Mischaël Modrikamen s'est placé au coeur d'un réseau politique international, raflant au passage d'intéressantes subventions du Parlement européen. © Belga Image

Mal à droite

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Ils trouvent le MR mollasson, partent en croisade contre les « padamalgam » et les « Bisounours » de la « gauche bien-pensante », se rêvent en Trump ou en De Wever, et se détestent jusqu’à l’intime. En Belgique francophone, la droite de la droite est en guerre contre tout le monde. Y compris contre elle-même.

A ma droite, Mischaël Modrikamen, 50 ans, avocat d’affaires et fondateur du Parti populaire. A ma droite aussi, Aldo-Michel Mungo, 61 ans, homme d’affaires et coordinateur du Parti populaire pour Bruxelles dès sa création. Sur le ring, les droites pleuvent. Ces puncheurs de la dextre sans complexe se croisent et se décroisent depuis 2009, tandis que leurs querelles, infinies, absorbent l’énergie d’un segment politique en plein essor partout ailleurs en Europe, de la Flandre à la Provence, de la Saxe au Yorkshire.

Le 1er décembre, le second, que le premier qualifie « d’escroc », président de La Droite, 350 membres annoncés et deux ou trois points par sondage, s’enorgueillissait d’une recrue de choix, piquée au premier, président du Parti populaire, 3 000 membres affichés, 4 % au dernier baromètre RTBF-La Libre, que le second qualifie « d’avocat du système passé à la politique antisystème ». André-Pierre Puget, élu député au parlement de Wallonie sous la bannière populaire, rejoignait en effet les quelque 350 membres de la formation d’Aldo-Michel Mungo, pour former Droite citoyenne. L’énième épisode d’une guerre sans fin, où les haines intimes le disputent à l’hostilité politique, et où l’affairisme privé égratigne les professions publiques.

Aldo-Michel Mungo, ancien éditeur de journaux et conseiller de libéraux bruxellois, avait, déjà, été exclu du PP au printemps 2010. C’est ce que l’on dit à Watermael-Boitsfort, dans la cossue villa des Modrikamen, ancien avocat des petits actionnaires de Fortis, en tout cas : car Aldo-Michel Mungo, lui, affirme avoir quitté ce « bateau ivre » de sa propre initiative. Les négociations visant à réunir les deux partis et les deux hommes ont échoué en février dernier. Elles ont capoté à cause de l’autre, dit l’un. Elles ont raté à cause de l’un, dit l’autre. André-Pierre Puget, qui ne pouvait plus voir Modrikamen et duquel il avait fait défection en décembre 2015 parce qu’il lui semblait devenir obsédé par la question de l’immigration, n’aurait pas pu rejoindre ce rassemblement. Il vient, donc, de s’allier avec celui qui n’a pas pu rejoindre non plus ce rassemblement, Aldo-Michel Mungo. Et qui, du coup, frétille. « Je crois qu’il faut une offre à la droite du MR, qui ne remet pas en cause la social-démocratie, ni le bien-fondé des dépenses publiques, mais pas quelqu’un qui, comme Mischaël Modrikamen, veut dresser les humains les uns contre les autres. Ça peut peut-être satisfaire des gens déboussolés, mais pas nous. Nous serons fermes sur les questions de sécurité et d’immigration, mais porteurs aussi de valeurs démocratiques fortes et d’une charte éthique très claire », pose-t-il. En recrutant un parlementaire, il acquiert des ressources, politiques, administratives et financières, qui pourraient donner à Droite citoyenne une manière d’assise. Pourraient. Car le parti, jusqu’à présent, ne fonctionnait que sur sa marque, plaisante à l’oreille de certains sondés. « Nous sommes organisés pour le moment sur le modèle léniniste, qui repose sur des petites cellules très motivées. Le nom Droite citoyenne, lui, est paramétré pour s’afficher tel quel sur les bulletins de vote », explique Aldo-Michel Mungo, en bluffeur volontiers carnassier.

Au Parti populaire, faut-il le dire, on montre les dents du fauve face aux petits léninistes de la horde d’à côté. « Mungo et Puget sont des charognards. Les lions font le travail, et puis eux, rôdent, à la recherche d’une carcasse encore fraîche. Ils ne représentent rien, c’est tout au plus un groupuscule », grogne Mischaël Modrikamen. Le désormais populiste revendiqué sait qu’en 2014, une stratégie électorale hasardeuse (qui, notamment, envoya Luc Trullemans chercher 80 000 voix pour rien à la tête de sa liste européenne…) mais aussi quelques petits milliers de suffrages égarés dans ces groupuscules lui ont coûté plusieurs sièges dans les assemblées. Depuis sa création, une centaine de personnes sont allées et venues du bureau politique du Parti populaire, et de sa version dite élargie. C’est beaucoup. Deux des trois parlementaires qu’il a fournis à la Belgique depuis 2010, Laurent Louis et André-Pierre Puget, en sont sortis avec fracas. Son cofondateur, Rudy Aernoudt, aussi. Assumant une ligne de plus en plus raccord avec l’extrême droite, exaltation nationale exceptée, Mischaël Modrikamen a vu beaucoup d’amis, issus de la droite classique, le quitter. Et s’en faire un ennemi. « Notre idée, ce n’est plus de seulement être l’alternative à la droite du MR », glisse-t-il. « On ne doit pas être seulement ça. On doit être l’alternative à tous les partis traditionnels. Le Parti populaire est un game changer ! »

Et aujourd’hui qu’il brandit en congrès ce balai qui évoque en Belgique les belles heures du rexisme, ce que n’ignore pas Mischaël Modrikamen, bien qu’il s’en défendît doucereusement, l’homme travaille à se rendre infréquentable. Et à en faire un argument. Avec une certaine réussite auprès du petit peuple des réseaux sociaux – certaines de ses vidéos dépassent les trois cent mille vues et, somme toute, des autres partis politiques. Le MR, par la bouche de Denis Ducarme, vient de réclamer qu’on lui appliquât le cordon sanitaire, semblant le coincer toujours plus dans une impasse politique. « Je suis isolé ? Trump aussi l’était… », sourit-il. Isolement partagé, donc. Humilité aussi. Succès, ça, on verra.

Au MR : « Le PP, c’est l’extrême droite, point »

On a beaucoup parlé de la demande, faite par Denis Ducarme, dans La Libre, de tresser un cordon sanitaire autour du PTB dès lors qu’il croit percevoir un rapprochement entre ce dernier et le Parti socialiste. On s’est peu arrêté, en revanche, sur le fait que le même réclamait le même dispositif dans la même phrase pour un autre parti. « De son côté, le MR s’engage à ne jamais faire de coalition avec Modrikamen », précisait-il à nos confrères. « Le PP, c’est l’extrême droite, point. Sinon, qu’est donc un parti d’extrême droite ? Ces formations ne proposent que le rejet et le chaos », nous répète-t-il. « Au MR, nous portons un discours sans tabou, notamment sur des sujets difficiles comme l’intégration ou le radicalisme, avec conviction mais aussi avec nuance », ajoute-t-il. Mischaël Modrikamen, lui, ricane. Au fond, cet ostracisme le sert. Il polit son populisme. Il l’érige en antisystème. « Il dira quoi, Ducarme, le jour où nous serons la seule alternative pour que la Wallonie ne soit pas gouvernée par les admirateurs de Fidel Castro ? » fait-il mine de s’interroger.

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