Jan Jambon © Belga

Michel en tenaille entre « l’humour » de Jambon et le cynisme de Reynders

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Entre les cahiers Atoma de la N-VA et la volonté du clan Reynders de renouer avec le PS, le Premier ministre voit monter la crainte d’être pris en otage par les agendas cachés. Et s’il n’était en réalité qu’un numéro un de transition ?

Elles sont gratinées, les déclarations du vice-Premier ministre N-VA Jan Jambon devant un parterre d’étudiants nationalistes flamands à Anvers. L’homme devait évidemment donner des gages symboliques face à un auditoire qui rêve de confédéralisme et d’indépendance chaque matin en se rasant. Aussi, l’entendre tenir exprimer des ressentis – il est gêné de recevoir le Roi, tous les drapeaux belges ont été enlevés du cabinet, il ne voulait fondamentalement pas être un vice-Premier belge… – peut paraître choquant et destructif pour l’Etat, mais s’apparenter surtout à une opération de com’ à destination d’un public radical mal à l’aise avec un risque de « belgicisation » de la N-VA.

Là où le vice-Premier dérape plus franchement et met littéralement à mal la loyauté fédérale à son gouvernement, c’est quand il dévoile l’existence d’un accord secret jetant les bases d’une future réforme de l’Etat en prévoyant les articles de la Constitution qui pourraient être soumis à révision. Bien sûr, pour cela, il faut une majorité spéciale et un large consensus. Oui, a priori, on ne parle que d’une échéance « lointaine », à savoir le prochain scrutin de 2019 si la Suédoise tient bon jusque-là. Mais en affirmant que des cahiers Atoma sont cachés dans le coffre-fort des partis de la majorité, il fragilise – volontairement ? – son seul allié francophone, le MR. S’ils sont secrets, de tels accords ne sont-ils précisément pas destinés à ne pas être dévoilés – a fortiori dans les premières semaines d’une législature destinée à la priorité socio-économique ?

Il s’agit soit d’une forme consternante d’amateurisme, soit d’une provocation délibérée.

Jan Jambon répète aussi ouvertement la stratégie de la N-VA : mettre en place des réformes de droite à ce point insoutenables pour les socialistes francophones que ceux-ci viendront eux-mêmes réclamer le confédéralisme. Elio Di Rupo, ancien et nouveau président du PS, a déjà rétorqué qu’il ne tomberait pas dans ce piège. Jour après jour, pourtant, le premier parti francophone tend à prouver le contraire en nourrissant la graine communautaire par des propos qui confortent la N-VA dans sa volonté de prouver qu’il y a, dans notre pays, deux démocraties qui coexistent.

Tout cela fait étrangement écho aux révélations publiées dans Le Vif/ L’Express de ce jeudi. Dans l’entourage de Didier Reynders, on partage certes l’euphorie qui règne dans les rangs libéraux, avec cette possibilité inédite de mettre en place d’ambitieuses réformes socio-économiques, mais tout en étant « en réserve de la république », attentiste à tout le moins, voire désireux… de préparer l’étape suivante. Le souhait de renouer avec les socialistes, pour étonnant qu’il soit et paradoxal quand on sait les élans passés du clan Reynders, miserait sinon sur un échec du gouvernement, à tout le moins sur la préparation de la législature suivante, avec l’ambition également de revenir au pouvoir dans les Régions. Mais avec une conviction qui répond aux propos de Jan Jambon : à terme, le confédéralisme est inéluctable, un stop institutionnel sera impossible pour la N-VA et les partis flamands au-delà de cette législature.

Ce jeudi matin, Charles Michel a poursuivi son cap, inflexible, en présentant lors d’une première conférence de presse la loi-programme qui, scotchée à l’accord de gouvernement, balise les décisions budgétaires et les premières esquisses de réformes. Le pari reste en place : il s’agit de montrer que l’on peut réformer le pays afin de couper l’herbe sous le pied aux tendances autonomistes voire indépendantistes pour sauver la sécurité sociale et le système belge. Le jeune leader, dont l’image « people » sort grandie par l’annonce de sa future paternité, a repris en mains la communication avec un certain aplomb, une froide conviction et un bilinguisme parfait. « Nous sommes au travail, clame-t-il. Nous avons une orientation claire. La création d’emplois est la meilleure protection de notre système social. Nous avons la volonté politique de réussir ! »

Des accords secrets sur la réforme de l’Etat ? Charles Michel : « La réponse est non ! Comme toujours, il y aura en fin de législature un débat sur les articles à réviser de la Constitution. C’est comme cela depuis trente ans. » Jan Jambon confirme ce que le Premier affirme, un rien penaud il faut le dire : « C’était tiré hors de son contexte. On n’a pas compris la touche d’humour. Les cahiers Atoma, c’était une image… » Rideau ? Charles Michel rit. Pourtant, le porte-parole de Jan Jambon avait confirmé au Standaard qu’il n’y avait « pas d’erreurs factuelles » dans le récit de la réunion avec les étudiants nationalistes fait par le site Apache.be. Et en matière d’humour, il faut bien concéder que l’on a déjà entendu des blagues plus subtiles. L’incident est tourné en dérision, mais il laissera des traces, ne fut-ce que dans des imaginaires déjà bien remplis d’une diabolisation de la N-VA du côté francophone.

L’image d’une première conférence de presse du gouvernement – un moment symbolique fort – sans Didier Reynders mais avec Willy Borsus pour représenter le MR, restera aussi. Le vice-Premier en charge des Affaires étrangères a une bonne excuse : il est en mission économique en Malaisie. Mais cela rejoint néanmoins cette « prise de distance » perceptible de sa part.

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Le risque pour Charles Michel, et il en est certainement conscient, serait de n’être qu’un Premier ministre de transition si ces agendas cachés en viennent à prendre trop de place. Avec Bart De Wever à l’hôtel de Ville d’Anvers, Didier Reynders dans les grands sphères du monde et l’opposition francophone, Elio Di Rupo en tête, le couteau entre les dents, le Premier devra être très fort pour garder le cap. Et éviter un retour de flammes d’ici la fin de la législature… Il l’a dit, concernant les réformes à mener : « On le sait, ce n’est pas le choix de la facilité. » Pour le moins…

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