Thierry Fiorilli

Manuel de liberté

Thierry Fiorilli Journaliste

C’est un manifeste d’Albert Camus, censuré en 1939, exhumé en mars dernier et d’une actualité sidérante. Pour tous.

« Et ce qu’il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels […] la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l’ironie et l’obstination. La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain […]. En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d’opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu’un esprit un peu propre accepte d’être malhonnête. […] Nous en venons ainsi à l’ironie. Elle complète le refus en ce sens qu’elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. […] Mais il faut convenir qu’il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l’inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L’obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l’objectif et de la tolérance. […] Voilà un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu’au sein de la servitude. »

Ceci est un manifeste d’Albert Camus. Il date de 1939. Censuré – il devait être publié dans Le Soir républicain – et exhumé par Le Monde le 17 mars dernier. C’était une réflexion sur la liberté d’informer, alors que la Seconde Guerre mondiale avait éclaté. Mais, à s’y plonger, méticuleusement, on ne peut qu’admettre :

1. que ce texte est d’une modernité sidérante, la société d’il y a septante ans ne semblant pas tellement moins médiocre que l’actuelle ;
2. qu’il porte, en réalité, comme le relève Le Monde, « sur le choix de chacun, plus que celui de la collectivité, de se construire en homme libre ».

L’écrivain-journaliste se serait régalé, aujourd’hui, en découvrant sur le Web – le plus grand espace au monde (et de tous les temps) de liberté d’expression – qu’ils sont beaucoup, beaucoup, anonymes ou non, tous les jours, encore et encore, avec esprit, à donner de gros coups de pied dans la fourmilière du désordre établi, des souffleurs de vent et des réducteurs d’idéaux. Qu’ils sont du coup beaucoup, beaucoup à se comporter en homme indépendant, comme précise Camus. Celui dont « la vertu est de se maintenir en face de tout ce qui le nie ». Rien n’est donc perdu.
* Condiment très piquant. Rare, donc cher. Relève le goût et tue les parasites. Peut faire s’étrangler et transpirer des yeux.

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