque d’être une crise politique très longue, marquée par une profonde rupture de confiance entre les Communautés de ce pays une nouvelle fois malmené. Le CDH est un récidiviste en la matière: l’ancienne présidente Joëlle Milquet avait offusqué la Flandre en 2007-2008 en refusant systématiquement les propositions du formateur Yves Leterme. La suite est connue: l’explosion de la N-VA et, ensuite, une crise de 541 jours.

Il est certes légitime en politique de s’opposer à un projet que l’on considère néfaste. Le leader humaniste a en outre des arguments pour justifier cette « décision difficile ». Son président explique combien il avait mis en garde l’informateur au sujet des garanties précises qu’il attendait de lui, notamment sur le fait de ne pas toucher brutalement aux salaires ou sur l’application loyale de la sixième réforme de l’Etat.

La note d’une vingtaine de pages rédigée par Bart De Wever ne contenait rien de scandaleux, mais valait aussi par ses nombreuses zones d’ombre. Lutgen le dit: pas question d’acheter un chat dans un sac à un partenaire en qui on n’a pas confiance. A fortiori lorsque celui-ci affiche ouvertement son souhait, à terme, de voir la Belgique « s’évaporer ».

Pour autant, fallait-il refuser aussi fermement? Rien n’empêchait le CDH de prendre encore un peu de temps pour déterminer si les intentions cachées de l’informateur étaient aussi détestables qu’il le craignait. Benoît Lutgen a fait le choix de la clarté immédiate et, en soi, c’est un choix respectable. Paradoxalement, pourtant, l’effet boomerang risque d’être redoutable, tant il confirme à quel point le gouffre idéologique – et, plus grave peut-être, émotionnel – est devenu grand dans notre pays.

On est en effet légitimement en droit de se demander s’il ne s’agit pas là d’une opération commandée depuis le boulevard de l’Empereur, si ce n’est pas le substrat d’une peur irrationnelle créée délibérément.

Le PS et le CDH négocient ensemble en Wallonie et à Bruxelles, dans un rapport de forces évidemment favorable aux socialistes: cela eut été une opération kamikaze pour le CDH d’entrer dans un gouvernement fédéral après les mises en garde adressées ce week-end par les ténors du PS. En réalité, le vrai courage du CDH aurait peut-être été de poursuivre les discussions en montrant qu’il n’est pas « scotché » au PS et en laissant à la N-VA le bénéfice du doute comme l’invitait à le faire le CD&V. Si elle ne représente pas toute la Flandre, c’est une évidence, la formation nationaliste a néanmoins obtenu l’adhésion d’un Flamand sur trois le 25 mai dernier. On ne balaye pas un tel score d’un revers de la main.

Une certitude, désormais: après le coup de boutoir du CDH, les négociations fédérales prendront du temps, beaucoup de temps. Un nouveau gouvernement risque bien de ne pas voir le jour avant la fin de l’été. Le roi Philippe va aujourd’hui calmer le jeu en désignant un nouvel émissaire, mais les plaies sont désormais béantes. Entre partis, mais aussi entre les communautés de ce pays. Reconstruire la confiance ne sera pas une mince affaire dans un pays où un petit parti de 10%, ayant atteint son plancher historique en Wallonie, décide abruptement de mettre un terme à une négociation à peine entamée.

Le CDH a été clair: il ne travaillera pas avec la N-VA. Benoît Lutgen dit ne pas refuser une logique de centre droit, mais exprime dans le même temps une méfiance très grande à l’encontre du MR de Charles Michel. Autant dire que toute formule de ce type est impossible alors que la Flandre en a fait son choix prioritaire et risque de s’accrocher à cette option après une législature où les partis nordistes ont été majoritaires au sein du gouvernement fédéral.

Le retour d’une tripartie classique au fédéral, qui n’a pas été sanctionnée dans les urnes, n’est-il pas évident? On y arrivera peut-être en guise de pacification finale, pour sauver un pays au bord de la rupture. Mais ce ne serait pas la promesse de choix clairs sur le plan socio-économique, priorités de la plupart des partis durant la campagne. Le plus grave? C’est qu’à l’heure où la Belgique est confrontée à une remise en question profonde de son modèle économique et social, des raisons autant émotionnelles qu’idéologiques risquent de la replonger dans la crise.

Oui, la N-VA en est grande partie responsable de cette situation explosive, elle qui a échaudé les francophones en les agressant régulièrement de façon populiste durant la campagne. Mais le CDH, un parti pourtant soucieux de l’harmonie belge, a poussé, lui, sur le détonateur au pire moment sans avoir peut-être mesuré les conséquences de son geste.

Les partis flamands risquent désormais de se braquer ou de réveiller le démon institutionnel en réclamant le confédéralisme. Et l’on voit mal, à chaud, comment le CD&V, le PS ou le MR pourront aisément jouer les démineurs tant les inimitiés et les incompréhensions sont devenues grandes.

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