Christine Laurent

Mélange des genres

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

« Beau » et Darling » se sont aimés d’amour tendre pendant trente-trois ans. Tout, ils ont tout connu, depuis la fin du Congo jusqu’aux balbutiements du fédéralisme, en passant par le Pacte scolaire et la dépénalisation partielle de l’avortement. Sans oublier les petits et grands bonheurs privés, les épreuves, les déceptions et les désillusions. Ils furent heureux, mais n’eurent pas d’enfants. Ainsi en avait décidé le destin.

Le conte de fées avait débuté par un coup de foudre à Lourdes, la ville des miracles. Baudouin, 30 ans, tardait à se marier. Bien que très séduisant, il n’avait que la solitude pour compagne. Sainte Bernadette Soubirous s’est-elle penchée sur le jeune roi triste et sa princesse très catholique lors de leur première rencontre dans la célèbre cité mariale ? Mystère, mystère. Le 15 décembre 1960, ils convolaient en justes noces à Bruxelles. Presque toute la Belgique était en liesse. La fête aurait pu en effet être parfaite, n’étaient ces esprits chagrins, surtout à gauche, qui s’interrogeaient sur l’opportunité, pour le roi d’une nation démocratique, d’épouser une représentante de l’aristocratie espagnole, alors que son pays subissait les années sombres de la dictature franquiste. De fait, l’écho de la guerre civile se faisait encore entendre jusque chez nous pour une importante partie de la population qui s’était fortement mobilisée en faveur du camp républicain. Des années de plomb qui avaient marqué, également, l’enfance de Fabiola. Sa famille, qui avait connu l’exil, n’avait-elle pas dû, elle aussi, choisir entre la « peste républicaine » et « le choléra franquiste » ? Pour opter, finalement, pour le Caudillo, la « voie du moindre mal ».

Pour ce dernier, à demi pestiféré, l’amour glamour de Baudouin et de Fabiola fut une aubaine qu’il saura adroitement exploiter sur la scène européenne. Son ombre planera sur les préparatifs du mariage, tandis que le gouvernement belge multipliera les acrobaties diplomatiques pour éviter tout dérapage et rattraper les maladresses de la future reine. Jusqu’au bout, on frôle l’incident. Le contexte est explosif, l’Espagne refuse catégoriquement l’extradition du rexiste Léon Degrelle, le sulfureux protégé de Franco. Malgré les paillettes et la « fabiolite » aiguë, les tensions politiques sont palpables, le climat tendu. Or, toute à son bonheur, bien loin de ces basses considérations politiques, la promise se prête de bonne grâce aux cérémonies et photos de famille orchestrées par le couple Franco. Elle s’affichera ainsi avec des personnalités du régime, troubles et bien peu recommandables aux yeux des Belges. Pis. A peine mariés, Baudouin et Fabiola déjeuneront en toute inconscience à bord du yacht du Caudillo, l’ Azor. Ils profiteront même sans états d’âme pendant de nombreuses années de la maison de campagne que celui-ci mettait à leur disposition lors de leurs vacances en Andalousie, dans la Sierra de Cazorla. Trop proches du Caudillo ? Ils sont nombreux à l’avoir pensé. Ou dénoncé. Une « avanzadilla », une estafette dans le jeu politique de Franco, Fabiola de Mora y Aragón ? Beaucoup le soupçonneront.

A l’heure où la Reine blanche a enfin droit à sa première biographie intégralement espagnole signée Fermin Urbiola ( Fabiola. Reine depuis toujours, éd. Mols, 2012 ), notre magazine a choisi de revenir sur cette page délicate de notre passé. Sans a priori ni préjugés. Et en privilégiant le témoignage de ceux qui ont vécu cette période mouvementée de l’après-guerre et les dernières révélations des spécialistes qui l’ont analysée avec minutie et dans une totale indépendance. Les relations entre le couple royal et Franco font partie de notre histoire et le regard que nous leur portons, cinquante ans plus tard, ne peut qu’enrichir et éclairer notre mémoire collective.

Entre-temps, la très coquette reine (fan inconditionnelle du couturier Balenciaga), au caractère bien trempé et qui n’avait pas hésité, au moment de ses fiançailles, à confier son nez à un chirurgien pour mieux séduire ses futurs sujets, s’est définitivement imposée. Sa popularité ne vacille pas. A 84 ans, elle a choisi de finir sa vie dans notre pays, une promesse qu’elle avait faite à « Beau ». Une promesse sacrée.

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