© Sigfrid Eggers

Maggie De Block : « La Santé, c’est le département de mes rêves. Pas le budget de mes rêves »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’ultrapopulaire ministre libérale des Affaires sociales doit réaliser 3,2 milliards d’économies sur cette législature. « Il faut être créatif », confie-t-elle dans un entretien exclusif au Vif/L’Express. Pour sauver la solidarité, Maggie De Block mise sur la responsabilité de tous les acteurs.

« C’est le département de mes rêves ! Bien sûr, ce n’est pas le budget de mes rêves, mais on ne peut pas tout avoir… Cela ne va pas me freiner. Je prends les difficultés comme une motivation. Etape par étape. » Maggie De Block telle qu’en elle-même. La ministre Open VLD des Affaires sociales et de la Santé, médecin avant d’opter pour la politique, privilégie le pragmatisme lorsqu’elle évoque son action. Dans un contexte dantesque : elle doit économiser 3,2 milliards d’euros sur la législature.

Si elle trône depuis 2013 au faîte de la popularité, dans les trois Régions désormais, c’est sans doute grâce à cette capacité placide de mener son action à l’abri des jeux politiciens et des petits phrases incendiaires. Atypique, elle avance à son rythme. Et si certains, comme l’ancienne ministre en charge Laurette Onkelinx (PS) ou l’ancien Premier ministre Elio Di Rupo (PS), estiment qu’elle ne va pas assez vite ou qu’elle se contente de « faire son possible », elle balaie, flegmatique : « Je n’ai jamais dit que ce serait facile. Mais jusqu’à maintenant ça va, on est assez actif… »

« Vérifier l’utilisation de chaque euro »

Aujourd’hui, Maggie De Block se félicite avant tout des premiers effets concrets du « Pacte d’avenir », négocié voici un an avec l’industrie pharmaceutique. Le prix de quelque 1 300 médicaments, dont le brevet a expiré, va diminuer de 5 % à même 60 %, en une seule fois, le 1er mars. « C’est important pour les patients, sourit-elle. Pour eux, cela va générer des économies d’environ 11 millions par an. Le gouvernement fait 60 millions d’économies. Nous reverserons environ un tiers dans le remboursement de nouvelles molécules, ce qui est bon pour le patient aussi. Un tel pacte n’avait jamais été signé par le passé. » L’opposition dénonce un cadeau pour l’industrie, Solidaris (la Mutualité socialiste) regrette d’avoir été mise hors-jeu, mais la ministre ne se laisse pas décontenancer : « Oui, c’est un compromis. Mais il faut être créatif dans le contexte budgétaire actuel. »

Maggie de Block en veut également pour preuve le remboursement d’un médicament pour l’hépatite, qui lui imposera des économies supplémentaires de 100 millions d’euros lors du conclave de la fin de ce mois. « Nous l’avons décidé, nous, alors que cela n’avait pas été possible lorsque le taux de croissance du budget des soins de santé était plus élevé. Ce coût supplémentaire de 100 millions d’euros est acceptable parce que c’est mieux pour le patient : la mesure était prévue pour 900 personnes, elle en touche déjà 1 500. »

Cependant, la ministre des Affaires sociales a hérité d’un département auquel la suédoise a imposé une sérieuse cure d’austérité. Comment réaliser 3,2 milliards d’économies sans toucher le patient – son leitmotiv ? « Mission impossible », clamait cette semaine Jean-Pascal Labille, patron de Solidaris, à la RTBF. « L’accord gouvernemental ne garantit aucunement que ces milliards ne seront pas pris sans toucher au patient », prolonge Laurette Onkelinx dans une tribune au Journal du médecin. « Il faut prendre chaque euro dans tes mains et te demander s’il est dépensé efficacement pour le but que l’on s’est assigné, déclare Maggie De Block. Nous avons déjà réalisé des économies pour 1,6 milliard en luttant contre les usages abusifs. Il y avait trop de radiologie, par exemple. Nous faisons des contrôles chez les médecins, les infirmiers, les pharmaciens… »

Elle insiste sur les « réformes structurelles importantes » qui doivent être menées. Celle du financement des hôpitaux, tout d’abord. « Ils commencent à s’organiser en réseaux comme on leur a demandé. Ce n’était plus possible de financer tous les services existants. » Prochaine étape ? Un pacte à conclure avec les mutuelles. « Aujourd’hui, elles ne sont nécessaires que quand on est malade, mais elles devraient également agir pour ceux qui ne le sont pas encore. Leur profil de fonction sera aussi revu, en concertation. Les tâches administratives comme les guichets seront enlevées et remplacées par les e-health platforms. A l’avenir, tout cela sera électronique. Ceux qui étaient chargés de ces missions pourront être affectés à d’autres tâches comme un coaching du patient. »

Est-ce suffisant ? Bart De Wever, président de la N-VA, ne cesse d’affirmer que des économies supplémentaires peuvent être réalisées dans son département. « J’attends toujours ses propositions, réagit-elle, laconique. C’est facile de dire que c’est un grand budget. Evidemment, avec tout ce qu’il y a à rembourser, le vieillissement de la population, l’évolution des techniques et des sciences… » Cela étant : « On continue le travail. On ne peut pas continuer à dépenser des montants que l’on n’a pas, avec le risque de se mettre en difficulté avec la trajectoire budgétaire européenne. On n’a pas le choix, vraiment pas. » Lors du conclave budgétaire prévu à la mi-mars, c’est cette politique de la rappe à fromage qu’elle entend poursuivre. En sachant que le premier 1,6 milliard était le plus facile à trouver, que l’on arrive bientôt à l’os.

« Je ne veux pas tout interdire »

En toile de fond de la mission de la libérale, il y a ce mot d’ordre : lutter contre toutes les surconsommations et les gaspillages. Et responsabiliser les acteurs en adaptant leurs métiers, des mutuelles aux pharmaciens en passant par les médecins.

C’est à cette lumière aussi qu’il faut lire la volonté de Maggie De Block de « traquer » les malades de longue durée, dont le nombre dépasse depuis 2014 celui des chômeurs. « Il augmente chaque année de 7,5 %, pointe-t-elle. Cela va coûter 8 milliards vers 2018. C’est une situation intenable ! Nous menons des actions préventives avec le Fonds des maladies professionnelles pour éviter les troubles psychiques comme le stress et le burnout. Nous allons aussi renforcer la possibilité de réorienter ces malades vers des emplois moins lourds. »

Responsabiliser le citoyen, c’est encore l’intention des futurs plans nutrition ou de lutte contre la surconsommation de tabac et d’alcool. Qui se font attendre. « Je ne suis pas la seule à décider ! », précise la ministre en rappelant que huit ministres sont compétents pour la santé en Belgique et que ces thématiques en impliquent d’autres encore, ne fût-ce que ceux en charge de l’Enseignement. Responsabiliser : un choix de société, et la seule voie possible quand les moyens font défaut.

Maggie De Block entend toutefois éviter les solutions faciles. Pas question notamment d’interdire bêtement ou de sanctionner toute la population pour les comportements d’une minorité. « C’est ce que j’entends le plus souvent : pourquoi n’interdisez-vous pas cela ou cela ? Mais je ne veux pas vivre dans une société où tout est interdit, où l’on ne pourrait plus boire un verre parce que l’on se sent bien ensemble… En revanche, il faut aider les gens qui ont fait les mauvais choix, oui. Voilà notre action. »

De même, la ministre libérale est très réservée au sujet d’un lien entre les attitudes à risques et le remboursement des médicaments. Une brèche a pourtant été ouverte par la Commission du médicament de l’Inami, qui vient de lier le remboursement d’un traitement contre la fibrose pulmonaire au fait d’avoir arrêté de fumer depuis six mois au moins. « Une décision technique », souligne Maggie De Block. Qui rebondit rapidement sur le débat de fond que cela sous-tend. Ne faut-il pas, en effet, lier certains remboursements aux comportements ? « J’ai très vite considéré qu’il fallait être très prudent en la matière, précise-t-elle. Cela paraît innocent, mais ce ne l’est pas. Il y a effectivement des décisions que l’on peut prendre soi-même. Tout le monde sait que fumer, c’est néfaste pour la santé. Mais il y a aussi des situations héréditaires dont nous ne sommes pas responsables ou des circonstances socio-économiques que l’on ne décide pas. Il faut traiter cela avec une grande prudence. C’est un raisonnement que je trouve dangereux. »

Au nom de ce même raisonnement, elle s’était déjà élevée contre le principe d’une taxe sodas décidée par son propre gouvernement.

« Elio me connaît bien… »

Aux Affaires sociales, Maggie De Block ne peut pas « faire du chiffre » en annonçant chaque mois le nombre d’expulsions, comme elle le faisait à l’Asile lors de la précédente législature. « Non, mais nous avons commencé il y a quinze mois et toutes nos grandes réformes ont été mises en chantier, insiste-t-elle, en citant encore les projets de loi en cours d’examen concernant la psychothérapie ou la santé mentale. Petit à petit, j’obtiens des résultats. Le fait que, demain, les prix vont diminuer de plus de 60 %, c’est quand même étonnant, non ? »

Ce pragmatisme à toute épreuve tranche avec les cris d’alarme lancé par l’opposition, selon laquelle le gouvernement Michel sape les fondements de la Sécu. « Ce gouvernement a été créé avec un agenda socio-économique, résume Maggie De Block. Il faut des emplois pour assurer la protection sociale. Cela ne va pas tomber du ciel. Et j’ai mon rôle à jouer, qui consiste à préserver, à améliorer la qualité des soins, et à les laisser accessibles voire à les rendre plus accessibles encore. Pour les deux générations à venir – après, on va trouver quelqu’un d’autre. »

Les critiques de son ancien Premier ministre, Elio Di Rupo ? « Le rôle de l’opposition est tout nouveau pour le PS. Et comme le disait Winston Churchill, « it’s the duty of the opposition to oppose ». Ils font leur travail, c’est tout. Je respecte trop la solidarité que pour la mettre à mal. Elio me connaît bien, il le sait, mais il ne le dira pas. »

Pour le reste, point de querelles politiciennes en vue, « Maggie » est à l’image d’une maman qui veille sur la santé des Belges. Qui le lui rendent bien en la plébiscitant dans les sondages. « Cela fait plus de deux ans que cela dure, c’est assez étonnant, s’amuse-t-elle. C’est joli, c’est agréable, mais cela ne change pas mes décisions. » La seule chose qui a changé ? « Je n’ai jamais reçu autant de lettres ouvertes ou de questions parlementaires depuis que je suis devenue la plus populaire. Je ne comprends pas pourquoi c’est nécessaire, je suis assez accessible pour tout le monde et on peut me poser les questions directement. Mais certains m’utilisent visiblement pour se faire de la pub. »

A ce sujet, comme pour les critiques de l’opposition, elle conclut, philosophe : « Après 50 ans, ça ne te stresse plus, tu es trop vieux pour ça. » Une mère tranquille. Qui cache son jeu ?

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