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Mieux comprendre les derniers rebondissements de l’affaire des F16

Muriel Lefevre

Plusieurs hauts gradés de l’armée savaient que la durée de vie des avions F-16 pouvait être prolongée, mais ils ont sciemment caché cette information. Au moins quatre généraux seraient impliqués. Chaque jour semble apporter des nouveaux rebondissements dans une affaire ou l’armée et le ministre semblent s’embourber.

Durant l’été 2016, un membre de l’armée a été informé par le constructeur Lockheed Martin que les chasseurs F-16 pouvaient rester en activité plus longtemps que prévu. C’est ce qu’a révélé hier le site internet VRT NWS, la chaîne publique flamande, s’appuyant sur une source qui travaille au sein de la Défense. Lorsqu’il informe son supérieur hiérarchique, le colonel Letten, c’est le commandant de la composante Air belge, Frederik Vansina, qui va directement se renseigner auprès Lockheed Martin. Dans le même temps, on va conseiller, par courriel, à l’informateur de rester prudent: « Tant que personne ne pense que les F-16 peuvent voler plus de 8.000 heures. Fais bien attention ».

Lockheed Martin va par la suite fournir des chiffres plus détaillés, mais cette même source va recevoir la consigne de son supérieur de pas utiliser le slide avec les chiffres sur la prolongation de la durée de vie des F-16 (ils pourraient en effet voler plus longtemps, jusqu’à 9500 heures) lors de leur présentation à un groupe de hauts officiers. « Ce n’est pas le bon moment. Le programme d’achat est arrivé à une phase cruciale. Nous ne voulons pas perturber ce moment sensible. »

La source de la VRT, dit qu’il va tout de même transmettre les données à deux généraux ainsi qu’au colonel chargé du programme de remplacement des F-16, Harry Van Pee, en demandant de façon explicite que celles-ci soient transmises au chef de la Défense et au ministre Steven Vandeput (N-VA). Il semble que cela n’a jamais été fait.

« On s’est tiré une balle dans le pied »

Les conséquences des révélations de la VRT ne se sont quoiqu’il n’arrive pas fait attendre puisque quatre hauts gradés vont faire un pas de côté le temps que durera l’enquête.

Selon De Standaard, il s’agirait de Frederic Vansina, général-major de l’armée de l’air, du colonel Harold Van Pee, qui gère le dossier du remplacement des F-16, mais aussi le colonel Peter Letten, celui qui est en charge de la gestion du matériel des F-16 et le général-major Luc Roelandts, le chef de la division Marchés publics de la Direction générale. Ces deux derniers noms apparaissent aussi dans d’autres dossiers précise De Standaard. Le quotidien a en effet pu obtenir un document contenant les noms des participants belges au Steering Committee du F-16. Il s’agit d’une réunion internationale semestrielle avec des hauts représentants militaires des différents pays qui possèdent des F-16: outre la Belgique, ce sont des pays comme le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas et bien sûr les États-Unis. Letten et Roelandts étaient presque toujours présents. Le fait qu’ils étaient présents à ces réunion n’a rien de surprenant au regard de leur fonction. Cependant, toujours selon les sources du De Standaard, les comités de pilotage ont régulièrement mis la possibilité de prolonger la vie des F-16 sur le tapis. Ils auraient donc du savoir qu’il existait la possibilité de faire voler les F-16 plus longtemps. Un tel programme d’extension de vie est appelé SLEP. Pour se faire, l’appareil est renvoyé à l’usine Lockheed Martin pour un entretien en profondeur qui permet de prolonger sa durée de vie de 4 000 heures de vol. Il semble qu’au sein de l’armée on ait, début 2017, aussi étudié la possibilité de faire ce qu’on appelle « Soft SLEP ». Celui-ci aurait déterminé que certains avions peuvent rester dans l’air jusqu’à six ans de plus.

Pourquoi ?

Selon Van Pee, il n’était pas question d’intention malveillante. Une prolongation de 6 à 7 ans de la durée de vie des F-16 avait déjà été étudiée en 2015 à la demande du gouvernement. L’option était alors estimée à 2,2 milliards d’euros et a été oubliée car elle était considérée comme beaucoup plus risquée que l’achat de nouveaux avions. La nouvelle recherche de Lockheed Martin n’apportait donc rien de neuf si on se tenait à cette logique. Explication: une prolongation de vie de 2 000 heures de vol pour l’ensemble de la flotte belge de F-16 est considérée comme le maximum réalisable. « Cela signifierait sept années de vol en plus, de sorte que les derniers F-16 avec les américains, portugais et roumain prendrait sa retraite dans la période 2030-2035. Le coût estimé sont d’environ 755 millions, soit 14 millions par appareil. Mais pour continuer à se conformer aux normes de l’OTAN, des interventions supplémentaires seraient nécessaires. Et donc plus de coûts. Par exemple pour des « mises à niveau, pièces de rechange et concepts opérationnels ». Parce que de plus en plus de pays délaissent le F-16, les coûts se retrouveraient également sur les épaules des Belges. Pour que tous les avions volent plus longtemps, il faudrait donc 2,04 milliards de dollars. Cela représente 37,8 millions par F-16.

Pas négligeable, on en convient et l’argument cité plus haut tiendrait la route. En effet, le prix de cette prolongation – environ 2 milliards pour sept ans d’extension de l’ancien avion contre 3,6 milliards pour l’achat de nouveaux est un argument. Surtout qu’après 2030, de nouveaux appareils devront être achetés. On notera aussi que l’achat d’avions d’occasion et l’option d’une flotte mixte avec des avions anciens et nouveaux ont également été étudiés.

Si l’argument se tient on est alors en droit de se demander pourquoi il était si important de taire cette étude au monde extérieur, voire au ministre. Cela pourrait aussi être un signe de manque de confiance de l’armée en la fonction publique et en son ministre. Il pourrait penser que donner une telle information dans un stade aussi avancé de la procédure pourrait la fausser. Si cette piste s’avère la bonne, elle pourrait mettre en péril la procédure qui pourrait être remise à zéro. Enfin l’armée pourrait aussi l’avoir fait sciemment pour tronquer la procédure et augmenter ses chances d’obtenir des avions plus performants plus rapidement par exemple le F-35. Et dans ce cas-là cela pourrait même tourner à l’affaire d’État.

L’audit qui vient d’être lancé va devoir déterminer s’il n’y a effectivement qu’une erreur d’estimation sérieuse ou pire, une manipulation ou une dissimulation. Les résultats sont attendus pour après les vacances de Pâques.

L’une des questions centrales sera donc de savoir si le lieutenant-général Claude Van de Voorde était également au courant. Selon certaines sources ce serait bien le cas. En 2014, il est nommé comme chef de cabinet de Vandeput. Il l’est resté jusqu’à l’été dernier lorsqu’il a pris la direction du service de renseignement militaire Adiv. S’il s’avère que l’information sur la durée de vie plus longue des F-16 a également percolé vers le cabinet de Vandeput, celui-ci risque de se retrouver dans une situation très difficile.

Bart De Wever évoque Agusta

Le ministre de la Défense s’en est pris au sp.a, parti de l’opposition, qui a fait état de l’existence de rapports au sujet d’un possible allongement de la durée de vie de l’avion de chasse. « Le sp.a veut me porter un préjudice politique. J’ai déjà dû avaler beaucoup de mensonges au cours des derniers jours. De plus, son président dit ouvertement que nous devons peut-être renoncer à tous les dossiers d’investissements pour la Défense. En fait, nous choisissons de facto de rester le raté de l’OTAN et de faire ce que l’on a fait depuis des années: démanteler la Défense », a affirmé Steven Vandeput, interrogé sur la VRT.

Le président de la N-VA s’est, quant à lui, demandé qui a organisé la fuite du document et à quelle fin. « Il est remarquable qu’un tel document ne parvienne pas au ministre…. L’autre question porte sur l’auteur de la fuite et pourquoi celui-ci a délibérément choisi de ne pas se tourner vers le ministre, mais vers le sp.a », a commenté Bart De Wever, au micro de la VRT. Pour le leader de la formation nationaliste flamande, le timing de la fuite n’est pas non plus dû au hasard. Elle intervient au moment où le gouvernement doit se prononcer sur le successeur du F-16. « Il y a d’énormes intérêts en jeu. Des groupes qui voulaient prendre part au marché sont tombés du bateau. Cela pose question, surtout lorsque l’on voit que la fuite est du côté des socialistes, qui se sont fait connaître par le passé en matière d’achats militaires pour leur manière particulièrement transparente de travailler à l’égard de certaines entreprises », a-t-il dit, faisant une allusion à peine voilée aux dossiers Dassault et Agusta.

Un verdict avant le sommet de l’Otan ?

Les offres finales pour le remplacement des F-16 belges seront analysées par la cellule de l’état-major de l’armée belge chargée du dossier, qui remettra son évaluation au gouvernement, appelé à désigner le vainqueur du nouveau  » marché du siècle « . Il se dit, en coulisses, que la décision tombera – si choix il y a – vers la mi-juin, avant le prochain sommet des 29 pays de l’Otan, qui aura lieu les 11 et 12 juillet dans le nouveau siège de l’Alliance, à Bruxelles-Haren. La Belgique, souvent accusée dans les milieux atlantistes d’assumer a minima ses obligations au sein de l’Otan, pourrait ainsi faire bonne figure devant ses alliés, Etats-Unis en tête.  » Comptons deux mois pour la préparation des dossiers, évalue un officier qui suit de près les négociations. Les offres seront sans doute présentées entre avril et juin au gouvernement, qui serait ainsi en mesure de trancher avant les vacances d’été. Mieux vaut respecter ce calendrier, car la rentrée ouvrira la campagne électorale pour les communales, période peu propice aux grands accords politiques. « 

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