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Magnette superstar, mais Di Rupo super patron

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Avec le refus wallon au Ceta, Elio Di Rupo a démontré qu’il était toujours le patron au PS. Et Paul Magnette a démontré qu’il en serait le prochain. Grâce à son prédécesseur. Et alors qu’ils se méfient tant l’un de l’autre.

On lisait, l’autre fois, une nouvelle de Stefan Zweig. Pas la meilleure, mais le tourmenté Autrichien est toujours excellent, de toute façon. Découverte inopinée d’un vrai métier était son titre. C’est le narrateur qui découvre inopinément ce vrai métier. Et puis on a levé les yeux, du livre vers une télé restée allumée. Et on a vu Paul Magnette en mondovision -700 000 vues de son intervention au parlement wallon ! -, glorifié par Jean-Luc Mélenchon et Le Figaro, loué par Libération et Natacha Polony. On lui faisait la réputation d’un ministre-président dilettante et d’un bourgmestre qui s’ennuie. On l’a vu subitement transformé en héroïque résistant à la mondialisation libérale, infatigable autant qu’inflexible.

Et on a dépeint son président de parti, Elio Di Rupo, comme dépassé sur son flanc gauche par le cavalier seul de son si preux héritier.

C’est une manière de malentendu, et un gros paradoxe.

Un malentendu parce que, on l’a déjà lu partout, Paul Magnette est un europhile congénital. Il était naguère un universitaire catastrophé des accrocs de l’intégration européenne, des réticences irlandaises au traité de Nice aux rejets français et néerlandais du traité constitutionnel. Et que là c’est lui, pas tout seul mais enfin on dirait, qui rejette un texte fondateur. Et qu’il en tire une notoriété, donc un capital politique, proche de l’inouï : il s’est, ces dix derniers jours, fait acclamer dans les supermarchés – les rayons du Delhaize de Chimay ont paraît-il tremblé à son passage…, dans les buvettes de football et même, fait inédit, au dernier conseil communal de Charleroi, auquel il n’a pourtant pas pu participer, lundi soir. « C’en est devenu surréaliste », glisse-t-on dans l’entourage de la nouvelle star.

Et c’est un paradoxe, un gros paradoxe, parce que ce refus de signer le Ceta est tout sauf un cavalier seul de Paul Magnette. Lui, il moissonne, certes, et plus rien ne semble désormais pouvoir l’arrêter. Mais c’est Elio Di Rupo qui tenait ferme les rênes du parti, et qui a forcé son ministre-président, son ancien poulain, à ruer contre l’Europe.

Or, les relations entre l’inoxydable président et son favori de jadis se sont détériorées ces derniers mois (« Nous nous sommes tant aimés ! », titrait Le Vif/L’Express en novembre 2015), le premier reprochant au second son impatience à lui succéder, le second tenant grief au premier de s’éterniser au boulevard de l’Empereur. Et le Carolo parsemant ses interviews de délicatesses à l’égard du Montois : « J’étais plus content de laisser un parti à 32 % quand je l’ai quitté que de voir les résultats des sondages aujourd’hui, évidemment », disait-il ainsi cauteleusement, début octobre, à La Libre…

Nos confrères de L’Echo ont révélé, les premiers, le rôle décisif joué par les présidents des deux formations de la majorité wallonne : un CDH anonyme y expliquait samedi dernier que « Magnette a été plusieurs fois à deux doigts de craquer et c’est bien normal vu la pression démentielle. Mais tant Di Rupo que Lutgen l’ont maintenu sur les rails du non ». Au PS, les réunions au sommet se sont succédé – plusieurs « G9 » en une semaine, c’est très rare -, comme les contacts entre le président Di Rupo et le ministre-président Magnette -« ils se sont eus jusqu’à quinze fois par jour au téléphone », dit un proche. « Et de ce que j’en sais, confirme un Wallon généralement bien informé, les ministres-présidents, Demotte et Magnette, étaient plutôt enclins à signer dans les temps impartis, et c’est Elio qui leur a imposé de ne pas flancher. » « Sans même parler de Marcourt, dont le boulot est de rencontrer les grands patrons, et qui depuis des semaines se demande dans quoi le parti s’est embarqué », ajoute un autre. Depuis le début du combat, Elio Di Rupo est un des interlocuteurs les plus attentionnés du CNCD, qui bat la campagne depuis plusieurs années contre ces traités commerciaux, Ceta et TTIP. Pourtant, ces dernières semaines, Elio Di Rupo est apparu en retrait, dans l’ombre d’un ministre-président wallon qu’il a ainsi consacré pour l’éternité des siècles.

Pourquoi avoir offert ce cadeau à un camarade dont il se méfie désormais ? Pourquoi n’avoir pas tenté de lui-même organiser la résistance, notamment en passant par des instances transnationales qu’il connait très bien – le Parti des socialistes européens, l’Internationale socialiste, dont il est vice-président ? Pourquoi, alors que son parti dirige trois gouvernements, le wallon, le francophone et le bruxellois, c’est celui que mène Paul Magnette qui a pris tous les coups… et récolté tous les lauriers ?

Ecartons d’ores et déjà l’hypothèse cyniquissime, qui circule pourtant chez certains socialistes haut placés : « On va finir par céder, Elio le sait, et il veut pousser Paul à l’humiliation », disait-on ici ou là dans le courant de la semaine écoulée. C’est une foutaise, puisque tout le contraire s’est produit : la majorité PS-CDH n’a pas cédé, et Paul ne s’est pas humilié. Mais il y a du hasard au moins autant que de la stratégie dans ce couronnement d’envergure continentale. « Elio s’est effacé dans l’intérêt du parti. Il a compris qu’il aurait paru moins crédible que Paul », pose un indéfectible partisan du premier, qui estime l’effacement présidentiel stratégique. « Si on était à 45 % dans les sondages, on pourrait peut-être se permettre de régler des comptes », ajoute-t-il. Il fallait, également, embarquer le CDH dans la mêlée. « Or, précise un socialiste, c’est Philippe Courard (PS) qui préside le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et il n’y a pas, depuis le départ de Joëlle Milquet, d’humaniste de poids au gouvernement francophone. »

Le président du parlement de Wallonie, André Antoine, qui s’était saisi des dossiers, a ainsi pu, lui aussi, donner à sa personne et à son institution une publicité historique. « Alors que, paradoxalement, c’est le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui, il y a deux semaines, signifié le premier son refus du Ceta, Rudy Demotte s’est caché. Il est resté au Japon jusqu’au terme de la visite d’Etat, tandis que Paul Magnette, lui, l’a interrompu », soupire une députée francophone écologiste. La différence entre les deux ministres-présidents hennuyers ? L’un décline et l’autre explose. L’un, le Tournaisien, ne se croit plus présidentiable depuis quelques années déjà. L’autre, le Carolo, sait que la présidence lui est promise. Et que même Elio Di Rupo n’y peut désormais plus rien.

Laurette Onkelinx, la dernière à avoir pu contester la succession annoncée, s’est fait une raison : sauf si, un jour, Paul Magnette le décide, elle ne sera jamais présidente du Parti socialiste. « Lundi matin, en bureau de parti, elle accusait manifestement le coup. Pourtant, elle s’est fait inviter sur tous les plateaux télé, jeudi soir sur la RTBF, dimanche midi sur RTL, ce qui montre bien qu’elle voulait occuper un terrain médiatique… », remarque un Carolorégien.

C’est ainsi que le socialiste qui voulait le moins affronter l’Europe en est devenu le plus glorieux opposant.

Et que celui qui a décidé de la confrontation est appelé à s’effacer sans trop de gloire.

« Ce qui se rapproche le plus de la définition de la situation, c’est le mot d’usurpation », résume un socialiste, un peu effrayé de se l’entendre dire.

On replonge dans Découverte inopinée d’un vrai métier.

Et on se rappelle ce qu’était ce vrai métier découvert inopinément par un Autrichien tourmenté : pickpocket.

« Concernant l’art du pickpocket, jusqu’ici trop peu étudié et, à ma connaissance, jamais décrit correctement, je savais déjà, au demeurant, que, pour faire de bonnes prises, les voleurs ont besoin d’une bonne mêlée comme les harengs pour le frai : en effet, ce n’est que lorsqu’on les presse et les bouscule que les victimes peuvent ne pas sentir la main qui les guette et les déleste de leur portefeuille ou de leur montre », écrivait-il.

Ici, la victime, consentante, a laissé bailler ses poches. En pleine mêlée. 

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