Philippe Lamberts © Belga

« Michel et Macron travaillent pour les rentiers »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Après Emmanuel Macron, c’est Charles Michel qui vient, ce jeudi 3 mai, débattre avec les eurodéputés. Parmi eux, Philippe Lamberts, président du groupe vert au Parlement européen, dont le discours face au président français a fait beaucoup de bruit. Et plus de dix millions de vues sur les réseaux sociaux.

Après la corde, le pendu ? L’Anderlechtois Philippe Lamberts a, depuis le 17 avril, acquis une notoriété presque continentale en offrant au président français une corde, allusion aux  » premiers de cordée  » que défend Emmanuel Macron. L’eurodéputé Ecolo ne fera pas de cadeau à Charles Michel, ce jeudi 3 mai. Car le Premier ministre belge, proche du jeune locataire de l’Elysée, et europhile comme lui, contribuent, selon Philippe Lamberts, par leurs politiques libérales, à  » éloigner toujours plus les citoyens de l’Union européenne. L’hostilité dont souffre l’Union ne se manifeste pas uniquement par une poussée du racisme ou du nationalisme, mais aussi par un rejet des politiques qui sont menées, favorables aux banques, aux multinationales, et aux gros pollueurs « , dit-il.

Vous mettez Charles Michel et Emmanuel Macron sur le même plan ?

Clairement. Charles Michel est un Macron boy et leurs formations finiront normalement ensemble au Parlement européen après 2019. Macron prétend qu’il est de droite et de gauche, en fait il est de droite et de droite. Michel, par contre, assume être de droite. Mais Macron assume ses réformes néolibérales. Il est allé aux élections en disant qu’il allait déréguler le marché du travail, faire une réforme fiscale qui profite aux riches, etc. Il ne s’est pas avancé masqué, alors que Charles Michel, lui, a fait campagne en disant qu’il ne toucherait pas à l’âge légal de la pension et qu’il ne gouvernerait pas avec la N-VA. C’est très marrant : chacun assume une partie de son message, mais pas l’intégralité.

Quel bilan tirez-vous de l’action européenne du gouvernement fédéral ?

Honnêtement dit, le seul point sur lequel nous sommes d’accord, c’est l’interdiction du glyphosate dans les cinq ans. Mais à part ça… Je pensais que la Belgique serait dans le camp du Bien contre les néonicotinoïdes, eh bien non ! La Belgique veut une exemption, alors que nous sommes un des pays où la population des abeilles a le plus diminué. Avec un gouvernement dont le vrai Premier ministre est de la N-VA, donc un national-populiste de la pire espèce, eh bien non, je ne vois pas comment on peut être d’accord. Macron, il y a encore des points sur lesquels c’est possible. Et on peut gouverner avec les libéraux. Moi, ma première majorité à Anderlecht, ça a été avec le MR de Jacques Simonet pour jeter le PS dans l’opposition. Mais avec la N-VA, c’est impossible. On a bien compris que la N-VA joue sans arrêt avec les lignes rouges de l’extrême droite…

Philippe Lamberts a offert une corde au président Macron.
Philippe Lamberts a offert une corde au président Macron.© youtube

Le Premier ministre comme son parti ont toujours été proeuropéens…

Je ne leur ferai pas le procès d’être subitement devenus antieuropéens, Le MR est un parti qui aime profondément l’Europe mais qui a décidé de mettre ses ambitions en sourdine pour le bonheur de gouverner. Comme Di Rupo a baissé pavillon sur à peu près tout pour devenir Premier ministre, Charles Michel en a fait de même. Et tout ça a un prix. Si Paris valait bien une messe, le 16, rue de la Loi valait bien toutes ces concessions… C’est très clair que ce n’est pas lui qui est Premier ministre en Belgique.

A l’échelle européenne, les écologistes ne respirent pas la forme. Pourtant, on n’a jamais autant parlé d’environnement et d’inégalités, deux des thématiques traditionnellement les plus chères aux écologistes…

On a une série de handicaps. Un, pendant des années, on a été des Cassandre. Bien sûr, il est important de dénoncer les dangers en vue. Mais à un moment, vous comme moi, on n’a pas envie d’entendre des prophètes de malheur. Deux, sociologiquement, les verts, ce sont des gens bien éduqués, qui gagnent en général bien leur vie et qui n’incarnent pas vraiment la diversité d’une société que nous souhaitons pourtant diverse. Contre cette image de parti peu sensible à l’injustice sociale, on doit rappeler que l’écologie politique se rattache à la tradition du socialisme historique avec ses aspirations de justice, à cette différence que nous ne sommes pas étatistes : on se méfie autant du marché tout-puissant que de l’Etat tout-puissant. Or, aujourd’hui, on est dans une société où l’argent est roi, et donc où le marché devient tout-puissant, mais aussi une société où, par le biais de la lutte antiterroriste, l’Etat devient de plus en plus intrusif, et ça aussi nous le rejetons. Ce qui peut aussi nous rapprocher de la tradition libérale.

C’est le fameux  » Où sont les vrais libéraux ?  » adressé par Jean-Marc Nollet au gouvernement fédéral ?

Bien sûr. Sur ce point, nous sommes plus libéraux que les libéraux. En théorie, l’adversaire numéro un du libéral, c’est la rente. Or, la plupart des partis libéraux en Europe sont les défenseurs de la rente des 1 % les plus riches et des plus grandes entreprises, au détriment des plus petits. Un vrai libéral veut que le nouvel arrivé puisse damer le pion au plus gros établi. Or, aujourd’hui, toute l’économie est verrouillée par les plus gros. Sur la question de la régulation financière, j’ai souvent eu l’impression d’être le dernier libéral dans la salle. Et sur les libertés publiques, c’est là que Macron m’a surpris très négativement. Je m’attendais à ce que sur ce point et sur la question migratoire, il rompe avec la continuité Sarkozy-Valls. Et en fait, non, il l’a approfondie… Dernier facteur difficile pour nous, c’est que face aux défis de ce temps, climatique, migratoire, économique et social, il faut changer fondamentalement le système. Or, les gens n’aiment pas le changement. On préfère le confort de ce qu’on connaît à l’espérance de ce qui pourrait être.

Pourtant, la droite libérale fait campagne sur le thème des réformes, de l’innovation, contre des opposants présentés comme conservateurs…

Ce sont des abus de langage. Ce qu’ils font, c’est pousser la révolution néolibérale jusqu’à son terme. Un des points par lesquels l’hégémonie idéologique de la droite se manifeste, c’est par la perversion du langage. Alors, mesurons : qui s’enrichit aujourd’hui, quand 82 % de la richesse créée l’an dernier a été capturée par 1 % de la population ? L’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ne dit pas  » Enrichissez-vous ! « , mais  » Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits « . C’est une promesse. Avance-t-on dans la réalisation de cette promesse ? Non, on recule. Or, Emmanuel Macron comme Charles Michel veulent accentuer le pouvoir de captation de la rente par les rentiers.

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