Gérald Papy

Michel 1er et l’énigme de la N-VA

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pourquoi l’alternance politique, qui est la norme des Etats européens, suscite-t-elle tant de crispations en Belgique alors qu’elle est un évident signe de vitalité démocratique ?

Depuis la fin de Martens VII, en 1987, tous les gouvernements ont marié des partis de droite et de gauche. Michel Ier est donc fondé à s’afficher comme un « gouvernement de ruptures » et l’opposition à rappeler ce que furent les années Martens-Gol . Le débat est sain qui confronte les tenants de ces alliances pluri-idéologiques perçues comme le meilleur rempart protecteur du consensus à la belge à leurs contempteurs qui jugent qu’à force de bricoler des subterfuges contentant les uns et les autres, elles ont privé la Belgique d’indispensables réformes de fond. C’est le jeu démocratique.

Sur cette peur du saut dans l’inconnu se greffe une méfiance autrement plus profonde que les débuts chaotiques du nouveau gouvernement ont directement mise en évidence. Quelle partition la N-VA, pilier de Michel Ier, va-t-elle jouer ? Le parti nationaliste flamand apparaît incontestablement comme le grand vainqueur du moment. Il met fin à 25 ans de présence socialiste au fédéral ; ne s’embarrasse pas du poste de Premier ministre, incongru pour sa base nationaliste, alors même que son principal rival, le CD&V, se prive de ses éventuels dividendes ; et il engrange des fonctions ministérielles bien en vue et en phase avec son « core business »… Sur du velours, la N-VA ? Les idéologues de la formation nationaliste sont pourtant face à un dilemme. Doit-elle contribuer pleinement au succès de l’équipe Michel-Jambon au risque de démontrer que la satisfaction des attentes de la majorité des Flamands est compatible avec le maintien d’un Etat fédéral ? Ou, pour prouver l’inverse, la N-VA sabordera-t-elle le moment venu l’attelage gouvernemental – en en rejetant la responsabilité sur la « Wallonie rouge » ou sur ses partenaires libéraux francophones – au risque d’altérer son bilan et son image d’efficace gestionnaire ? Tous les partenaires ont intérêt à engranger des résultats à terme. Mais les polémiques nées, avant même la déclaration gouvernementale, des accointances de Jan Jambon et de Theo Francken avec l’extrême droite nostalgique de la collaboration avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale suggèrent que le message du gouvernement pourrait être régulièrement brouillé.

La N-VA sabordera-t-elle l’attelage gouvernemental au risque d’altérer son image d’efficace gestionnaire ?

Le PS n’est pas dans une situation nécessairement beaucoup plus confortable. Embarqué dans le même bateau européen de la rigueur, un pied dans l’opposition (fédérale), l’autre au pouvoir (régional), est-il en état de se ressourcer comme vingt-cinq ans d’exercice gouvernemental le justifieraient ? Surtout, Elio Di Rupo doit-il déployer la grosse artillerie, par l’action commune ressuscitée (parti, syndicat, mutuelle), pour entraver la bonne marche du gouvernement fédéral au risque de conforter les séparatistes flamands dans leur conviction que la Belgique n’est décidément que la juxtaposition de deux démocraties ?

Charles Michel s’est assuré cinq ans de pacification institutionnelle. Son mandat commence par un clash aux forts relents communautaires. La séance inaugurale de la nouvelle Chambre, le 14 octobre, a montré le climat d’hostilité, voire de haine, qui pourrait désormais dominer la scène politique belge. Le Premier ministre devra faire montre d’une intelligence tactique hors du commun pour maîtriser ses troupes et mener sa mission à bien. Son prédécesseur avait fait du recul de la N-VA un indicateur de la réussite de son gouvernement. Il a échoué. On ne sait si Charles Michel, tel un François Mitterrand fossoyeur du Parti communiste français, s’est secrètement fixé comme objectif de faire mieux. Ce serait en tout cas une belle revanche en regard de son isolement actuel.

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