© Christophe Licoppe/ Photo News

Mathilde chez les bébés

Cette fois, la grande princesse rend visite à des tout-petits, en hôte impatiemment attendue de deux crèches (une wallonne, une flamande) axées sur les « parentalités compliquées ». Mais ça va, elle a tout compris…

Dans les déplacements de Mathilde, le plus chouette, c’est tout le tralala qui les accompagne. Comment, du personnel subalterne aux huiles locales, chacun, tout flatté d’un si grand honneur, revêt son dimanche costume ou ses Dim à plumetis. Comment des cohortes de policiers crispés grondent leurs bergers malinois. Comment le tapis rouge que foulera bientôt la déesse est recouvert, jusqu’à l’instant ultime, de mètres de papier kraft dont un préposé surveille fébrilement les déchirures… Mais le plus jouissif, c’est le programme imprimé de l’événement, son vocabulaire ampoulé, son inflation de majuscules, comme si un peu de la pompe infusait magiquement dans le texte.

A Péruwelz, les organisateurs de la Maison de la Parentalité ont bien travaillé. Voici ce qu’annonce le planning de la visite du 8 novembre (morceaux choisis) : « 10 h 00 : Arrivée de la voiture princière à l’entrée du bâtiment » (Quoi ? Mais quoi ? D’habitude, c’est par l’arrière-cuisine, non ?). « 10 h 05 : La Princesse est invitée à emprunter le couloir de la crèche » (S’il vous plaît, Majesté, auriez-vous l’infinie bonté de bien vouloir activer vos ripatons délicats dans ce vestibule ?). « Elle peut si elle le désire pénétrer dans l’une ou l’autre section » (Des fois que son Altesse aurait omis d’en demander l’autorisation). Enfin, le meilleur : « 11 h 20 : Remise d’un cadeau par un enfant confectionné par les bambins de la Crèche » (sur le mode de « j’ai apporté de la confiture pour ma mamy qui est malade dans un petit pot »)… Bon, trêve de moquerie gratuite, d’autant que les accueillants sont très gentils, et que le convoi attendu est annoncé.

« Wouaw ! Qu’elle est belle ! » Bien vu, les badauds : Mathilde, robe à basques bordeaux, s’extirpe souplement de la voiture et salue le bourgmestre Westrade, qui lui fait vraiment de l’ombre – du moins selon des photographes assez familiers avec leur maïeur (« Mais bouge, Daniel, bouge donc ! »). Ses hauts talons écrasent le dit tapis dont la couleur, pour une fois, ne tranche pas sur la déco : dans cette crèche inaugurée la veille, sise dans l’ancienne clinique de la ville, tout est déjà psychédélique. Des ouvriers communaux hallucinés ont posé sur les murs de la peinture moutarde, émeraude, anis, framboise et mandarine. C’est flambant neuf – des flacons de Mustela aux électroménagers, des tables à langer aux cuvettes à taille de gremlins. Et ça sent le poulet mixé. Erreur. Pardon. Un panneau annonce le menu du jour : rôti de boeuf- carottes-chicons (sûr que c’est une bonne idée, des witloofs pour des 0-3 ans ?). Le lieu va s’appeler L’Agach (la pie, en picard), et c’est vrai que ça y jacasse. Les bambins Janelle, Lorine, Kyllian, Méline et Zélie gazouillent, indifférents à l’effervescence, tandis qu’une puéricultrice morte de curiosité soulève un coin du carton posé par discrétion sur la fenêtre de la pièce où Mathilde s’apprête à suivre un exposé sur les initiatives en matière de co-éducation, de lutte contre la pauvreté infantile et d’accompagnement des familles précarisées.

En attendant, les reporters ont été casés dans un local adjacent, où s’entassent déjà plusieurs (futures) mères du cru et quelques-uns de leurs rejetons. Un rétroprojecteur est allumé, qui barre drôlement le ventre d’une consoeur du titre de la vidéo prête à tourner – « Quand bébé s’annonce sans qu’on s’y attende ». Sur la grande table, on a étalé des images plastifiées, genre Anne Geddes, et des tranches de cake circulent, histoire de réfréner les diableries des plus petits.

Martine, 40 ans, a pourtant bien du mal à tenir Loana, 2 ans, et sa petite soeur Noémie. C’est à cette maman épuisée que Mathilde s’adressera longuement, une fois les présentations faites. « Vous en avez sept ? Eh bien, vous en avez du pain sur la planche ! » « Et je suis toute seule », risque la mère, mi-fière mi-timide. « Toute seule… » répond Mathilde, comme en écho, avec retardement. « C’est dur, la nuit, parce que les deux dernières se réveillent encore. Mon aînée dort avec l’une, et moi, avec l’autre… » Bluffée, Mathilde ! Son sourire permanent, ses hochements de tête, le croisement gracieux de ses longs doigts, le cliquetis de ses bagues et bracelets en or, tout s’est subitement figé. N’endure sûrement pas, à Laeken, l’héroïsme quotidien d’une Martine. Mais compatit, et c’est déjà ça. « Vous êtes bien fatiguée… », conclue-t-elle, et ces quatre mots-là suffiront à rebooster Martine, un temps…

Une jolie pagaille…

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la duchesse de Brabant donne de sa personne. Il n’y a pas qu’elle. Dehors, une chorale de quelques « grands » révise ses classiques, avant d’immortaliser la visite princière par l’hommage d’un joli tableau post-minimaliste peint aux doigts. « Tape tape petite main », « Coccinelle demoiselle », « Au clair de lune tous les légumes » résonnent dans le couloir, sous la direction musicale de madame Wendy, passablement déchaînée. L’excitation est à son comble. Mais la farandole ralentit, les artistes commençant à donner d’évidents signes d’épuisement (bâillements, délaçages intempestifs de chaussures, vols qualifiés d’appareils photo, suivis de hurlements). Et Mathilde qui n’a toujours pas quitté son workshop… « Elle est où, la p’incesse ? Mais où, où, où ? » s’énerve Maxime, 2 ans, qu’il faut bien se résoudre à menacer du pire : « Si tu n’es pas sage, on te conduit chez les bébés ! » – « Naaaaan, pas les bébééééés ! »…

Châtiment non exécuté in extremis : Mathilde en a enfin terminé et peut jouir, au sortir de la crèche, d’un impressionnant bain de foule, à faire pâlir d’envie Selah Sue sur la place des Palais. Là encore, impeccable serrage de pattes. « Elle se rapproche ! Elle se rapproche », crient les Péruwelziens. Mathilde ne choisit pas les plus belles ni les plus propres : des mains, des centaines de mains se tendent vers elle, qu’elle prend au vol par-dessus les barrières, en faisant glisser, ça et là, son index sur des joues d’enfants. Et ceux-là sont les plus enthousiastes, et les plus déçus, aussi, quand s’achève son sacerdoce : « Oh, alleeez !, pleurniche l’un d’eux. Elle rentre dans sa bagnole ! » Quand même, comme il y va, le gamin : une Mercedes R500 4Matic…

Après, on ne sait pas où elle a passé son petit midi – déjà pas au Mc Do de Quaregnon, ça c’est sûr. A 14 h 30, Mathilde débarquait pourtant, toujours fraîche, au Bakermat de Louvain, un centre d’expertise autour de la maternité. Une discussion animée par des sages-femmes et deux ateliers l’attendent, dans ce vieux moulin aménagé surplombant la Dyle. C’est là qu’on la retrouve, assise par terre, au milieu d’un groupe de nouveau-nés huileux massés par leurs mamans. Mathilde s’enquiert des prénoms, n’y comprend rien (Toon ? Floor ?), redemande et laisse tomber.

Après quelques guili-guili aux nourrissons, elle monte à l’étage et s’invite dans un cercle de candidates à l’allaitement, munie chacune d’un bébé en plastique. Ses questions débutent toutes par « Et » : « Et quand accouchez-vous ? », « Et comment ça se passe avec votre premier ? », « Et quel âge et pourquoi et comment et depuis combien de temps et gnagnagna… » C’est stéréotypé, charmant, suffisant. Et totalement dépourvu d’humour au second degré. Pourtant, il y aurait eu de quoi : l’assemblée compte un futur père motivé, qui se demande s’il parviendra jamais à pivoter correctement le nez du braillard annoncé contre le téton de sa compagne. Personne, en outre, ne semble noter qu’à côté de Mathilde, c’est une jeune fille noire de noire qui tient, dans les bras, un poupon… parfaitement blanc.

VALÉRIE COLIN

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