Contrairement au grand-père de Delphine Wil, le Père Fransen est resté dans les ordres, tout en demeurant très critique. © DR

« Mon grand-père, ce missionnaire belge au Congo »

Le Vif

Déterrer les vieux secrets de sa famille et en faire un film, c’est le pari de Delphine Wil. Pour comprendre le destin de ceux qui ont été, comme son grand-père, missionnaires belges au Congo.

Dans Mémoire de missionnaires, tourné entre la Belgique et l’est de la République démocratique du Congo, et qui sera diffusé le 27 juillet sur La Trois (1), la Bruxelloise Delphine Wil, 29 ans, évoque le départ de ces jeunes partis dans les années 1930 répandre la parole du Christ en Afrique. Qui étaient-ils ? Comment sont-ils arrivés en Afrique ? L’avaient-ils choisi ? En quoi cette expérience a-t-elle changé leur vie ? Quels souvenirs en ont-ils ? Comment le vivent-ils aujourd’hui ? Autant de questions abordées dans le documentaire. Rencontre avec la réalisatrice.

Pourquoi cette enquête ?

Au départ, c’était plutôt une recherche familiale sur mon grand-père qui avait été missionnaire avant de quitter les ordres et de rencontrer ma grand-mère, Congolaise, avec qui il a eu cinq enfants. J’ai voulu en savoir plus sur la manière dont il avait renoncé à sa mission. En faisant les recherches, je me suis rendu compte que ça ne touchait pas que ma famille. Dès que j’en parlais autour de moi, en Belgique, j’ai vu que c’était très répandu.

Qu’avez-vous appris sur votre grand-père ?

Delphine Wil
Delphine Wil© DR

J’ai rencontré un missionnaire qui l’a côtoyé. Et j’ai tellement harcelé l’archiviste de sa congrégation qu’il m’a dit : « Vous voyez le film Au risque de se perdre ? C’est comme ça que votre grand-père a quitté l’Eglise. » C’est une fiction (NDLR : de Fred Zinnemann, sorti en 1959, avec Audrey Hepburn) dans laquelle une missionnaire belge quitte les ordres. Du jour au lendemain, elle se retrouve toute seule. Cela m’a fait froid dans le dos… J’ai aussi mis la main sur des documents assez exceptionnels au Musée royal de l’Afrique centrale, à Tervueren, où il existe un dossier Félix Marcel, du nom de mon grand-père. Et des lettres qui parlent de lui : « Qu’est-ce qu’on va faire pour le retenir ?  » Il y a carrément une pression mise sur ses supérieurs.

Les prêtres défroqués ont-ils été nombreux après la décolonisation ?

Difficile d’obtenir des chiffres. On n’a pas d’archives sur la question. J’ai demandé la lettre en latin que mon grand-père a dû écrire pour quitter les ordres et le Vatican n’a jamais voulu me l’envoyer. Si, pour mon grand-père, ils ne veulent pas, alors imaginez pour les autres…

Vous interviewez quatre anciens missionnaires, deux qui sont restés dans les ordres, deux qui ont refait leur vie. Pourquoi ce choix ?

C’était important de montrer qu’il n’y avait pas qu’une manière de réagir. Celui qui a quitté les ordres et s’est marié avec une Congolaise est resté très catholique et n’est pas vraiment fier de dire qu’il a quitté les ordres. Il est très ambigu. Dries Fransen, lui, est resté dans les ordres mais il est très progressiste, très critique par rapport à l’institution.

L’autre père, André Folon, ancien missionnaire jésuite, affirme dans le film qu’ils partaient  » pour éclairer  » les Congolais  » afin qu’ils deviennent des personnes d’amour « . Dans sa tête, c’était vraiment une mission positive ?

C’est le plus vieux et il représente l’ancienne vague. C’était une vision qui était très forte à l’époque. En substance : les païens n’ont pas d’âme et pour donner une âme aux gens, il fallait qu’ils se convertissent et soient conscients que Dieu existe.

Le père Fransen n’explique-t-il pas que c’est par obéissance qu’il est parti au Congo ?

Quand vous entrez dans une institution pareille, vous ne choisissez pas où vous irez en mission. Ceux qui sont partis au Congo n’avaient pas beaucoup le choix. Ils devaient se plier à ce qu’on leur disait. Un peu comme à l’armée.

Dries Fransen parle du moment où son neveu s’érige contre son histoire et l’interpelle :  » De quel droit es-tu allé imposer ta religion là-bas ?  »

C’est la question principale de l’évangélisation du Congo. Pourquoi décider d’imposer une religion et surtout supprimer des croyances présentes auparavant ? Il se défend :  » Si vous aviez vu ce qu’on a fait là-bas, vous ne diriez pas ça. On a construit des hôpitaux, des routes, des écoles. On a prêché la bonne parole mais on a fait bien plus que cela. « Comme partout, cet objectif défendait aussi un intérêt économique. L’Eglise n’a pas décidé d’y aller du jour au lendemain, seule, sans aide. C’était en accord avec l’Etat belge et avec le roi Léopold II. C’était aussi politique. On considérait que pour civiliser, il fallait aussi passer par la case « devenir catholique », ça allait ensemble. Cela arrangeait bien l’Eglise de travailler avec l’Etat pour conquérir un nouvel espace.

Des violences ont-elles été commises par des missionnaires ?

Les violences physiques étaient plutôt attribuées aux colons, pas aux missionnaires. Ce qui est compliqué dans certains cas, c’est aussi de différencier la main des colons de celle des missionnaires, puisqu’ils ont fonctionné presque de concert jusqu’à l’indépendance. La vraie violence était plutôt morale comme lorsque, au début de l’évangélisation, les jésuites ont enlevé des enfants orphelins. On les mettait dans des chapelles-écoles où ils étaient formés et devenaient catholiques. Sauf qu’on s’est rendu compte qu’ils n’étaient pas orphelins : en Afrique, un enfant qui a perdu ses parents est en fait intégré dans la famille de son oncle ou de sa tante par exemple.

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Vous avez aussi retrouvé des Congolais qui ont vécu cette période. Dont un ancien agriculteur et un ancien couturier qui travaillaient pour les missionnaires. Ne perçoit-on pas chez eux une certaine nostalgie ?

A Bukavu en tout cas, je n’ai pas trouvé un Congolais qui était en désaccord avec ce qui s’est passé à l’époque. Cela s’explique sûrement parce que c’était à l’est, région où la congrégation des Pères blancs a construit énormément de choses. Depuis, les gens ont connu des guerres qui ont détruit leur région. Ils comparent l’avant et l’après. Ils parlent souvent de l’ordre, des règles, le fait d’être payé à la fin du mois… Il y a donc cette nostalgie, vu le contexte actuel.

Les missionnaires restent-ils très attachés à l’Afrique ?

Cette expérience a changé leur vie. Ils en gardent un très bon souvenir en général parce qu’à l’époque, tout le monde n’avait pas l’occasion de voyager dans des contrées aussi lointaines. Ils partaient en bateau, il n’y avait pas de moyen de communication, ils passaient quatre ans sans parler à leur famille. C’était quand même un truc un peu fou.

Finalement, ils ont réussi : aujourd’hui, on fait venir des prêtres africains en Belgique…

90 % des Congolais sont chrétiens. Les protestants et les évangélistes ont gagné énormément de terrain. Alors que chez nous, il n’y a pratiquement plus de nouveaux prêtres et les congrégations sont en train de mourir.

Le documentaire de Delphine Wil sera diffusé le 27 juillet sur La Trois, à 21 h 05. Il sera ensuite disponible sur Auvio pendant sept jours.

Entretien : Jacques Besnard.

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