François Brabant

Michel Daerden, celui que tous pensaient increvable

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Rescapé d’innombrables coups du sort, le « roi d’Ans » avait tout vécu, et survécu à tout. Ses camarades voulaient croire que, cette fois encore, l’ex-ministre remporterait son combat contre l’adversité. Le miracle n’a pas eu lieu.

C’était en août 2009, quelques semaines après les élections régionales. Michel Daerden venait d’être « muté » au fédéral, après avoir passé dix années dans le cocon wallon, comme ministre tout-puissant du Budget. Sur décision d’Elio Di Rupo, il se retrouvait soudain privé de son statut de grand argentier de la Wallonie, distributeur en chef des subsides régionaux, souverain au moment de répartir la manne céleste entre les communes, pour devenir un membre parmi d’autres du gouvernement Leterme, en charge d’un dossier peu sexy, les pensions, sans réel levier de pouvoir. De nombreux observateurs voyaient dans ce transfert forcé de Namur vers Bruxelles l’amorce d’un déclin, la fin d’un système, le glas d’un empire. La preuve que le roi d’Ans était désormais en disgrâce dans les hautes sphères du boulevard de l’Empereur. Le signe de sa marginalisation définitive, sous l’effet de la montée en puissance des nouveaux cadors du PS liégeois, Willy Demeyer, Alain Mathot, Stéphane Moreau, Jean-Claude Marcourt.

Mais n’était-il pas prématuré de décréter la mort politique de Michel Daerden, élu local depuis 1977, parlementaire depuis 1988, ministre depuis 1994 ? Députée wallonne et bourgmestre de Flémalle, Isabelle Simonis avait alors livré au Vif/L’Express son sentiment, teinté de stupéfaction et d’incrédulité, quant à la longévité du personnage. « Depuis que je milite au Parti socialiste, nous avait-elle confié, Michel Daerden est la personnalité politique dont j’ai le plus souvent entendu dire : cette fois, c’est fini, il ne va pas se relever. Mais il est toujours là, alors qu’on ne peut pas en dire autant de tous ceux qui ont annoncé son déclin. »

Revenu de tant de coups durs, « Papa » semblait invincible. Increvable. Il avait tout vécu, et survécu à tout : l’assassinat d’André Cools, les affaires Agusta et autres, les luttes fratricides à l’intérieur de l’appareil socialiste liégeois, la complicité puis la rivalité avec Guy Mathot, la modernisation du PS sous l’égide d’Elio Di Rupo, les soupçons concernant ses anciennes activités de réviseur d’entreprises. Outre les tumultes politiques, l’homme avait également dû faire face à plusieurs soucis de santé, de plus en plus sérieux. Chaque fois, il s’en était tiré. Même bouté hors d’Ans à la suite d’une conjuration orchestrée par son fils spirituel, Stéphane Moreau, il avait su rebondir en atterrissant dans une autre commune de la banlieue liégeoise, Saint-Nicolas, où le scrutin d’octobre prochain promettait de se solder par un nouveau plébiscite en sa faveur.

Aussi, lorsqu’ils ont appris fin juillet que Michel Daerden était plongé dans le coma suite à un grave malaise cardiaque, nombreux sont ceux, parmi ses camarades socialistes, à avoir pensé qu’il remporterait une fois encore son bras-de-fer contre l’adversité. « Je dois bien avouer que je m’attendais à le voir revenir sur la scène publique après avoir vaincu l’épreuve physique », commentait hier soir le sénateur liégeois Hassan Bousetta, sur le réseau Twitter. Mais il n’y eut ni miracle ni come-back.

« Je mourrai sur scène, comme Molière », avait prophétisé Michel Daerden. Il a tenu parole. Ce ne sont ni les électeurs, ni la Justice, ni son président de parti, qui l’ont forcé à s’éloigner de la politique, pour laquelle il a vécu jusqu’au bout. Mais ses faiblesses humaines, terriblement humaines.

François Brabant

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