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Michelin, poussières d’étoiles

La Flandre empoche une moisson d’étoiles au Michelin 2018. C’est le résultat d’une volonté politique qui fait défaut en Wallonie et à Bruxelles.

Lundi 20 novembre à Gand au sein de Horeca Expo, Michael Ellis le grand patron du Guide Michelin maintient le suspense pour l’apothéose de la cérémonie d’attribution des étoiles du millésime 2018. En quelques mots avant de passer aux restaurants triplement étoilés, il rappelle que les étoiles ne sont pas un certificat à vie, qu’on peut en perdre.Chacun le sait dans la salle, envisageant la mauvaise nouvelle.

Michael Ellis annonce la confirmation de Peter Goossens du Hof van Cleve à Kruishoutem, pour la 15ème fois consécutive. En parfait Monsieur Loyal il laisse le temps s’écouler. Dans l’assemblée certains pensent tout haut que cette attente n’est pas de bonne augure pour Gert de Mangeleer du Hertog Jan. Mais il n’en est rien, Ellis confirme aussi l’étoile du jeune chef brugeois.

C’est ainsi que s’achève une cérémonie qui vient également d’élever trois restaurants au rang de deux étoiles – Michael Ellis précise qu’ils ne sont que 400 dans le monde – et d’adouber 14 établissements au rang de premier étoilés. La chose a fait déjà couler pas mal d’encre; cette grand messe de la haute gastronomie a laisséune fois de plus un goût de cendre brûlée dans le coeur des francophones. Bruxelles recueille une maigre étoile pour un établissement vieux de 50 ans, L’Ecailler du Palais royal. Même si la Wallonie obtient le même score, les inspecteurs ont été plus imaginatifs en accordant l’étoile à Jean-Marie Bucumi, le jeune chef de cuisine de Bistrot Racine à Braine-le-Château. Sur le podium, le nouveau promu remercie entre autres un de ses mentors, le Bruxellois Yves Mattagne.

A chaque édition, le même scénario se reproduit. Les informations « de source sûre » vont bon train. Il était ainsi évident que David Martin (La Paix à Anderlecht) méritait sa deuxième étoile tant sa cuisine est en progrès. On annonçait Yves Mattagne pour la troisième étoile, la justifiant même par le pouvoir occulte de Serge Litvine, l’entrepreneur étoilé de Bruxelles (Villa in the Sky, Villa Lorraine, Villa Emily, Seagrill). Pour cette plus haute marche du podium, on donnait aussi favori Pascal Devalkeneer du Chalet de la Forêt tout en jaugeant les incontestables mérites de Sang Hoon Degeimbre de L’Air du Temps à Liernu.

Il n’en fut rien, 11 des nouveaux primo-étoilés sont situés en Flandre, comme les trois nouveaux restaurants deux étoiles. C’est ainsi que le nord du pays confirme son insolente suprématie sur la gastronomie belge. Plus encore, elle construit son avenir. Les très jeunes chefs de cette année, pourront à l’image d’un Michael Vrijmoed à Gand, accéder un jour à la deuxième étoile, le même Vrijmoed ayant été le sous-chef de Peter Goossens…

En analysant les nouveaux primo-étoilés, les paroles liminaires de Ellis trouvent leur sens : « La Belgique fait preuve d’une réelle diversité dans les styles de cuisine et de restaurant. Elle s’inscrit aussi dans une tendance mondiale que Michelin observe. Pour que le projet soit viable, les restaurants sont de taille plus petite. Les chefs d’aujourd’hui se focalisent sur la localité de leurs produits et de leurs fournisseurs. » Clairement la bistronomie a le vent en poupe. C’est ainsi que deux anciens multi-étoilés qui ont fermé leur établissement phare, Gert van Hecke et Luc Belling’s se voient attribuer une première étoile pour leurs « bistrots » respectifs.

Ce dynamisme pourrait s’expliquer par la meilleure santé économique du Nord du pays et sa plus population plus nombreuse. Si ce n’est que la même clientèle adore faire des escapades gourmandes en Wallonie. Dépaysement, produits locaux et bon rapport qualité-prix sont les atouts dont jouissent nombre de restaurateurs du sud du pays. Elle peut aussi être comprise par l’engouement que la chose culinaire remporte en Flandre, qui possède avec Njam ! son canal digital entièrement dédié à la cuisine et au cuisinier. Le même phénomène est présent dans l’édition où des vedettes de programmes culinaires comme Piet Huysentruyt, Jeroen Meus avec Dagelijks cost et Pascale Naessens (Puur Pascale) écoulent leurs recueils par centaines de milliers d’exemplaires.

A côté de ces phénomènes de type spontané, il en est d’autres, structurels . Depuis le ministre Geert Bourgeois, alors en charge du tourisme, la Région flamande, s’est dotée d’une politique volontariste de soutien de la gastronomie à tous les étages. Les chefs les plus médiatiques Gert de Mangeleer et Kobe Desramaults (Chambre séparée à Gand) sont promus à l’étranger, moyens financiers à l’appui, apparaissant entre autres dans les congrès internationaux où il faut être pour se placer sur la carte des gourmets du monde entier et des votants du 50Best.

Bourgeois avait alors saisi la balle au bond car une amorce existait déjà, notamment à Bruges et dans ses environs. D’un côté Geert van Hecke incarnait les grands classiques au Karmeliet. De l’autre Sergio Herman, à Sluis, cuisinier Rock ‘n’ Roll était devenu l’icône de la modernité, donnant envie à la jeune génération d’en découdre avec les traditions. Tous deux, rejoints par Peter Goossens, ont formé au fil des ans de très bons cuisiniers, étoilés à leur tour.

C’est en se basant sur ce terreau vivant qu’a eu lieu à trois reprises entre 2009 et 2011, le congrès The Flemish Primitives, un podium où la crème des grands chefs de la planète s’est donné rendez-vous. Journalistes et bloggers invités ont relayé ce qui se passait dans le plat pays. On parlait déjà de la Flandre succédant à la Scandinavie et à l’Espagne au Panthéon des cuisines les plus influentes.

La politique flamande du tourisme n’en reste pas là. Pour mieux saisir cette construction d’une dynamique, il suffit de placer les mots Jong Keukengeweld dans votre moteur de recherche. Vous y trouverez 56 jeunes chefs de moins de 35 ans qui offrent des menus attractifs pour des jeunes de 18 à 30 ans. Parmi eux, on trouve entre autres Tim Boury de Roulers, nouveau deux étoiles de 34 ans ou Jo Grootaers de Tongres (Altermezzo) nommé jeune cuisinier de l’année Michelin, en sus de sa première étoile.

Que font Bruxelles et la Wallonie dans tout cela ? A vrai dire, pas grand chose. Côté bruxellois, on se focalise sur les 5 chefs des restaurants deux étoiles, espérant que l’un d’entre eux accèdera un jour au firmament des trois étoiles. Au bas de la pyramide, on peut réaliser un sondage et demander à des gens du métier de citer un seul jeune chef (ou cheffe). Les réponses ne fusent pas.

Comme modèle, Bruxelles cite souvent San Sebastian et le Pays basque avec ses trois restaurant trois étoiles et les autres dans le top 20 du 50Best. Mais c’est oublier que San Sebastian nourrit depuis des décennies une culture culinaire populaire, ancrée dans les fameuses sociétés gastronomiques qui se réunissent par milliers de membres chaque 19 janvier, jour de fête du saint patron de la ville.

La même situation prévaut en Wallonie, qui termine cependant son année de la gastronomie voulue par le Ministre René Collin. Que faut-il en retenir ? Quelques repas organisés ici et là avec l’aide des chefs de Génération Wallonie ; le flop lamentable du premier W Food Festival à la citadelle de Namur, laissant une lourde ardoise ? Le constat est affligeant. Alors que la région peut se prévaloir d’une vraie localité, d’artisans des métiers de bouche, rien ne se construit. Pourtant la fédération Wallonie Bruxelles et la Région Wallonne sont compétentes à de nombreux égards, de l’enseignement, à l’agriculture, au tourisme, aux médias qui doivent servir de chambre d’échos.

S’il fallait donner une dernière image symbolique, on prendrait celle du Herve tant mis en exergue par les campagnes publicitaires. Pourtant le dernier producteur de Herve fermier au lait cru, l’essence de ce qu’est un vrai fromage, a été contraint de stopper sa production. Herve est pourtant la seule AOP fromagère belge, celle d’un fromage qui fait partie de notre histoire et de notre patrimoine depuis des siècles. Certains vous diront : comment construire un futur quand on n’est pas capable de protéger son passé. Le chantier est ouvert, il est immense.

Les nouveaux étoilés belges

Deux étoiles

Vrijmoed à Gand, Boury à Roulers et La Source à Neerharen.

La première étoile

L’Ecailler du Palais Royal à Bruxelles ; Bistrot Racine à Braine-le-Château

The Bucher’s son et Dôme à Anvers ; Zet’Joe by Gert Van Hecke à Bruges ;

Chambre séparée et Oak à Gand ; De Vork van Luc Bellings à Hasselt

M-Bistro à Nieuport ; Carcasse à Saint-Idesbald ; Goffin à Sint Kruis ; Brasserie Julie à Sint-Martens Bodegem ; Altermezzo à Tongres

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