Carte blanche

Mais où sont les « gardiens de la paix » ?

Durant les fêtes, si vous ne pouvez héberger un migrant pour le protéger, vous pouvez tenter de sourire à un policier et le remercier pour son travail. Peut-être sauverez-vous une vie… voire deux ou trois.

Bruxelles, mercredi soir. Après avoir déposé nos trois invités érythréens au parc Maximilien afin qu’ils puissent « tenter leur chance », nous nous dirigeons vers les Plaisirs d’Hiver sous une fine pluie glacée. En quittant la place Sainte-Catherine, je décide de traverser la route alors que le feu pour piétons est au rouge. Décision un peu stupide, j’en conviens…d’autant plus que quatre polices m’observent de l’autre côté de la rue. Arrivée sur le trottoir d’en face, ils m’interpellent sur ma conduite, mais je décide de répondre par un haussement d’épaule…confiante d’être en démocratie et qu’il ne peut rien arriver de bien grave pour une infraction si banale. Et là, tout s’emballe. L’un des policiers m’attrape violemment par le bras, hurlant que je vais « voir ce qui va m’arriver » et autres menaces qui ont pour seul effet de me faire également hausser le ton. Tout à coup, son collègue néerlandophone prend le relais, cris à moitié en français, à moitié en néerlandais, pour affirmer aux passants que je dois « fermer ma g**** » car, de toute façon, « ils ont tous les droits »…

Cette phrase restera gravée en moi… Tous les droits ? Vraiment ? Est-ce là ce qu’il reste de notre police ? Quatre freluquets semi-effrayés semi-frustrés qui se libèrent des tensions de leur quotidien sur une dame trentenaire au marché de Noël ? Qui affirment qu’un manque de coopération de ma part leur autorise à « user de tous les moyens nécessaires » ? Et là, pendant que le plus véhément rédige son PV (dont je ne verrai d’ailleurs jamais la moindre trace), je repense à nos trois invités érythréens de ce week-end… Est-ce là un exemple de la violence policière à laquelle ils sont confrontés tous les jours ? Moi, je suis belge de type « caucasien », mes documents d’identité sont en règle et mon mètre 60 sur talons hauts ne me donne ni l’allure ni le « profil » d’un malfrat… Mais qu’en est-il de nos amis du parc Maximilien ? Leur hurle-t-on en français et en néerlandais (deux langues que peu d’entre eux maîtrisent) que l’on a « tous les droits » sur eux ? Qu’ils n’ont qu’à « fermer leur g**** » et donner toutes leurs affaires (chaussures et GSM compris) à monsieur l’agent de police ? Est-ce là l’image que renvoient aujourd’hui nos agents censés garantir l’ordre public ?

Mais où sont les « gardiens de la paix » chers à mon grand-père ? Ces quatre personnes sont-elles encore capables de maintenir l’ordre public ? Je reste là, hébétée par tant de violence au regard de la faute commise qui, si elle est stupide, ne mérite certainement pas un tel acharnement. Ce qui me choque n’est pas tant le contenu bien légitime de leur interpellation que la violence dont ils ont fait preuve à mon égard et surtout la rapidité avec laquelle cette situation s’est envenimée.

Partant du principe que l’être humain a toujours une raison d’agir comme il le fait, je tente de me mettre à leur place… Ces travailleurs de première ligne me semblent alors pris dans un déni de reconnaissance qui les assaille de toute part. Un déni de la part de leur hiérarchie tout d’abord, lorsque ces agents sont amenés à travailler jusqu’à l’épuisement dans des conditions de travail déplorables, qu’il s’agisse de bâtiments vétustes, de matériel inadapté ou d’horaires bien loin de correspondre à un rythme de vie correct. Un déni de la part du public ensuite, lorsque leur travail est dénigré, dévalorisé et que leur présence peut en elle-même susciter une certaine forme de rejet et d’animosité chez les passants. Un déni de la part de notre société enfin, puisque ces agents ont trop souvent l’impression que leurs actions n’ont aucune conséquence, un système judiciaire saturé relâchant trop souvent les personnes interpellées par manque de places ou d’alternatives crédibles à leurs peines.

Alors comment leur en vouloir de se protéger ? Ces policiers se trouvent malmenés face à un travail qu’ils ont pour la plupart choisi pour « faire une différence » dans notre société, et pour lequel maintenant ils essuient railleries et quolibets… Alors ils font corps. Ils se regroupent, font preuve d’une solidarité à toute épreuve entre eux, se serrent les coudes afin de retrouver un soupçon de reconnaissance parmi leurs collègues. Mais cet « esprit de corps » a un prix. À trop vouloir se protéger de la souffrance que l’on ressent, ces gardiens de l’ordre public risquent d’y perdre leur humanité. Et du même coup être pris dans la spirale infernale d’une forme de déshumanisation totale, où plus rien ni personne ne mérite le respect…qu’il s’agisse d’une dame désinvolte qui comment une incivilité, d’un jeune de la banlieue ou d’un migrant en quête d’un avenir meilleur.

Alors que faire ? Et bien, durant les fêtes, si vous ne pouvez héberger un migrant pour le protéger de l’agressivité policière de ces derniers jours à Bruxelles, vous pouvez tenter de sourire à un policier et le remercier pour son travail. Peut-être sauverez-vous une vie… voire deux ou trois.

Harmony Glinne – Citoyenne, chargée de cours invitée en management à l’UCL et au MIAS LLN|Namur

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