Médiacité à Liège: fraudes, esclavagisme et mafia

Le chantier de la Médiacité, à Liège, a été entaché de grosses fraudes sociales et fiscales, pour un montant de 2,5 millions d’euros. L’enquête se déroule dans un climat tendu. Menacé, un expert judiciaire a jeté l’éponge.

La Médiacité à Liège, c’est six hectares et demi dévolus au commerce et aux loisirs dans le quartier du Longdoz, au bord de la Dérivation. Une réalisation du promoteur immobilier Wilhelm&Co, mise en oeuvre par la société BPC-Moury. Surmonté d’une toiture extraordinaire signée Ron Arad, le célèbre designer israélien, le nouveau centre commercial avait déjà défrayé la chronique judiciaire avant son inauguration, en octobre 2009.

Le 22 septembre, en effet, l’auditorat du travail de Liège avait lancé une vaste opération de contrôle sur un chantier très en retard, où 1200 personnes susceptibles d’avoir été embauchées de façon peu régulière travaillaient à la finition des magasins. Cinq cents d’entre elles avaient été contrôlées par une armada de policiers locaux et d’inspecteurs de l’ONSS, de l’Onem, de l’Office des étrangers, des Finances, etc. But: vérifier un soupçon de mise au travail de faux Portugais appartenant à une « filière brésilienne », comme celle qui a été utilisée, ces dernières années, sur divers chantiers de parachèvement à Bruxelles (tours Madou et du Midi) ou à Anvers (palais de justice). Ce soupçon s’est révélé infondé.

En revanche, à la faveur d’autres contrôles ciblés, les enquêteurs ont découvert une arnaque se situant au moment de la construction de la Médiacité. Une centaine d’ouvriers, principalement d’origine turque, quelques-uns d’Europe de l’Est, ont été occupés au « gros oeuvre » durant une période allant de quelques jours à plusieurs mois. Sans être déclarés. Régulièrement installés en Belgique, la plupart de ces travailleurs au noir venaient tous les jours de Bruxelles par camionnette. Cinq travailleurs étrangers ont été pris en charge en tant que victimes d’exploitation économique, leurs conditions de travail relevant de la traite des êtres humains. La fraude, en termes de manque à gagner pour le fisc et la sécurité sociale, a été évaluée à 2,5 millions d’euros.

Une intimidation mafieuse

A l’origine de cette combine familière aux négriers de la construction, on retrouve la société K., de Schaerbeek, qui a eu massivement recours à de fausses factures pour habiller ses comptes. D’où l’inculpation de ses dirigeants pour fraude, blanchiment d’argent et traite des êtres humains. Depuis, trois des cinq mandats d’arrêt délivrés par la juge d’instruction liégeoise, Vivianne Joliet, ont été levés.

Mardi dernier, la chambre des mises en accusation de Liège a décidé de lever la détention préventive visant le gérant de la société K., un Belgo-Turc défendu par Maître Uyttendaele, et le directeur du bureau comptable qui l’aidait à maquiller ses registres du personnel. D’autres sociétés auraient également bénéficié des « services » de ce comptable.

En tout cas, la justice liégeoise a dû taper juste, si l’on en juge par les réactions du milieu concerné. L’expert judiciaire qui avait réussi à débrouiller l’écheveau de la comptabilité truquée a été menacé à deux reprises et s’est retiré de l’enquête. Du mazout et des boîtes d’allumettes ont d’abord été placés devant son domicile. Puis est venu un message concernant ses enfants… La technique habituelle des mafias (italienne, turque, PKK…)? Certaines des victimes présumées du dossier ont également été intimidées.

Dans le milieu de l’enquête, on espère pouvoir clôturer l’instruction avant les vacances judiciaires. Malgré le retrait de l’expert-comptable, placé sous protection, et pour autant que les policiers et les magistrats puissent travailler dans un climat moins tendu.

Marie-Cécile Royen

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