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Mark Eyskens :  » La Belgique s’évapore, mais la Flandre aussi ! « 

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Donner à chaque électeur plusieurs voix : Mark Eyskens, CD&V et ex-Premier ministre, appelle à révolutionner la façon de voter pour arracher la Belgique à ses démons extrémistes. Interview.

Le Vif/L’Express : Un homme = une voix : vous voulez en finir avec la règle d’or de la démocratie parlementaire?

Mark Eyskens : Le système actuel garantit l’égalité entre chaque électeur. Mais c’est une forme très rudimentaire, et même primitive, de voter. L’électeur n’a qu’une seule voix pour choisir entre cinq, six, voire treize partis différents comme c’est le cas à Bruxelles. Une seule voix pour faire le tri entre des dizaines de candidats qui lui proposent des tas de solutions, c’est peu. L’électeur est souvent beaucoup plus nuancé qu’on ne le pense. Le système à une voix ne lui permet pas d’exprimer l’intensité de ses préférences, d’affiner son comportement électoral. Je suggère d’accorder à chaque électeur plusieurs voix : dix, quinze, vingt voix, le nombre reste à discuter. Libre à lui de les concentrer sur une seule liste ou un seul candidat. Ou de les répartir entre différents partis ou plusieurs candidats. L’électeur pourra ainsi effectuer un second, voire un troisième meilleur choix. Le « vote à points », par sa pluralité de voix, permet d’exprimer l’intensité des préférences de l’électeur. Il rendra la démocratie plus qualitative.

Faut-il libérer l’électeur de l’obligation de voter ?

Forcer les gens à aller voter revient à les provoquer. Ces électeurs-là se vengent dans l’isoloir, en votant souvent pour les méchants, pour les partis qui veulent casser la baraque.

La N-VA aurait-elle à souffrir d’un vote non obligatoire ?

C’est possible, oui. En tout cas, cela obligerait la N-VA à jouer cartes sur table, à démasquer ses réelles intentions vis-à-vis de la Belgique.

« Voter à points », c’est inciter à voter raisonnable ?

Une expérience de ce genre, menée auprès d’étudiants d’Harvard aux Etats-Unis, montre que la plupart des voix se portent vers le centre politique au détriment des extrêmes, de droite comme de gauche. Cette évolution pourrait enrayer la tendance à la démagogie, au populisme, voire au nationalisme, en favorisant le retour au compromis. La démocratie y gagnerait en stabilité. L’électeur, par ses votes multiples, mélangera lui-même et synthétisera les propositions des différents partis.

Vous réinventez aussi le Parlement…

Oui. Fusionnons la Chambre et le Sénat en une grande assemblée confédérale. Le terme choisi fera plaisir à certains, et puis reflètera une réalité. La Belgique est déjà un Etat confédéral : il n’existe plus de partis politiques nationaux, et les Régions sont en fait des républiques au sein d’un royaume.

Comment la remplissez-vous, cette assemblée confédérale ?

De 220 députés, aux statuts différents. La moitié, voire deux tiers de ces élus seraient issus des scrutins régionaux ou désignés par les parlements régionaux. Le poids de la représentation régionale sera donc très important. La moitié ou le tiers restant serait des parlementaires élus à l’échelle d’une grande circonscription fédérale belge, allant d’Arlon et d’Ostende. Il s’agira donc de sièges « nationaux », occupés par des élus qui auront eu la confiance de Flamands et de francophones, sur la base d’un programme de conciliation et de coopération.

Elus régionaux et « nationaux » : la cohabitation promet quelques conflits d’intérêts….

Cette assemblée mixte obligera les politiques à se parler, les niveaux fédéral et régional à coopérer. Elle fera appel aux jeteurs de ponts plutôt qu’aux creuseurs de tombes. Des élections à l’échelle d’une circonscription fédérale unique forceront les partis traditionnels à former des cartels par-delà la frontière linguistique : CD&V-CDH, par exemple.

La recette que vous préconisez, c’est un antidote à l’ascension de la N-VA?

Le nationalisme est déjà dépassé par les événements. Chaque peuple doit devenir un Etat ? Vue de l’esprit ! Il n’y a plus de peuple ethnique, il n’y a plus qu’une population multiculturelle. L’Etat belge s’évapore, affirme Bart De Wever. Fort bien : mais il verse dans l’illogisme, quand il songe à le remplacer par une république flamande. La Belgique s’évapore, mais la Flandre aussi !

L’interview intégrale dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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