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Michelle Martin et le carnaval des hypocrites

À l’annonce de la probable libération de l’ex-femme de Dutroux, les partis politiques n’ont pas manqué d’emboucher les trompettes de l’indignation. Et de critiquer une loi qu’ils ont pourtant votée.

Qui a dit que la politique n’avait rien d’une science exacte ? Elle compte pourtant certains axiomes et théorèmes irréfutables. L’un d’eux : « Fait divers médiatique + scrutin en vue = dictature de l’émotion ». Bien que prévisible depuis le 9 mai 2011, date d’une première décision favorable, la libération de la « femme la plus haïe de Belgique » par le tribunal d’application des peines de Mons n’a pas manqué de scandaliser une partie de la population. On aurait pu espérer que le monde politique prenne en charge cet émoi naturel et tente d’élever le débat. C’est mal le connaître. La plupart des formations ont préféré surjouer la surprise. Thème imposé : « Michelle Martin dehors, déjà ? Quel scandale ! Il faut changer les lois ! » Voilà pour la tonalité générale. Mais dans le grand concert d’indignations, chaque parti suit son propre tempo, plus ou moins vivace ou moderato. Avec comme résultat que l’ensemble sonne faux. Examinons chaque partition et voyons s’il est possible d’en dégager la juste mesure.

« Le parti de gauche rappelle que le fait d’exprimer des regrets sincères est une condition pour bénéficier de la libération conditionnelle. Or, ce n’est pas ici le cas. » (PTB)

Faux (mais…) : Le mot « regrets », sincère ou pas, ne figure dans aucune loi. Ni dans celle de 1998 sur le « statut juridique externe des détenus », votée deux ans après l’arrestation de Dutroux et Martin ; ni dans celle de 2006, entrée en vigueur deux ans après leur condamnation. Dans les faits, tout condamné à plus de trois ans de prison ferme peut obtenir une libération conditionnelle sous deux conditions : 1° avoir effectué un tiers ou deux tiers de sa peine, selon qu’il soit en état de récidive ou non – avec un maximum de 14 ans pour les récidivistes condamnés à 30 ans et de 16 ans s’ils ont écopé de la perpétuité ; 2° que cette libération ne présente pas de « contre-indications ». Parmi ces « contre-indications », on retrouve le risque de commettre de nouvelles infractions graves, l’absence de perspectives de réinsertion sociale, mais aussi « l’attitude du condamné à l’égard des victimes ». Sur ce dernier point, certains juristes estiment qu’une absence manifeste de remords pourrait constituer un frein à la libération. Mais l’avocat de Michelle Martin n’a-t-il pas dit à plusieurs reprises qu’elle regrettait ses actes et souhaitait « se racheter » ? Quant à savoir s’il s’agit d’une contrition sincère ou pas…

« Le jury n’a certainement pas prévu, en condamnant Michelle Martin à 30 ans, qu’elle serait libérée après 16 ans. » (Renaat Landuyt, député fédéral SP.A.)

Faux (sans doute) :e Un avocat comme Renaat Landuyt pense-t-il sincèrement qu’en juin 2004, aucun des douze jurés de la cour d’assises d’Arlon ne s’est demandé combien de temps Martin pourrait passer en prison ? « Il arrive que des avocats généraux ne le précisent pas à l’audience ; mais je veux croire que lors de la délibération, tous les jurés poseraient aux juges une question si élémentaire », estime Claude Michaux, procureur général de Mons. Or, à l’époque, les conditions de libération conditionnelle étaient grosso modo les mêmes qu’aujourd’hui. À quelques détails près. La « personnalité du condamné » figurait ainsi dans les contre-indications. Le jury d’Arlon croyait-il que cette clause fourre-tout pourrait interdire une libération ? Si c’est le cas, raté : trop flou, le terme a disparu dans la nouvelle loi du 17 mai 2006. Votée sous une majorité rouge-bleu dont faisaient partie les socialistes flamands.

« Il nous semble également impératif de mener un débat sur la notion de « récidiviste » (…). Enfin pour Ecolo, le ministère public comme les victimes devraient être dotés de la possibilité de faire appel des décisions du TAP. » (Ecolo)

« Le PS appelle également à un débat sérieux sur les possibilités d’introduire un recours contre les décisions d’un tribunal d’application des peines. » (PS)

Hors de propos ou dangereux (mais à méditer) : Déjà condamnés en 1989 pour viols et complicité de viols, Dutroux et Martin étaient pourtant considérés comme « primodélinquants » en 2004. La première condamnation avait en effet été prononcée par une cour d’appel. Il s’agissait d’un crime correctionnalisé en délit, procédure courante qui permet d’éviter les lourdeurs et les coûts d’un procès d’assises. Or il n’existe pas de récidive « crime sur délit ». L’accord de gouvernement, qui reste à mettre en oeuvre, devrait enfin régler cette aberration.

Mais pour Michelle Martin, qui a déjà accompli seize ans de prison, cela n’aurait pas changé grand-chose. Même considérée comme récidiviste, elle aurait été libérable sous conditions après quatorze ans, on l’a dit.

Permettre d’aller en appel des décisions du tribunal d’application des peines ? Si la loi de 2006 qui instaure les TAP n’a pas prévu cette possibilité, c’était surtout afin d’alléger la procédure. Un détenu n’ayant rien à perdre, il risque de faire appel chaque fois qu’on lui refuse une libération. Au besoin, « on pourrait créer ce niveau d’appel en allégeant la procédure ailleurs », estime un magistrat de cassation qui souhaite rester discret (la Cour devra examiner le dossier Martin le 28 août). Reste que ce sont surtout les détenus qui en bénéficieraient. « Lorsque le même juge vous refuse sans arrêt une libération, on est en droit de se poser des questions », souligne Thierry Moreau, l’avocat de Michelle Martin.
Par contre, offrir cette possibilité aux victimes laisse le monde juridique dubitatif. Cela reviendrait à leur confier un rôle décisif dans l’exécution des peines. Qui pourrait juger sereinement son bourreau ?

« On ne peut pas en vouloir à la justice, c’est aux responsables politiques de prendre leurs responsabilités et de changer la loi. » (MR)

« Le seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle devrait être relevé. » (FDF)
«  Le cdH rappelle mardi qu’il a proposé, il y a plus d’un an, que la peine de prison soit renforcée pour les personnes condamnées pour un acte odieux ayant entraîné la mort. » (cdH)

Portes ouvertes enfoncées : Là encore, il suffit de mettre en oeuvre l’accord de gouvernement. Que prévoit-il ? Que toute personne condamnée pour certains crimes graves ayant entraîné la mort ne pourra être libérable qu’après avoir purgé la moitié de sa peine, ou les trois quarts en cas de récidive. Imaginons que ces futures mesures étaient déjà entrées en vigueur à l’époque du procès d’Arlon. Jugée cette fois comme récidiviste, condamnée à 30 ans pour un crime grave, Martin n’aurait été libérable qu’au bout de 22 ans, soit en 2018.

À peine six ans de plus derrière les barreaux : voilà tout le résultat de ces futures grandes manoeuvres législatives. Auxquelles s’ajoutent désormais des velléités, pour un cas hors norme, de modifier sous le coup de l’émotion une loi sur l’application des peines qui concerne plus de 10 000 détenus. Quel parti en campagne oserait reconnaître ces évidences ?

Ettore Rizza

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