Olivier Mouton

Manifestation nationale : une mobilisation record, un agenda clarifié, des dérapages coupables

Olivier Mouton Journaliste

Les syndicats adressent un signal fort au gouvernement. Leur principale requête : un retrait du saut d’index. Mais les violences, reflet d’une colère forte, entachent le succès de la mobilisation. La N-VA en profitera… Tandis que le Premier ministre entrouvre la porte au dialogue.

Plus de 100.000 personnes dans les rues de Bruxelles. On n’avait plus vu une telle déferlante dans la capitale depuis 2001 et une mobilisation sociale menée alors à l’échelle européenne. C’est dire combien le qualificatif d’ « historique » risque d’être utilisé avec insistance ces prochains jours. Dans le bras de fer engagé avec la Suédoise, le front commun syndical a frappé aussi fort que l’on pouvait s’y attendre, jeudi, pour protester contre « l’injustice sociale » du programme de gouvernement.

Cette première étape dans la contestation sociale, qui se prolongera par des grèves tournantes avant une grève nationale le 15 décembre, aura eu le mérite de clarifier le débat, par tranches successives.

Ravis de ce coup de semonce, les dirigeants de la FGTB ont laissé entendre que la principale victoire symbolique à laquelle ils aspirent désormais, c’est le retrait du saut d’index. Des quatre revendications mises sur la table, la défense du pouvoir d’achat des travailleurs semble désormais primer sur les autres. Voilà les syndicats qui jouent davantage cartes sur table, jugeant sans doute que l’allongement de l’âge de la retraite, par exemple, pourra faire l’objet de combats ultérieurs. Sans doute n’est-ce pas un hasard, d’ailleurs, si le PS posait au même moment la question à Charles Michel au Parlement : « allez-vous retirer le saut d’index ? ».

Il est fort peu probable que les syndicats obtiennent aussi vite, et en dépit de ce succès de mobilisation, un tel retrait alors que la relance de la compétitivité est une des pierres angulaires du gouvernement Michel Ier. Le Premier ministre a invité les syndicats à une rencontre ce jeudi à 17h, pour rappeler, comme il l’a fait au parlement, que sa majorité a « les bras ouverts et la main tendue à la concertation sociale ». Dans son esprit, ce dialogue doit toutefois se limiter aux modes opératoires des grandes lignes décidées. Pas question de remise en question profonde comme le souhaitent les syndicats…

La manifestation nationale constitue un signal fort, mais elle risque d’accentuer la bipolarisation d’un débat qui n’en avait pas besoin

La manifestation de jeudi a permis aussi de mesurer l’état de colère d’une partie de la population. Les dockers d’Anvers et les métallurgistes ont de tout temps eu une propension à muscler le ton. Les jeunes poussés par l’extrême gauche ont fait de la révolution un nouvel idéal. Toujours est-il que les images des violences commises aux alentours de la gare du Midi risquent de ternir le succès syndical. Voitures retournées, moto de police incendiée, jets d’ustensiles en tous genres, blessés dans les rangs des forces de l’ordre, occupation du siège de la FEB transformé en « tribunal populaire »… : les images télévisées risquent de braquer davantage encore une frange de la population déjà excédée par le radicalisme actuel. Côté syndical, on dénonce déjà « les provocations des forces de l’ordre ».

Ces dérapages ne faciliteront en rien la tenue du dialogue entrouvert. Ils risquent au contraire d’exacerber un climat déjà délétère et inviter certains à mettre en cause le statut des syndicats. La députée N-VA Zuhal Demir, étoile montant du parti et poisson-pilote parmi d’autres, lançait sur Twitter, alors même que les incidents avaient lieu : « Manifester et faire la grève sont des droits fondamentaux. Détruire et commettre des actes de violence sont des crimes. » Une autre façon d’en appeler à un débat sur la responsabilité juridique des syndicats.

Si la manifestation de jeudi est historique et constitue un signal fort à l’adresse du gouvernement Michel, elle risque aussi d’accentuer la bipolarisation d’un débat qui n’en avait pas besoin. « Le gouvernement entend et respecte les doutes, la colère qui s’expriment », déclarait Charles Michel au parlement. En ajoutant, toutefois : « Ces réformes sont nécessaires pour garantir l’avenir de notre modèle social. » Marc Goblet (FGTB) a pour sa part menacé une nouvelle fois : « Si nous ne sommes pas entendus, nous relancerons un nouveau plan d’action dès le 5 janvier. »

Il est fort probable que ces prochaines semaines, chacun campera sur ses positions sur fond d’escalades verbales, en espérant que les échauffourées urbaines ne seront pas trop nombreuses. C’est écrit : jusqu’au 15 décembre, le pays vivre sous tensions et le parti du Premier ministre fera le gros dos pour laisser passer l’orage.

Alors, seulement, l’épreuve de force deviendra une épreuve des nerfs où chacun évaluera les concessions possibles…

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