Jean-Claude Marcourt. © Belga

Marcourt et l’organizzazione liégeoise

Au fil des auditions de la commission Publifin est apparu le rôle prépondérant joué par le ministre de l’Economie, Jean-Claude Marcourt (PS), dans le soutien aux projets de Tecteo/Nethys, même quand ils s’écartaient de la norme.

Rien de ce qui s’est passé chez Publifin/Nethys n’aurait été possible sans les relais wallons de l’intercommunale liégeoise et sa première tête de pont à Namur : Jean-Claude Marcourt (PS), ministre de l’Economie depuis 2004. Ce dernier n’a jamais fait mystère de son addiction à l’initiative industrielle publique, inscrite, dit-il, dans l’ADN du PS liégeois. Au cours de sa prestation devant la commission Publifin, le 30 mars dernier, il a assumé avec un minimum de mots, mais très clairement, son soutien au projet Nethys. Depuis des années, sa seule critique portait sur la double casquette de Stéphane Moreau à la fois bourgmestre d’Ans et CEO de Nethys.

Huub Broers, bourgmestre de Fouron (N-VA), n’est pas liégeois mais il l’est quand même. Supporter du Standaard, humainement attachant, grande gueule et théâtral, il a mis les rieurs de son côté le jour de son audition, le 8 juin dernier. On a assisté à un dialogue surréaliste entre Frédéric Gillot (PTB), « de Dalhem », glisse celui-ci, et le tribun fouronnais renvoyant un « Charneux » que personne n’a compris : deux Corses agitant leurs antennes. Cela a dû se passer comme ça au Pam-Pam, le célèbre établissement visétois où, en septembre 2010, Jan Peumans, président du Parlement flamand (N-VA), avait récolté un horion d’un militant Retour à Liège après avoir dégusté une glace avec son épouse. Un an plus tôt, le 20 mai 2009, Huub Broers avait franchi la porte du glacier pour s’y entretenir avec Gil Simon, secrétaire général de Tecteo et jeune espoir socialiste de la cité bassi-mosane. Ce que les deux hommes se sont dit, leurs auditions n’ont pas permis de le savoir avec exactitude. L’un, Broers, soutenant que c’était Simon qui lui avait proposé d’entrer au CA de Tecteo, l’autre jurant l’inverse une semaine plus tard. Par parenthèse, on se demande bien pourquoi un Fouronnais flamand aurait souhaité s’associer à une entreprise liégeoise marquée du sceau du parti de José Happart. Gil Simon a en tout cas mobilisé la « cordialité » de la discussion pour introduire Fouron dans le capital de Tecteo, dont coût pour la commune limbourgeoise : un dérisoire 500 euros. C’est à partir de ce moment-là que la trajectoire de Tecteo, déjà peu orthodoxe, va s’écarter du droit commun. Avec la bénédiction de Jean-Claude Marcourt.

Une ligne du temps éclairante

L’adhésion de Fouron à Tecteo, le 7 juillet 2009, permet à l’intercommunale liégeoise, en devenant pluri-régionale, de ne plus dépendre de la tutelle wallonne. Bien joué ? « C’était un effet collatéral », s’est défendu Gil Simon avec un mélange de hauteur technocratique et d’insolence calculée. L’homme est juriste. Pouvait-il ignorer que l’adhésion de Fouron à Tecteo était irrégulière au regard des statuts de l’intercommunale limitant son pouvoir d’association aux communes wallonnes et qu’elle l’était également du point de vue du droit wallon ? La CSC va soulever ce point pour faire annuler un élément du règlement de travail défavorable au personnel.

L’audition, le 8 juin dernier, de l’ancienne directrice générale de la DGO Pouvoirs locaux, Sylvie Marique, étiquetée PS, actuelle secrétaire générale du Service public de Wallonie (SPW), a permis d’en apprendre davantage sur une réunion qui s’est tenue le 9 novembre 2009 et qui n’a donné lieu à aucun procès-verbal. Elle se tient avec Jean-Claude Marcourt au titre de sa compétence en matière de Télécoms, un de ses collaborateurs, Stéphane Moreau (Tecteo), Jean Bourtembourg (avocat de Tecteo), Denis Sibille, chef de cabinet du ministre des Pouvoirs locaux, Paul Furlan (PS), et le chef de cabinet adjoint de celui-ci. Tous socialistes. Objet de la concertation : le problème légal posé par l’adhésion de Fouron à Tecteo. Jean Bourtembourg plaide que la liberté d’association prime sur le décret. Sa thèse est adoptée. Ce qui implique à terme la fin de la tutelle de la Région wallonne. Formellement, le gouvernement wallon n’a rien décidé du tout. C’est une affaire réglée entre camarades, sous la supervision du premier d’entre eux : le ministre de l’Economie.

Le 17 décembre 2009, une assemblée générale de Tecteo modifie les statuts de l’intercommunale pour se rattacher à la loi de 1986 relative aux intercommunales et non plus au code de la démocratie locale. Son procès-verbal n’est pas envoyé à la tutelle, ce qui dispense la tutelle d’approuver ou de rejeter les nouveaux statuts. Le 30 mars 2010, Tecteo retire le point de son règlement de travail qui déplaisait à la CSC, ce qui empêche celle-ci d’aller plus loin.

Comment réagit Paul Furlan, absent de la réunion du 9 novembre 2009 ? Visiblement, il se soumet. A-t-il le choix ? Le 31 mars 2010, il envoie un courrier à Tecteo qui ne peut pas être considéré techniquement comme un arrêté d’approbation des statuts modifiés de l’intercommunale. Néanmoins, il y indique que le recours introduit par les organisations syndicales contre la mue institutionnelle de Tecteo est annulé puisque le point contesté du règlement de travail n’existe plus, il a été retiré. Quant à son contrôle sur Tecteo, il s’efface puisque l’organisation est devenue pluri-régionale. C’est par ce courrier que son administration, la DGO Pouvoirs locaux, est informée de la tournure des événements.

A l’époque, ce tour de passe-passe scandalise ou interpelle. Interrogé au parlement le 15 juin 2010, le ministre wallon Jean-Claude Marcourt donne sa version : la loi de 1986 doit s’appliquer vu le caractère pluri-régional de Tecteo. Et comme il n’y a pas d’accord de coopération entre les Régions, la tutelle fédérale reste en vigueur. Il reporte la responsabilité de cette situation sur Annemie Turtelboom, ministre de l’Intérieur (Open VLD), qui ne ferait rien faire pour contrôler Tecteo. Lors de son audition devant la commission Publifin, le ministre a redit sa conviction, encore et toujours, que la tutelle sur Tecteo devait être exercée au fédéral.

Pour ceux qui connaissent un peu le dossier et le droit (Marcourt est juriste), la tutelle wallonne s’est bel et bien effondrée le jour où Tecteo a intégré Fouron. Le rendez-vous du Pam-Pam n’était pas innocent. L’administration wallonne s’est résignée à la chose, avec un mélange de fatalisme et de laxime. Mais que faire quand le politique a dit le « droit » ?

L’alliance Marcourt-Moreau

De 2012 à 2015, le ministre de l’Economie va continuer à défendre les intérêts de l’intercommunale liégeoise et de son dirigeant. Le 20 juin 2012, après quatorze tours d’intercabinets sur le projet de « décret électricité », le cabinet Marcourt propose de modifier l’article 6 afin de permettre à un gestionnaire de réseau de distribution de devenir une personne morale de droit privé, ce qui était l’objectif de Tecteo et, au passage, d’Ores. Lors de son audition du 10 mars dernier, Stéphane Moreau a déclaré qu’il avait expliqué aux ministres Jean-Claude Marcourt et Paul Furlan quels étaient ses projets, en 2013, pour réorganiser Tecteo. Marcourt lui a donné son feu vert. Auditionné le 24 mars dernier, Paul Furlan dit ne pas se souvenir d’une telle réunion.

Les échanges de bons procédés se sont poursuivis. En novembre 2015, Marcourt invitait Stéphane Moreau à l’accompagner au Congo dans le cadre d’une mission de l’Agence wallonne à l’exportation. Il en découlera des investissements à titre privé de Moreau et d’Elicio, filiale de Nethys, dans le secteur de l’énergie du Nord-Kivu. Le Vif/L’Express avait révélé, en pleine affaire Publifin, la mission confiée par Nethys à la fille du ministre de l’Economie, spécialisée en droit de la famille, dans un dossier très technique relatif au règlement européen sur la vie privée. Bénédicte Bayer, directrice générale de Publifin et chef de cabinet de Stéphane Moreau chez Nethys, avait justifié les 50 000 euros de ce contrat (qui n’a finalement pas été signé) par le soutien indéfectible de Marcourt à « Stéphane ». La ligne du temps qui précède ne peut pas la contredire, dû le respect des prescrits légaux en souffrir.

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